« ll y a une évolution très dangereuse des soins en Occident », explique Michel Collon. (DR)
Pourquoi était-il important de publier un tel ouvrage aujourd’hui ?
Dans « Planète malade », le journaliste Michel Collon fait le bilan et la critique de la gestion de la pandémie de Covid-19 par les gouvernements occidentaux.
Michel Collon. Cette pandémie est une souffrance infligée à des millions et des millions de gens, qu’ils aient été atteints par le Covid ou qu’ils vivent dans l’angoisse de l’attraper et de le transmettre. Du fait de la mauvaise gestion de la pandémie par nos gouvernants, la population s’est également retrouvée dans une énorme souffrance sociale, économique et financière. Beaucoup de gens ont perdu leur emploi ou sont menacés de le perdre. Beaucoup de petites entreprises ont fermé ou vont devoir fermer.
D’une part, comme simple citoyen, j’étais un peu désemparé au moment de trouver des informations fiables. D’autre part, en tant que journaliste ayant travaillé sur la désinformation, je reconnaissais dans la gestion de la crise par les médias mainstream (grand public et commercial) beaucoup de caractéristiques de ce que j’ai appelé la propagande de guerre. C’est-à-dire ne pas traiter les gens en adultes, écarter les voies dissidentes et certains débats, cacher les intérêts économique et l’histoire de notre système de santé publique. L’Europe occidentale et les Etats-Unis se sont retrouvés avec un goulot d’étranglement dans les hôpitaux. C’est le résultat de quarante ans de néolibéralisme. Il fallait absolument faire le bilan et la critique de cela.
Pourquoi les pays occidentaux ne se sont-ils pas inspirés de ce qui a été fait à Cuba ou au Vietnam pour combattre le virus ?
L’Occident, habitué à diriger le monde et à dire aux peuples du Sud ce qu’ils doivent faire, souffre d’une terrible arrogance coloniale et d’ethnocentrisme. Les problèmes sont vus uniquement à travers le prisme de ce qui se passe chez nous, de nos intérêts scientifiques et chercheurs. Le reste nous est inférieur par définition. C’est la trace de cinq siècles de colonialisme et d’une éducation qui a présenté l’homme blanc européen comme supérieur. Richard Horton, rédacteur en chef du Lancet -la plus prestigieuse revue scientifique et médicale du monde –, a lui-même dit que des dizaines de milliers de morts du Covid étaient dus à l’arrogance coloniale de l’Occident. Nos gouvernants, médias et certains de nos scientifiques n’ont tout simplement pas voulu écouter l’expérience de la Chine, le premier pays au monde qui a dû affronter ce nouveau virus complexe et déroutant. On aurait dû envoyer directement des chercheurs, des médecins, des sociologues pour aller modestement voir comment les Chinois avaient géré la crise, ce qui avait fonctionné, ce qui avait raté, et en tirer des leçons. Au lieu de ça, l’Occident a dormi pendant deux mois, persuadé que ça n’arriverait pas chez nous.
