Par Vladislav B. Sotirovic − Le 18 février 2021 − Source Oriental Review
Le monde, et tout particulièrement l’Occident, s’est découvert un intérêt soudain pour l’étude du terrorisme après le 11 septembre 2001 (9/11), jour où, à 8h45, un vol commercial domestique étasunien a été dérouté par des terroristes et projeté sur la tour Nord du World Trade Center, à New York. Quelques minutes plus tard, un second avion commercial frappait à son tour la tour Sud. Dans l’heure qui suivit, les deux tours s’effondrèrent, ôtant la vie à quelque 3000 personnes qui venaient de commencer leur journée de travail. Quelques heures plus tard, un troisième avion piraté frappait le bâtiment du Pentagone à Washington, le quartier général de l’appareil militaire étasunien, ôtant la vie à des centaines de personnes. Il y eut également un quatrième avion, dont on pense qu’il était destiné à être projeté sur la Maison blanche, à Washington DC, le palais du pouvoir exécutif (du président) des États-Unis ; celui-là tomba sur un champ dans une zone rurale de Pennsylvanie, des passagers s’étant rebellés contre les pirates.
Tous ces avions qui devaient être piratés le 11 septembre étaient la propriété de deux compagnies aériennes étasuniennes : United Airlines ou American Airlines. Les cibles que devaient viser les terroristes — le World Trade Center, le Pentagone, et la Maison blanche — avaient été choisis dans un seul objectif : frapper au cœur les structures politiques, militaires et économiques des États-Unis.
Note du Saker Francophone Nous avons publié un livre sur la partie Pentagone qui donne un autre éclairage de la situation que celle présentée par l'auteur du présent article.
La réponse de l’administration étasunienne fut rapide : ce fut la déclaration d’une « guerre contre la terreur ». Le président étasunien, George W. Bush, décrivit les attaques comme un acte de guerre. Un mois plus tard, cette déclaration fut suivie de la première réponse militaire d’importance : une attaque menée par une coalition dirigée par les États-Unis contre l’Afghanistan, en Asie, au mois d’octobre 2021 — un pays dirigé à l’époque par les Talibans, un groupe fondamentaliste islamiste, qui avait souvent soutenu les actions d’al-Qaeda, l’organisation terroriste supposée avoir mené les actions terroristes du 11 septembre, et où nombre des membres de cette organisation avait reçu un entraînement. Cependant, les années qui suivirent le 11 septembre furent marquées de nouveaux actes de terreur brutaux dans le monde entier, dont al-Qaeda fut encore accusée. Il y eut une attaque terroriste contre une boîte de nuit à Bali (en Indonésie) au mois d’octobre 2002, au cours de laquelle plus de 200 personnes perdirent la vie. Beaucoup d’entre elles étaient de jeunes touristes étrangers en provenance d’Australie. Suivit un attentat à la bombe dans un train à Madrid (Espagne) au mois de mars 2004, durant l’heure de pointe du matin, qui coûta la vie à environ 200 personnes. À Londres (Royaume-Uni), 52 personnes furent tuées et plusieurs centaines furent blessées par une suite d’explosions coordonnées dans trois métros et un autobus, au mois de juillet 2005.
Au mois de novembre 2002, le président G. W. Bush créa une Commission nationale pour les attaques terroristes sur les États-Unis, mieux connue sous le nom de Commission 9/11. La principale tâche dévolue à celle-ci était d’enquêter sur les faits et toutes les circonstances liés aux attaques terroristes du 11 septembre. Le rapport officiel en fut publié au mois de juillet 2004, et celui-ci présente un récit détaillé des événements amenant aux attaques. En outre, le rapport indique les échecs du gouvernement étasunien en matière d’imagination, de politiques, de moyens et d’organisation ; qui avaient permis la réalisation des actions terroristes. Le rapport se montrait critique aussi bien du FBI que de la CIA, en affirmant que l’administration étasunienne, et particulièrement son appareil de sécurité, avait échoué à percevoir la menace posée par les terroristes d’al-Qaeda. Néanmoins, les recommandations débouchèrent sur l’établissement d’un poste de Directeur du renseignement national, qui prit ses fonctions en 2005. Le Directeur du renseignement national a pour rôle de superviser la communauté du renseignement étasunien, et de conseiller le président, le Conseil de sécurité nationale, et le département de sécurité intérieure.
Bientôt, le terrorisme de l’après 11 septembre se mit à refléter un environnement sécuritaire totalement nouveau, ainsi que des instruments et stratégies de contre-terrorisme idoines. Dans ce nouvel environnement de sécurité, une nouvelle forme d’actions terroristes, avec plus de morts que par le passé, est devenue possible. Il devint impératif de traiter le concept du terrorisme qui intègre les origines historiques de deux phénomènes : la terreur, et le terrorisme.
Le terrorisme, la terreur et les terroristes
Le terrorisme est un terme qui ne fait pas l’objet d’une définition commune selon les gouvernements, les autorités étatiques, ou les analystes académiques. Étymologiquement, ce mot signifie la crainte ou la menace et par conséquent, quiconque répand la peur/menace peut être qualifié de terroriste. Néanmoins, le terme terrorisme est souvent utilisé au sens péjoratif et principalement afin de décrire des actions qui menacent la vie, commises par des groupes sous-étatiques auto-proclamés et inspirés politiquement. Cependant, si de telles actions « terroristes » sont menées au nom d’une cause largement approuvée (la lutte pour la libération ou contre l’oppression), alors le terme de terrorisme est dans la majorité des cas évité, et remplacé par des mots plus « démocratiques » et amicaux. Par conséquent, politiquement, en pratique, le terroriste de l’un est le combattant de la liberté pour un autre.
Le terme de terrorisme remonte historiquement à la grande Révolution française de 1789, au cours de laquelle des milliers de personnes (au départ, les nobles, mais rapidement, de nombreuses personnes ordinaires) furent chassées par les autorités politiques et exécutées par un instrument français spécialement conçu pour tuer — la guillotine. Cependant, le mot terreur ne fut pas inventé par les révolutionnaires. Ce furent plutôt les contre-révolutionnaires qui l’inventèrent, c’est-à-dire les gens opposés à la grande Révolution française de 1789 et à ce qu’elle défendait, et qui estimaient que les épanchements de sang constituaient une forme de terrorisation de la population française.
Le terme de terreur, au sens de l’utilisation de la violence à des fins d’intimidation, a été très utilisé au XXème siècle en relation avec les nazis allemands, ou la police secrète soviétique à l’époque de Staline. Néanmoins, on peut trouver une telle forme d’utilisation de la violence avant les origines du terme durant la grande Révolution française de 1789-1794. De fait, le terme de terreur n’existait pas avant l’automne 1789, mais la pratique de la terrorisation des gens par utilisation de la violence a existé dans des temps remontant jusqu’à l’Antiquité. Par exemple, dans les civilisations anciennes, lorsqu’une armée envahissait une ville ennemie, il était monnaie courante dans de nombreux cas de raser la ville toute entière jusqu’à la dernière pierre (comme le firent les Romains de Carthage après la troisième guerre punique de 149-146 avant JC) et d’exterminer tous les citoyens, sans considération pour leur sexe ou leur âge. Cependant, le point central d’une pratique aussi terrible n’était pas uniquement de détruire physiquement l’ennemi, mais, en fait, de créer la terreur (la crainte/menace) parmi ceux qui vivaient dans d’autres villes, et de pratiquer une démonstration du pouvoir représenté par la terreur. En d’autres termes, le phénomène d’utilisation de la violence dans l’idée de terrifier principalement les populations civiles est sans doute plus ancien que le mot lui-même.
« État » et « terrorisme soutenu par un État »
Le terme de terrorisme est cependant parfois employé, de manière très péjorative, aux morts causés par des gouvernements ou d’autres autorités étatiques, pas seulement aux actions commises par certaines organisations sous-étatiques ou par certains acteurs individuels. En d’autres termes, nous pouvons également parler politiquement de « terrorisme d’État » ou de « terreur d’État ». Malheureusement, il existe pléthore d’exemples de « terrorisme d’État », au moins d’un point de vue factuel. Par exemple, le terme de « terrorisme d’État » est habituellement usité pour décrire les actions et les politiques de certains groupes, institutions et organisations officiellement soutenus par un État, comme la Gestapo, le KGB, la Stasi est-allemande ou l’Ozna/Ubda de Tito en Yougoslavie socialiste. Leurs actions de terreur peuvent être dirigées contre des dissidents politiques, des groupes ethniques (minoritaires), des groupes religieux, ou d’autres, parmi leurs propres citoyens.
Dans la littérature académique occidentale de nature historiographique et de science politique, le terme de « terrorisme soutenu par un État » est communément utilisé aux fins de décrire les actions des autorités étatiques quant à organiser ou assister plus ou moins ouvertement divers types de groupes ou d’individus perpétrant des actions violentes dans d’autres États. Cependant, sur le terrain, on peut bien souvent y voir une simple forme de guerre de faible intensité, non déclarée, entre deux États (ou plus) souverains et internationalement reconnus. Par exemple, en 1998-1999, l’administration étasunienne de Bill Clinton a soutenu financièrement, ainsi que par d’autres moyens, l’armée de libération du Kosovo albanais, séparatiste, dans sa guerre contre l’État de la République fédérale de Yougoslavie. Néanmoins, au cours des dernières décennies, on a vu de nombreux pays arborant diverses orientations idéologiques s’engager dans la pratique du « terrorisme soutenu par un État », tout en condamnant d’autres États développant les mêmes pratiques dans d’autres occurrences similaires. Au cours de la première guerre froide, on disposait d’un exemple très illustratif de politiques de cette nature, avec l’administration étasunienne de Ronald Reagan qui dénonçait de nombreux régimes dans le monde (Libye, Iran, etc.) du fait de leurs connexions avec le « terrorisme soutenu par des États », alors que dans le même temps Washington soutenait ouvertement la violence de terreur sub-étatique contre l’État du Nicaragua, tout en maintenant des relations diplomatiques avec ce dernier. L’ironie est que sur les billets de banques étasuniens, on peut voir le portrait de George Washington qui était en réalité auteur d’une violence sub-étatique politiquement motivée (terroriste) contre le Royaume-Uni.
Les sociologues et la connotation morale du terrorisme
Les sociologues, suivis par de nombreux chercheurs en sciences sociales, sont le plus souvent en désaccord quant à la question de savoir si le terme terrorisme peut constituer un concept utile scientifiquement. En d’autres termes, il s’agit de savoir si le terme peut être utilisé d’une manière raisonnablement objective, car il s’agit d’un terme très difficile à définir. D’un côté, le problème concerne le critère moral mouvant que les gens entretiennent quant au terrorisme et les auteurs car, par exemple, on sait fort bien que techniquement, l’auteur de certains faits peut être qualifié de terroristes par certains, et de combattant de la liberté par d’autres. D’un autre côté, on sait également fort bien que certaines personnes qui ont pratiqué le terrorisme, et même les meurtres de masse, peuvent en venir par la suite à condamner la terreur tout aussi violemment qu’ils l’avaient pratiquée par le passé (par exemple, Kurt Waldheim — ancien officier nazi lors de la seconde guerre mondiale, puis devenu quatrième secrétaire générale de l’ONU et président de l’Autriche). L’un des exemples classiques prenant les États en compte est possiblement le cas de l’Israël sioniste, l’histoire d’Israël au XXème siècle (État établi en 1948) étant ponctuée d’activités terroristes (et de nettoyage ethnique), cependant qu’au siècle suivant, les gouvernements d’Israël se sont auto-déclarés parties prenantes de la politique de la « guerre contre la terreur » quant au terrorisme (potentiellement soutenu par l’Iran), désignant celui-ci comme principal ennemi. L’ancien président de la République d’Afrique du Sud, Nelson Mandela, fut jadis considéré comme un terroriste potentiel, et donc emprisonné. Néanmoins, au sujet de la terminologie du terrorisme, il faut commencer par lui retirer sa connotation morale, qui en pratique fluctue avec le temps et/ou la perspective personnelle (politique, idéologique) de l’observateur.
Le second problème dans le processus de recherche de la connotation appropriée du terrorisme concerne le rôle de l’État. En réalité, il s’agit d’un dilemme central : un État peut-il pratiquer le terrorisme, surtout s’il se préoccupe de fonctionner selon une organisation interne démocratique? En principe, l’État, par définition, doit être responsable de bien plus de morts dans l’histoire humaine que tout autre type d’organisation sociale, car il dispose du pouvoir total sur toutes sortes de forces organisées armées (police, armée, police militaire, gendarmerie, carabinieri, garde nationale, etc.). Au cours de l’histoire, les États ont bien souvent tué leurs propres populations civiles de manière brutale. Dans l’histoire contemporaine, les États commettaient même des génocides sur leurs propres territoires (génocide arménien, grec ou assyrien au sein de l’empire ottoman, génocide serbe au sein de l’État indépendant de Croatie durant la seconde guerre mondiale, etc.). Au XXème siècle, les États ont rasé des villes de manière comparable à ce qui se pratiquait dans les civilisations traditionnelles. Prenons simplement un seul exemple illustratif. Au mois de février 1945, les anglo-étasuniens détruisirent la ville de Dresde en Allemagne de l’Est par bombardements incendiaires — l’une des plus belles villes d’Europe (un musée à ciel ouvert), tuant au moins 70 000 citoyens. Le fait est que de nombre d’historiens affirment que l’attaque aérienne contre Dresde (ville pleine de réfugiés allemands en provenance de l’Est, et proclamée ville à ciel ouvert) se produisit à un moment où il ne relevait d’aucun avantage stratégique pour les anglo-étasuniens (et c’est tout à fait exact). En substance, tous les critiques de cette action anglo-étasunienne avancent que l’objectif de la destruction de Dresde était de créer la terreur et la crainte au sein de la société allemande, et par conséquent affaiblir la volonté des Allemands à poursuivre leur résistance. Il est bien connu que les événements de Hiroshima et de Nagasaki de la même année furent commis avec le même objectif que pour Dresde.
