Le nouveau roman commun de Faina Savenkova et Alexandre Kontorovitch intitulé « Ceux qui se tiennent derrière ton épaule » étant enfin prêt et devant être publié sous peu, les deux auteurs, ainsi que deux autres écrivains ont apporté leur éclairage sur ce roman fantastique qui aborde la guerre entre le Bien et le Mal, sur fond de conflit du Donbass, avec des enfants, des chats et des hiboux en guise de personnages principaux.
Alexandre Kontorovitch, écrivain
Très souvent, on demande à un auteur : « Comment est née l’idée de votre livre, et qu’est-ce que vous entendez par là ? » Cela se produit généralement après la publication du livre et après que de nombreux critiques ont eu le temps de mettre l’intrigue en lambeaux, inventant leurs propres explications pour chacune d’entre elles.
Ils disent que l’auteur voulait dire ceci… Non, dit un autre critique. Vous avez tort, il voulait dire autre chose ! Et lorsque tous les protagonistes se sont épuisés les uns les autres, on se souvient enfin de l’auteur lui-même, et on se tourne vers lui pour obtenir des explications.
Parfois, au cours du processus, il s’avère soudain que tous les participants avaient tort et que personne n’avait compris l’idée de base du livre. Pour faciliter le travail futur des critiques, nous allons essayer de clarifier certains points clés. Ce livre n’est pas un thriller d’espionnage. Il ne parle pas non plus de la « guerre ». Bien que les deux soient présents ici.
Le livre contient des descriptions d’opérations de combat et des exemples de travail des services secrets. Mais nous n’avons pas écrit sur ce sujet… Tout ce qui précède n’est rien d’autre que l’arrière-plan. Sur lequel se déroulent les principaux événements. Et les héros du livre ne sont pas les militaires et les agents de renseignement. Ils sont importants, mais ils ne sont pas les personnages principaux.
Les véritables héros du livre sont les enfants. Ordinaires, sans particularité par rapport à leurs pairs. Pas d’enfants prodiges ni de personnes particulièrement douées – juste des garçons et des filles ordinaires.
Et leurs compagnons sont les célèbres chats. Pas tout à fait ordinaires, oui… Mais le fait est que les enfants sont parfois capables de discerner dans les choses familières leur véritable utilité. Voir et accepter. Sans élucider les raisons, les circonstances de son apparition ici et maintenant, et bien d’autres choses – simplement accepter les choses telles qu’elles sont.
Accepter – et devenir ami avec l’inconnu. Ne pas chercher à le plier à sa volonté, ce que font généralement les adultes, le disséquer et l’étudier… Accepter simplement cette amitié. Il leur suffit d’avoir un ami fidèle. Un ami qui ne trahira pas et n’abandonnera pas, qui n’hésitera pas à donner sa vie pour que le rire d’un enfant résonne encore sur la terre.
Et c’est dans des circonstances difficiles et désastreuses que cela se manifeste le plus fortement. C’est le moment où les enfants ont, plus que quiconque, besoin d’aide et de soutien. Et les adultes… ils sont occupés par leurs propres affaires, sans doute importantes et nécessaires. Mais ce sont les leurs. Et ils ne parviennent pas toujours à prévenir les enfants de tout danger ou faux pas. Des erreurs parfois très dangereuses…
De telles circonstances ont toujours existé lors des guerres et des conflits de toutes sortes. Peu importe où cette guerre se déroule : dans la Russie antique, dans le Caucase du XVIIIe siècle qui empeste la fumée de la poudre à canon, ou dans le Donetsk moderne, les enfants souffrent partout. Et les vieux compagnons des guerriers, des chats inhabituels, ont peu à peu commencé à comprendre que les guerriers courageux et braves ne sont pas les seuls à avoir besoin de leur amitié et de leur aide… Il y en a d’autres… Ceux qui manquent de force et d’expérience de la vie, et qui ne peuvent tout simplement pas encore se défendre seuls.