Certains disent que les pays qui ont mieux géré la crise ne sont pas des exemples car ils sont des dictatures ou des îles…
Cet argument ne tient pas. Pour éviter de mettre en question les dogmes du néolibéralisme, beaucoup de gens veulent se rassurer en se disant qu’il n’était pas possible de faire mieux. A mes yeux, des pays socialistes comme la Chine, Cuba, le Vietnam ou des gouvernements communistes comme le Kerala, ont très bien géré sur la base suivante : prendre le virus au sérieux, prendre des mesures rapides et radicales, réagir dès la première contamination (ou même avant). Ils ont accompagné les mesures d’une mobilisation générale, de la création d’hôpitaux de campagne quand les hôpitaux étaient débordés, de mise en place de tests, de traçages et de quarantaines. A cela s’est ajoutée une dimension sociale et humaine qui a totalement manqué ici, avec des médecins, des étudiants en médecines, des infirmières et de simples bénévoles qui sont allés de maison en maison tester et parler avec les gens, voir comment ils allaient, les aider dans le quotidien. Je crois que les pays socialistes ont obtenu de bons résultats, et cela devrait faire réfléchir ceux qui manient l’étiquette de dictature pour les définir : les « dictatures » peuvent protéger leur population tandis que des « démocraties » n’y arrivent pas ? Cherchez l’erreur…
Le fait d’être une île peut aider mais n’est pas un critère décisif. La Grande-Bretagne est une île et la situation y est catastrophique. Quant à la Nouvelle-Zélande, qui a très bien géré, elle a comme les autres pays des échanges internationaux et des risques. Avec la globalisation, plus aucun pays n’est une île. Par ailleurs, certains pays d’Asie comme la Corée du Sud et Singapour, qui ne sont pas des îles et qui sont des démocraties selon les défenseurs du système capitaliste, ont également bien géré. Premièrement, car ils n’avaient pas cédé à la frénésie néolibérale de démantèlement des services de santé et de prévention. Et deuxièmement, parce qu’ils avaient tiré les leçons de l’épidémie de SRAS en 2003.
Dans les pays occidentaux, après un an de pandémie, les gouvernements sont en train de perdre la confiance d’une partie importante de la population. Pourquoi ?
Pour plusieurs raisons. Premièrement, parce qu’ils ont dit pendant deux mois que le virus n’arriverait pas chez nous et qu’il ne fallait pas s’inquiéter. Ensuite, que le virus allait arriver mais qu’on était prêts, qu’on avait des masques et des tests, ce qui était faux. Puis ils ont dit que les masques ne servaient à rien, ensuite qu’il fallait les porter, puis ils ont exagéré en les faisant porter même en plein air.
Deuxièmement, pour casser l’épidémie, il aurait fallu tout arrêter radicalement pendant quelques semaines, tracer et tester tout le monde, placer les gens atteints en quarantaine et redémarrer l’économie avec les autres. Au lieu de faire ça, les gouvernements occidentaux ont pris des demi-mesures sans arrêter le travail dans le but de protéger les intérêts financiers des grandes entreprises et des grandes multinationales. En Italie, la carte des contaminations et des morts correspond exactement à celle des zones où le patronat italien rassemblé dans le groupe Confindustria appelé à maintenir le travail et à faire pression sur les travailleurs pour qu’ils continuent à aller travailler.
Pourquoi aurait-il fallu fermer les usines si l’essentiel des contaminations se fait dans le cercle privé ?
Mais les gens qui contaminent leur famille ont bien dû attraper le virus quelque part ! En Belgique, l’inspection du travail a constaté qu’une entreprise sur deux n’était pas en ordre avec les mesures de distanciation et de protection, mais il n’y a quasiment pas eu de sanctions. C’est business as usual.
D’après votre enquête, la dimension de proximité et de prévention des systèmes de santé a été déterminante dans les pays socialistes.
Il y a une évolution très dangereuse des soins de santé en Occident. Les grandes entreprises, les multinationales, les intérêts boursiers et financiers sont à la recherche de nouvelles sources de profit. Pour cette raison, on marchandise le sport, la culture, l’enseignement, et bien entendu la santé. Les gens paient de plus en plus pour la santé alors qu’elle devrait être gratuite. C’est la condition pour une bonne santé publique. Beaucoup d’argent public est donné au Big Pharma tandis que les grands hôpitaux sont transformés en boîte à fric où il faut traiter le plus de patients possible pour le plus de choses possibles et le plus rapidement possible. Cette évolution a détruit la qualité alors même qu’il y a énormément de progrès technologiques et scientifiques. La santé devrait être considérée comme un droit, or elle devient une marchandise.
Est-ce que les gouvernements ont appris quelque chose de la première vague ?
Pas l’essentiel. Je pense que c’est une grosse erreur de ne pas traiter la pandémie très vite et très fort. Réagir vite et fort, pour casser la contamination. Il y aurait dû avoir une stratégie rapide et globale, qui ne se donne pas pour but de contrôler plus ou moins le nombre de malades. Mais de casser la chaîne de transmission et de supprimer totalement, même si c’est de manière temporaire, la maladie sur le territoire.
