par Strategika 51.
Les Afghans placent un immense espoir dans ce qu’ils identifient comme les prémisses d’une réconciliation nationale entre toutes les forces politiques de ce pays meurtri par quarante années de conflits. La principale pierre d’achoppement du dialogue inter-afghan demeure la présence militaire occidentale, réclamée par le pouvoir en place à Kaboul et violemment rejetée par le mouvement des Talibans et leurs alliés.
L’enjeu est de taille : le maintien des forces US et atlantiques en Afghanistan garantira plus ou moins la pérennité du gouvernement afghan mis en place par Washington même si ce dernier n’arrive pas à contrôler la périphérie immédiate de la capitale en dépit d’une armée pléthorique et relativement bien équipée. Pour les Talibans, le retrait sans conditions de l’ensemble des forces militaires sous la coupe de Washington est un préalable absolu à toute entame de dialogue avec le pouvoir en place à Kaboul. Du point de vue des dirigeants politiques talibans, Washington est à la fois le problème et la principale entrave du processus de paix.
Le maintien en dépit du bon sens de la présence militaire US en Afghanistan a un coût exorbitant pour les États-Unis : la plus longue guerre jamais entreprise par Washington depuis l’indépendance américaine lui a coûté sa place en tant que principale puissance économique et militaire dans le monde et précipité un effondrement du système politique US. La poursuite de cette guerre n’aboutira qu’à deux résultats possibles: une défaite déguisée, laquelle est patente ; ou une défaite déshonorante, que Washington fait tout ce qui est possible de faire pour l’éviter depuis 2011 afin de ne pas reproduire le précédent soviétique.
Sans surprise aucune, l’administration Biden ou pour être plus précis l’État profond qui se cache derrière ce paravent, a décidé de revenir sur la politique du retrait partiel des forces entamée par la précédente administration. Cette décision est basée partiellement sur des éléments rationnels relatifs à un éventuel effondrement du pouvoir afghan et son remplacement par l’Émirat Islamique d’Afghanistan, ou le pouvoir des Talibans.
Cependant, l’État profond US et ses ramifications internationales craignent au plus haut point une débâcle politique et stratégique sans précédent susceptible de porter un préjudice irréversible à l’image de l’Empire. Un empire doté des plus puissants moyens militaires de l’histoire connue mis en échec pendant deux décennies par des bandes éparses de combattants habillés comme au Moyen-âge et armés de vieux fusils au canon plus qu’usé. C’est cette symbolique désastreuse qui terrorise l’État profond et le pousse à abuser de la planche à billets pour produire une quantité extraordinaire de papier monnaie pour maintenir la fiction d’un statu quo révolu. Dans la guerre d’Afghanistan, le rôle de la Banque fédérale US et de la Banque centrale européenne est presque plus important que celui des systèmes d’armes et des forces militaires engagées. Il ne s’agit plus d’une petite guerre perdue dans un pays oublié du Quart-monde. Il s’agit désormais de sauver la face de l’ensemble du système politique, financier et économique occidental face à une guérilla menée par des hommes croyant en d’autres valeurs et fort réticents à adhérer au culte universel.
Le parachutage d’une contre-guérilla aéroportée par les forces de l’OTAN et leurs alliés régionaux sous le nom d’État Islamique au Khorasan et au Pakistan n’a pas constitué un facteur décisif dans ce conflit. Échaudés par Al-Qaïda, les Talibans se sont recentrés autour d’une thématique ethnique excluant tout cadre panislamique ou internationaliste. Les éléments afghans ou étrangers de l’État Islamique sont systématiquement combattus par les Talibans comme des excroissances de la coalition militaire occupant leur pays. Cela en dit assez long sur la faillite des renseignements occidentaux et arabes et l’incapacité ou plutôt la volonté tacite et calculée des services spéciaux pakistanais de ne plus jouer le jeu. La création hybride est rejetée.
De toute évidence et de façon assez paradoxale, les Talibans sont conscients qu’ils ont à gagner avec le maintien des forces militaires étrangères adverses. Après tout, les anciens Moudjahidines des années 80 ont pu troquer leurs habits traditionnels pour des équipements flambant neufs issus directement des arsenaux des armées de l’OTAN. Le suivi de l’évolution des unités de guérilléros talibans met en évidence une évolution notable dans les tactiques et l’armement comme l’illustre la dernière promotion du Bataillon Al-Fatih (La Conquête) en référence à la reconquête du territoire de la capitale Kaboul dès que les circonstances le permettront. C’est à dire le départ des forces étrangères et la neutralisation du soutien aérien tactique adverse.
Indubitablement, il n’est pas aisé de survivre puis d’évoluer et assurer une logistique sans aucune couverture aérienne tout en faisant face à une armée nationale de 400 000 hommes, assistés par les meilleures forces des États-Unis et de l’Alliance atlantique, lesquelles disposent de la supériorité aérienne absolue, de réseaux de renseignement humains (Humint), électroniques (Elint), d’une myriade de satellites-espion et de moyens de guerre hybride faisant intervenir des contre-feux, de fausses guérillas rivales, de faux attentats, des campagnes d’assassinats ciblés, de drones et une intox permanente. Cela prouve que les Talibans demeurent l’une des meilleures guérillas de l’histoire en dépit de leur infériorité numérique et technique et que l’Afghanistan n’est plus seulement le cimetière des empires mais un véritable purgatoire dans lequel se débat l’Empire du siècle. Ni l’opium ni le bâton ne sont susceptibles de faire gagner une guerre perdue d’avance.
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