Et les chats ont fait leur choix. Et l’autre camp a fait de même – ceux qui semaient la discorde et l’inimitié entre les gens depuis les temps anciens. Chacun a choisi son propre camp – et s’est tenu aux côtés de ceux qu’il voulait aider. Certains ont risqué leur vie pour sauver leurs protégés. D’autres, se cachant dans les ténèbres, ont continué à tromper et à séduire les personnes au cœur léger. Les tromper – et les transformer en instruments obéissants pour l’accomplissement de leurs désirs.
Cette guerre entre le Bien et le Mal n’a pas commencé hier… et ne se terminera pas aujourd’hui. Mais nous pouvons aider le Bien en étant plus attentifs à ce qui nous entoure. Regarder de près et comprendre… Comprendre la différence entre des mots dans un bel emballage, et la vérité, pas toujours agréable. Entre fiction et réalité. Entre le blanc et le noir…
Faina Savenkova, dramaturge et écrivain
C’est probablement le travail le plus difficile de ma vie. Pour moi, la principale difficulté consistait en un sentiment de responsabilité, car mon roman avec Alexandre Kontorovitch n’est pas seulement une fiction sur les chats et les enfants. Il s’agit d’une histoire sur mon Donbass natal, bien qu’un peu fantastique. L’histoire de la lutte entre le Bien et le Mal, lorsqu’il est difficile de comprendre le Bien ou le Mal, et s’ils diffèrent l’un de l’autre. Un monde à l’envers, comme les contes de fées de Lewis Carroll. Seulement, il s’est avéré être plus réel que nous le pensions. C’est en partie ce que nous disent les léopards. Et, bien sûr, cela parle de la lutte pour les enfants et leurs âmes. Alors peut-être que notre livre aidera certains enfants à rester avec les léopards s’ils sont un peu perdus.
Egor Kholmogorov, membre du syndicat des écrivains de Russie
L’un des thèmes les plus douloureux de toute histoire de l’art, presque à la limite des procédés interdits, est celui des enfants à la guerre. La larme d’un enfant fonctionne implacablement et de manière déchirante, vous devez donc l’utiliser avec la plus grande prudence pour ne pas la dénaturer. Mais cela est valable lorsque nous parlons de littérature « pour enfants », de livres écrits par des hommes et des femmes bien nourris dans le calme de leurs bureaux, loin de la guerre.
Mais il s’avère qu’il existe un autre type de littérature. Une qui est créée par des enfants, par des enfants en situation de guerre. C’est aussi un procédé qui est presque interdit – une larme sort et parle d’elle-même. Et il s’est avéré que ce n’était pas une larme, mais une lame tranchante, presque impitoyable.
C’est exactement ce qui se passe avec l’œuvre de Faina Savenkova. Une petite fille, plus âgée que mon fils de neuf ans, mais plus jeune que mes filles de quinze ans, vivant pratiquement sur la ligne de front, dans la ville de Lougansk, dans le Donbass.
Dans cette terre russe tourmentée, les mots à propos « d’une larme d’enfant » sonnent très concrètement. Dès octobre 2018, l’UNICEF a recensé 149 enfants morts dans le Donbass, et d’autres ont été tués depuis. Les blessés, les terrifiés, les traumatisés, les affamés – ne sont presque pas comptés. Faina vit dans un monde où être un enfant et vivre du côté de ceux qui sont appelés « séparatistes » par les autorités ukrainiennes à Kiev signifie marcher au bord de la mort.
Grâce aux histoires et aux romans de Faina Savenkova, nous avons un aperçu du monde de ces enfants. Et tous les critiques sentimentaux n’aimeront pas ce qu’il y a à l’intérieur. Il n’y a pas de sentimentalité, de romance et de chérissement de leur propre douleur. Il y a une sorte de non-adolescence, une sorte de monde pré-adulte, composé de dangers tout autour, de mines anti-personnelles, de bombardements, et de services secrets ennemis, qui recrutent des enfants crédules.
Il ressemble quelque peu au monde cruel et menaçant d’Arkady Gaïdar dans « Le destin du batteur » et « Le secret de la guerre ». Ennemis, espions, trahisons sont partout, et les enfants ne peuvent échapper à ce conflit. La seule différence c’est que le monde de Gaïdar est aux deux tiers fictif, ici tout est réel. Un véritable aéroport en ruine, de vraies maisons endommagées par des obus, de vraies mines, de vrais services secrets étrangers, imprégnés d’une véritable haine de l’autre monde.