Un an plus tard, on a cependant des connaissances plus précises sur comment le virus se propage. Dans les hôpitaux, on sait mieux comment empêcher la maladie de devenir très grave et comment sauver les gens, donc les hôpitaux sont moins engorgés.
Quelle est votre position au sujet de la vaccination contre le Covid ?
Je pense que l’affaire du vaccin illustre encore et malheureusement tous les défauts de la gestion capitaliste des problèmes de santé et de la gestion occidentale du Covid. Premièrement, pour ne pas arrêter l’économie et ne pas prendre les mesures radicales nécessaires, on a dès le début imposé dans la population l’idée que le vaccin était la seule solution et allait tout résoudre. Je ne suis pas anti-vaccins, les vaccins ont sauvé énormément de vie face à certaines maladies. Mais l’histoire montre que pour être « safe », un vaccin comme un médicament a besoin de longues expériences de vérifications qui doivent être évaluées non pas par ceux qui le produisent et le vendent mais par des contrôles extérieurs.
Deuxièmement, on a privilégié les vaccins de firmes occidentales qui reviennent très cher à cause du processus de fabrication, de conservation et… à cause de la soif de profit des multinationales pharmaceutiques ! Celles-ci sont terriblement intéressées à nous vendre le plus cher possible un vaccin qui n’est peut-être pas fiable et qui ne suffira en tout cas pas à résoudre tous les problèmes. Clairement, il y a eu une guerre commerciale autour du vaccin. C’est absolument scandaleux que la santé, que la survie sociale et psychologique de millions de gens soient dépendantes du fric d’actionnaires et de spéculateurs. L’affaire des vaccins confirme que la santé doit devenir un service public, comme le dit Jean Ziegler. Le Big Pharma doit être nationalisé.
Face à tout ce que vous décrivez, le citoyen est un peu démuni.
C’est vrai que la situation est très angoissante. Mais ce qui a été très encourageant, ce sont les élans de solidarité, le dévouement des infirmières, des soignants et des autres métiers importants dans la vie sociale. On a bien vu à ce moment-là qui est essentiel. La population aussi était très solidaire. On a vu des pays socialistes ou à tendance progressistes capables de bien gérer la pandémie et on a vu que des soins de santé publique basés sur le principe de précaution et pas sur l’intérêt commercial étaient performants. Il y a des raisons d’apprendre et de s’inspirer de cela. On a vu des pays comme Cuba, petit pays pauvre placé sous une guerre économique menée par les Etats-Unis avec la complicité de l’Europe, capable malgré tout d’envoyer des équipes médicales même en Italie. Tout cela donne des raisons d’espérer, à condition de réfléchir aux leçons que nous devons tirer de ce qui s’est passé.
En Suisse romande, la RTS a été condamnée par l’Autorité indépendante d’examen des plaintes en matière de radio-télévision (l’AIEP) pour sa couverture biaisée de l’envoi de médecins cubains à l’étranger. Qu’en pensez-vous ?
C’est très positif. Je pense qu’il faudrait déposer des plaintes et essayer d’obtenir le même genre de décision en France et en Belgique. Et je crois surtout que chacun doit faire pression sur les grands médias pour les obliger à ouvrir le débat y compris à des opinions qu’ils ne partagent pas. Ça ne va absolument pas ce conformisme : dans les grands médias, on ne peut débattre que si l’on est d’accord sur l’essentiel. Comme je ne me fais pas d’illusions sur un changement rapide sur ce plan, je pense que chaque citoyen doit en tirer la leçon que c’est à lui de faire l’information, de diffuser ce qu’il estime valable et sérieux, de se poser des questions, de participer à des discussions y compris sur les aspects scientifiques pour essayer de bien comprendre et de favoriser sur tous les plans la liberté de débat. Allons-nous être capables d’assurer le droit à une information valable ?
Michel COLLON,
Planète malade, Investig’action, 2020.
Et voir :
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir