Pour démontrer que les socialistes étaient plus épanouis dans leurs vies personnelles, l’Allemagne de l’Est mettait en avant l’indépendance financière des femmes et la baisse corrélative du nombre de mariages motivés par des facteurs économiques. Mais au lieu d’insister sur la question de l’amour, comme l’aurait fait Kollontai, les chercheurs est-allemands ont pris la peine de démontrer que les rapports sexuels étaient plus fréquents et de de meilleure qualité. Ils soutenaient que le système socialiste améliorait la vie sexuelle des gens précisément parce que le sexe n’était plus une marchandise.
Les chercheurs est-allemands ont aussi mené toutes sortes d’études empiriques sur la satisfaction sexuelle, en particulier des femmes, dans le but de démontrer la supériorité du socialisme en la matière.
Kurt Starke et Walter Friedrich ont ainsi publié en 1984 un ouvrage basé sur leurs recherches sur l’amour et la sexualité des Allemandes de l’Est de moins de 30 ans. Ces derniers étaient, d’après les auteurs, hautement satisfaits de leur vie sexuelle, deux tiers des jeunes femmes rapportant qu’elles atteignaient « presque toujours » l’orgasme, et 18% d’entre elle disaient l’atteindre « souvent ». Selon Starke et Friedrich, il y avait un lien entre ces hauts niveaux de satisfaction sexuelle et le socialisme, qui se caractérisait par « un sentiment de sécurité sociale, un partage des responsabilités éducatives et professionnelles, une égalité des droits et des chances de participer à la société et d’y intervenir ».
D’autres travaux ont, par la suite, corroboré ces premiers résultats. En 1988, Starke s’est associé à Ulrich Clement pour mener la première étude comparative sur la vie sexuelle des étudiantes de la RDA et de la République fédérale allemande (RFA). L’étude a révélé que les jeunes est-allemandes disaient apprécier le sexe plus que leurs homologues ouest-allemandes et rapportaient un haut taux d’orgasme.
Une autre étude sur la jeunesse allemande de 1990 démontrait que les préférences des hommes et des femmes étaient plus en phase à l’Est qu’à l’Ouest : à l’Est 73% des femmes et 74% des hommes souhaitaient se marier, alors qu’à l’Ouest, c’était le cas de 71% des femmes et de seulement 57% des hommes, soit un écart de 14 points.
L’étude indiquait en outre des taux de plaisir beaucoup plus élevés chez les Allemandes de l’Est. Interrogés sur leur dernière expérience, 75% des femmes et 74% des hommes se disaient satisfaits à l’Est, tandis qu’à l’Ouest c’était le cas de 84% des hommes et d’à peine 46% des femmes. Lorsqu’on demandait aux sondés si elles étaient « heureuses » après l’amour, 82% des Allemandes de l’Est répondaient par l’affirmative, contre 52% à l’Ouest. À l’inverse, pas plus de 18% des Allemandes de l’Est se disaient malheureuses après l’amour, contre presque la moitié à l’Ouest.
Après la réunification de la RDA et de la RFA sous la constitution de l’Allemagne de l’Ouest en 1990, les deux cultures sexuelles sont entrées en collision, donnant lieu à de nombreux débats et malentendus. Les médias de l’Ouest ne supportaient pas l’idée que quelque chose puisse être mieux à l’Est, déclenchant ce que Sharp nomme la « Grande Guerre de l’orgasme ».
Extrait de Kristen Ghodsee, Pourquoi les femmes ont une meilleure vie sexuelle sous le socialisme, Lux (2020)
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