Et le seul moyen de s’accommoder de ce monde coupant comme un diamant n’est pas la prose sentimentale, mais une épopée, une légende, un conte de fées dans lequel la lutte ne se fait pas avec des zélateurs prosaïques de « l’immunité des cordons de l’État », mais avec des ennemis magiques. Car la principale chose dont un enfant a besoin, dans le monde comme à la guerre, c’est d’un ami et d’un protecteur, réel ou imaginaire.
Peu importe combien d’amis imaginaires de ce genre la littérature enfantine mondiale a déjà inventés, ils touchent toujours le cœur. Et ici les protecteurs félins de Faina Savenkova sont apparus dans cette continuité. Ils ne sont pas trop fabuleux, comme l’est le monde dangereux de Faina – ils ne parlent pas et ne veulent pas de bottes. Mais ils protègent à la fois de la malice de l’homme et des ennemis métaphysiques – les « hiboux ».
Il n’est pas non plus difficile de reconnaître cet ennemi. Après tout, dans le Donbass, il n’y a pas seulement une guerre de libération nationale, mais aussi une guerre mystique. La guerre entre la civilisation orthodoxe russe et le mal occulte. Les jeunes hommes courageux du bataillon « Azov » aiment faire le salut nazi et utilisent partout les runes que les SS appellent « zig », mais en fait elles sont appelées « hiboux » (« Sowilo »). Ces ténèbres empoisonnées sont combattues par des chats courageux et intelligents. Ils protègent les enfants de ce mal.
Faina Savenkova et Alexandre Kontorovitch ont réussi à créer un inter-genre étonnant – le fantastique slave est combiné avec un roman historique sur la guerre du Caucase, avec une histoire sur la Grande Guerre Patriotique, et apparemment avec une fiction sur un futur proche, Donetsk-2025, qui est trop proche du jour d’aujourd’hui. Chaque tradition littéraire est bonne en soi, il est extrêmement difficile de les mélanger, mais les auteurs y sont parvenus, précisément en raison de l’authenticité absolue du texte de base de Donetsk.
Le livre passe de l’action fantastique à l’histoire pour enfants et vice-versa, ils sont intimement liés dans leur moralité totalement dénuée de sentimentalisme. Dans cette guerre, tout est réel, il y a la mort et l’enfer de tous côtés, il peut y avoir des morts, y compris un enfant, et une réconciliation mythique de tous avec tous n’est guère possible. C’est pourquoi l’essentiel est de défendre son propre peuple, de croire en son propre peuple, de ne pas se perdre et de ne pas rester à la traîne.
Des livres aussi durs sont écrits, avec la collaboration talentueuse d’adultes, par nos enfants. Leurs chats préférés redeviendront-ils des peluches ronronnantes ? Leur rêve de défenseurs réels, et non de contes de fées, deviendra-t-il réalité ? C’est à vous et à moi d’en décider.
Marinella Mondanine, écrivain, journaliste
Le lecteur a devant lui un livre étonnant. Le titre, l’image de couverture et, bien sûr, le contenu inhabituel font impression. Le titre transmet l’essence de l’œuvre et la photo, placée sur la couverture, révèle le titre de manière attrayante, non pas immédiatement, mais progressivement, au fil de la lecture. On devine des réminiscences bibliques dans le titre du roman : « Derrière une épaule, un homme a un diable, derrière l’autre un ange. Demande-toi qui écouter ».
Si nous nous tournons vers la mythologie et les légendes anciennes, derrière chaque homme il y a quelqu’un, cela peut être le Bien, des forces bienveillantes, et il peut y avoir le Mal, des forces obscures. En effet, au cours de sa vie, l’homme est constamment confronté à un choix entre le Bien et le Mal, tout repose sur le choix moral.
D’après une vaste littérature, des premiers philosophes aux auteurs modernes, le Bien et le Mal sont les deux principes originels qui régissent la vie humaine. Ils sont en lutte constante les uns avec les autres, mais ce qui cause la peur et l’angoisse des hommes depuis des temps immémoriaux est le mystère du Mal. La religion, la philosophie et la théologie ont été les premières à explorer les sources et la nature du Mal, mais dans son sens le plus large, ce « mystère » est devenu « familier » car la vie des gens est riche de la triste expérience de la rencontre avec le Mal.
