par M.K. Bhadrakumar.
Le 3 mars, le Département d’État américain a mis sur son site web une déclaration hilarante titrée « Les États-Unis s’opposent à l’enquête de la CPI sur le dossier palestinien ».
En bref, la déclaration révèle que l’administration Joe Biden a fermé les yeux une seconde fois sur la situation des droits de l’homme en Asie occidentale en refusant même de reconnaître que l’enquête de la CPI sur la « situation palestinienne » concerne avant tout les droits de l’homme.
L’argument du Département d’État se réduit essentiellement à un point bureaucratique remettant en cause la compétence de la CPI pour enquêter sur les questions de violations des droits de l’homme qui impliquent l’État d’Israël et, deuxièmement, au fait que « les Palestiniens ne sont pas qualifiés d’État souverain et, par conséquent, ne sont pas qualifiés pour obtenir l’adhésion en tant qu’État à la CPI, y participer en tant qu’État ou lui déléguer des compétences ».
La question des droits de l’homme doit être ressentie dans le sang et dans le cœur. Elles ne sont pas l’objet d’un raisonnement froid sous l’angle juridique ou de l’opportunisme politique. La déclaration du Département d’État sur le malheur palestinien rappelle ce que Pablo Picasso a dit un jour : « Apprenez les règles comme un pro, afin de pouvoir les enfreindre comme un artiste ».
Un tel sophisme pour ergoter sur la situation tragique des Palestiniens réduira les diplomates américains à escroquer les artistes sur la scène mondiale. Le fait est que l’État de Palestine est reconnu par 138 membres de l’ONU, et depuis 2012, il a le statut d’État observateur non membre des Nations unies. La Palestine est membre de la Ligue arabe, de l’Organisation de Coopération islamique, du G77, du Comité international olympique et d’autres organismes internationaux.
Les États-Unis punissent la messagère – la procureur de la CPI – pour avoir eu l’audace de soulever la question palestinienne alors qu’elle doit prendre sa retraite en juin !
Le Département d’État affirme qu’il « reste profondément engagé à assurer la justice et la responsabilité des crimes internationaux d’atrocité » mais la CPI se trouve être « une Cour de juridiction limitée ». En outre, les États-Unis estiment qu’un avenir pacifique, sûr et plus prospère pour les peuples du Moyen-Orient dépend de la construction de ponts et de la création de nouvelles voies de dialogue et d’échange, et non d’actions judiciaires unilatérales qui exacerbent les tensions et sapent les efforts visant à faire progresser une solution négociée à deux États. Nous continuerons à maintenir notre ferme engagement envers Israël et sa sécurité, notamment en nous opposant aux actions qui cherchent à cibler injustement Israël ».
Il s’agit d’un conflit risible, truffé de contradictions et de paradoxes. En quoi consiste tout cela ? En quelques mots, le Département d’État dit : « Montrez-moi le Visage et je vous montrerai la Règle ». Mais qu’est-ce qui dérange l’administration Biden dans l’enquête de la CPI sur Israël ? D’un point de vue israélien, lisez le rapport d’Axios intitulé « La Cour pénale internationale ouvre une enquête sur les crimes de guerre israélo-palestiniens ».
Il s’agit fondamentalement du même état d’esprit cynique qui a poussé l’administration Biden à se cacher alors qu’elle aurait dû, en toute bonne foi, sanctionner le prince héritier saoudien pour avoir ordonné le meurtre de Jamal Khashoggi qui, soit dit en passant, se trouvait être un résident des États-Unis en plus d’être un « atout stratégique » de l’appareil de sécurité américain.
L’administration Biden n’a pas de mots pour expliquer sa lâcheté. En plus de cela, elle a changé d’avis de façon maladroite et a décidé, après mûre réflexion, de supprimer trois noms saoudiens qui figuraient à l’origine dans le rapport de la CIA sur le meurtre de Khashoggi publié par la Maison Blanche vendredi dernier. Apparemment, cela est dû au fait que ces trois hommes de main de l’appareil de sécurité saoudien sont également des interlocuteurs avec lesquels les agences de sécurité américaines continuent de faire des affaires. Comment les États-Unis pourraient-ils sanctionner leurs propres collaborateurs saoudiens ?
Tant dans le cas d’Israël que dans celui du prince héritier saoudien, si les États-Unis se trouvent dans une situation aussi difficile, c’est uniquement parce que Washington a toujours été complice des violations des droits de l’homme commises par Israël et l’Arabie Saoudite. Les États-Unis ont tellement de sang sur les mains que tous les parfums d’Arabie ne peuvent les nettoyer.
Il est certain qu’Israël n’aurait pas pu s’en tirer impunément avec un tel meurtre sans la certitude qu’il peut se cacher derrière les États-Unis si jamais une heure de jugement lui était imposée. Quant à l’Arabie Saoudite, elle a commis des crimes horribles en matière de droits de l’homme uniquement parce qu’elle a été l’outil géopolitique préféré des États-Unis au cours des dernières décennies.
Pourquoi la CIA a-t-elle décerné à l’ancien prince héritier saoudien Mohammed bin Nayef la médaille George Tenet en 2015 ? Mike Pompeo, en tant que chef de la CIA, s’est rendu à Riyad pour remettre personnellement la médaille au prince Nayef ! Pour dire les choses simplement, les hauts fonctionnaires américains des administrations successives ont nagé dans la même rivière de sang que le prince Nayef dans l’indicible « guerre contre le terrorisme ».
Aujourd’hui, l’administration Biden n’ose pas ennuyer le prince héritier saoudien Mohammed ben Salman, 35 ans, qui a de fortes chances de succéder à son père lorsque le moment sera venu de devenir le prochain monarque et qui pourrait diriger le royaume pendant des décennies – bien que le célèbre expert sur l’Arabie Saoudite et ex-agent de la CIA Bruce Riedel de la Brookings Institution sache mieux que quiconque qu’en réalité MBS est moins sûr que l’administration ne le pense.
Le 3 mars, dans son « premier grand discours en tant que secrétaire » intitulé « Une politique étrangère pour le peuple américain », prononcé depuis la salle Ben Franklin, un lieu chargé d’histoire au sein du Département d’État, Blinken s’est défendu de prétendre être un défenseur des droits de l’homme. La douche froide de réalisme qui a suivi le fiasco de Khashoggi l’explique probablement.
Blinken avait déjà affirmé que le thème des droits de l’homme serait au centre de la politique étrangère américaine. Mais, d’un air apaisé, il a énuméré hier les « huit grandes priorités de l’administration Biden en matière de politique étrangère » comme suit : Le Covid-19 et la sécurité sanitaire mondiale ; la reprise économique ; la « consolidation » de la démocratie face à l’autoritarisme et au nationalisme ; « un système d’immigration humain et efficace » ; la « revitalisation » des liens avec les alliés et les partenaires ; la crise climatique et la révolution de l’énergie verte ; le « leadership technologique » des États-Unis ; et les relations avec la Chine.
Blinken a décidé qu’une croisade pour les droits de l’homme ne marchera pas si elle est exposée à un double langage et à l’hypocrisie. En dépit d’un démarchage aussi vigoureux de la part de la Maison Blanche, l’ANASE a refusé de soutenir le programme de changement de régime anglo-américain au Myanmar.
Même le plus proche partenaire des États-Unis au sein de l’ANASE, Singapour, a conseillé « la réconciliation nationale et la stabilité » et un « compromis négocié à la situation actuelle » au Myanmar, et, surtout, a souligné la nécessité « d’engager, plutôt que d’isoler » ce pays.
source : https://www.indianpunchline.com
traduit par Réseau International
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