Il est suggéré de faire la différence entre le terrorisme provenant de groupes ou d’organisations extérieures à l’État. La raison est que pour d’autres cas, le concept de terrorisme s’approche fortement de celui de la guerre au sens le plus large. Par conséquent, de nombreux chercheurs partagent l’opinion qu’une forme de définition neutre peut être établie. En principe, on peut qualifier de terrorisme toute action violente menée par une organisation non-étatique, dont l’objectif ultime est de provoquer la mort ou des blessures graves à des civils ou à des non-militaires, lorsque l’objectif de cette action est, de par son contexte, d’effrayer la population, ou de contraindre le gouvernement ou une organisation internationale de pratiquer, ou de s’abstenir de pratique quelque action. Pour le dire autrement, le terrorisme vu comme phénomène concerne les attaques sur des populations civiles avec pour dessein de contraindre un gouvernement à modifier ses politiques.
Selon une définition très académique, sous le parapluie des sociologues, le terrorisme est l’utilisation calculée de la violence contre des civils innocents à des fins politiques, en particulier pour attirer l’attention du grand public dans les médias de masse. Pour pratiquer une comparaison historique, l’affaire du 11 septembre 2001 avait immédiatement monopolisé l’attention du public à hauteur de quelque 2 milliards de spectateurs, qui assistèrent à cette action de terreur en temps réel à la télévision. Pourtant, il y a environ 140 ans, en 1865, l’acteur John Wilkes Booth assassina Abraham Lincoln, président des États-Unis, dans un théâtre de Washington, mais il fallut 12 jours pour que la nouvelle parvînt en Europe (à Londres). Le navire transportant le message depuis New York eut un contact avec un plus petit bâtiment au large de la côte Sud de l’Irlande, et la nouvelle fut alors télégraphiée depuis Cork jusque Londres, ce qui accéléra de trois jours son arrivée par rapport à la vitesse du navire. Nous devons conserver à l’esprit à ce sujet que ce ne fut que dans les années 1950 qu’un câble trans-océanique (Atlantique) fut mis en service pour faire passer des messages télégraphiques rapidement d’un bord à l’autre de l’Atlantique — bien que les transmissions radios sur ondes longues entre continents fussent devenues possibles au début du XXème siècle.
En résumé, dans le domaine général des sciences sociales, il existe une notion de sens commun du terme terrorisme, désigné comme utilisation délibérée de la violence par des acteurs non-étatiques, le plus souvent à des fins politiques, lorsque cette violence est pratiquée contre des non-combattants. Cependant, en principe, de nombreuses questions pertinentes émergent du sens commun. La question centrale est de savoir pourquoi les États qui tuent des civils pour des raisons (géo)politiques ne doivent pas être également considérés comme terroristes? Dans les domaines de la sociologie et des relations internationales, c’est une idée très répandue que le terroriste de l’un est le combattant de la liberté de quelqu’un d’autre. Historiquement, mais en s’abstrayant du fardeau des événements contemporains, on peut voir que très souvent, ce sont exactement ceux qui détiennent le pouvoir qui décident qui est et qui n’est pas un terroriste. Nous devons également conserver à l’esprit que l’histoire porte souvent un jugement différent une fois que le pouvoir a basculé. En d’autres termes, nul ne peut être certain que les terroristes d’aujourd’hui ne seront pas considérés demain comme des combattants de la liberté, et vice-versa. Par exemple, les Talibans afghans avaient été en 1980 les combattants de la liberté aux yeux de l’administration étasunienne de Ronald Reagan, mais après le 11 septembre, G. W. Bush avait proclamé que ce groupe était terroriste, et avait même envahi l’Afghanistan pour éliminer leur régime. Pourtant, du point de vue des autorités soviétiques des années 1980, les Talibans étaient des terroristes, et à ce jour, pour de nombreux fondamentalistes islamistes, les Talibans, al-Qaeda ou l’état islamique sont des combattants de la liberté opposés aux ambitions impérialistes occidentales (étasuniennes) au Moyen-Orient, et/ou favorables aux vraies valeurs de l’Islam selon le Coran.
À suivre.
Vladislav B. Sotirovic
Traduit par José Martí pour le Saker Francophone
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