Le thème du « Bien et du Mal » est un leitmotiv qui traverse tout le roman. Dans ce dernier, les forces obscures sont représentées par des créatures semi-mythiques – les « hiboux ». Les hiboux font partie des légendes et des traditions du monde anglo-saxon et cette référence est très importante pour comprendre le sens profond de ce roman qui, bien qu’il s’agisse d’une « fiction », est basé sur la réalité du monde moderne. Il n’est donc pas possible de caractériser le genre de cette œuvre aux multiples facettes en un seul mot : elle est à la fois « fantastique », « historique » et « réelle ». Cela se traduit par une construction artistique particulière qui se développe selon le principe du contrepoint – l’imposition d’une intrigue sur une autre.
Le roman couvre plusieurs périodes historiques : la Russie antique, le XVIIIe siècle (la guerre russo-turque), 1942, la guerre moderne dans le Donbass, en RPL en 2016 et le futur – Donetsk 2025. Les événements sont répartis en parties distinctes, mais le passage successif d’une partie, considérée comme indépendante, à une autre crée un développement cohérent de l’intrigue.
Il y a de nombreux personnages dans le roman, mais les chats – l’incarnation du Bien – sont des personnages particulièrement positifs. Si les forces sinistres des hiboux plient les gens à leur volonté pour atteindre leurs objectifs, en revanche, les chats sont des assistants magiques de l’homme, capables non seulement de le protéger, mais aussi d’exercer une influence magique sur son destin. C’est pourquoi ils sont « inhabituels » et « grands », ce sont des « léopards » et ils sont extrêmement attachés aux enfants. Parfois, en sacrifiant leur vie, les chats sauvent des enfants, ce qui signifie que seul le Bien peut sauver le monde. À cet égard, l’expression « un laboratoire d’élevage de chats » me semble une plus belle métaphore. Un vieil homme sage et gentil en est responsable, mais les adeptes des « hiboux » tentent de l’éliminer, lui et le laboratoire, par tous les moyens.
C’est encourageant de savoir que cette activité sera transmise et poursuivie par les enfants, de sorte que la « production de Bien » se poursuit continuellement… de génération en génération. Ce qui permettra de contrer le Mal.
Il est particulièrement important d’y croire aujourd’hui, alors que le système de valeurs est laminé et que le monde est rongé par toutes sortes de guerres et de spirales de violence. La guerre dans le Donbass montre bien l’essence du problème. Dans le roman, les forces du Mal ont envoyé leurs sbires dans cette terre meurtrie. Les Hiboux, retranchés en Europe, ont créé une organisation semi-secrète appelée « L’Ordre », qui se range du côté des mondialistes et vise à détruire les « léopards » et ceux qui les aident. À la tête de l’Ordre se trouve symboliquement Monseigneur Caparelli, qui gère tout depuis sa « Villa » à Rome. « La Villa » représente la puissance de l’Ordre et ce n’est pas un hasard si elle est restée intacte pendant des siècles : « elle vivait selon ses propres lois… comme si elle existait hors du temps » et « rien n’a ébranlé son calme », ni le régime fasciste italien en armure noire qui défilait, ni le Secteur Droit et autres formations de droite nationaliste d’Ukraine.
Dans la terre blessée du Donbass, ces forces ont montré leur vrai visage, alors les chats, comme sur la photo de couverture, aident les défenseurs de leur terre à affronter les hiboux. Maintenant, le Donbass devra boire la coupe jusqu’à la lie.
Cet ouvrage est le fruit de la coopération entre deux auteurs extraordinaires. La jeune et talentueuse écrivaine Faina et l’écrivain expérimenté et reconnu Alexandre Kontorovitch ont parfaitement réussi à écrire un roman passionnant qui non seulement entraîne l’imagination, mais oblige aussi le lecteur à s’inquiéter et à réfléchir à ce qui se passe aujourd’hui autour de nous.
source : https://www.donbass-insider.com
traduit par Christelle Néant pour Donbass Insider
Source : Lire l'article complet par Réseau International
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