Cette prise de pouvoir politique par la classe cognitive ne s’applique pas qu’aux personnes mais de plus en plus à tout l’appareil des partis et du militantisme politique, et les électeurs eux-mêmes sont de plus en plus divisés en fonction de leur niveau d’instruction.
Les voies menant à la politique ont changé ces dernières décennies d’une manière qui a profité aux plus diplômés. Les partis politiques de masse, les syndicats, les églises et les associations féminines traditionnelles sont sur le déclin, tandis que les groupes de pression, les ONG, les lobbies et les forums Internet de tout poil ont vu le nombre de leurs adhérents augmenter.
Autrefois, les partis politiques de masse et les syndicats, dont les adhésions et les intérêts se transmettaient souvent par le biais de liens familiaux, fournissaient une éducation politique de base aux moins instruits.
Les plus petits partis « de cadres » d’aujourd’hui sont souvent gérés par des gens qui ont milité à l’université, puis ont eu une carrière en lien avec la politique – ils ont travaillé pour un groupe de pression, dans les médias, dans un laboratoire d’idées ou en tant qu’assistant parlementaire – qui leur a fourni une expérience et un réseau utiles.
En quoi la prise de pouvoir par une élite très instruite, ce vieux rêve de Platon, est-elle un problème? Est-ce qu’il n’est pas logique de mettre les plus intelligents, ou en tout cas les mieux formés, à la tête de nos institutions politiques?
Jusqu’à un certain point, oui. Mais cette prise de pouvoir de la politique par la classe cognitive pose deux gros problèmes. Le premier et le plus grave, c’est que cette classe a tendance à suivre ses propres intérêts et ses intuitions, tout en étant sincèrement convaincue de servir le bien commun. Et le second, c’est qu’il se trouve qu’un diplôme universitaire n’est pas forcément la meilleure des formations pour une vie en politique.
Il n’existe pas de raison intrinsèque qui empêcherait les plus instruits de représenter les intérêts des moins instruits, particulièrement sur des sujets socio-économiques traditionnels droite-gauche, sur lesquels quelques convergences sont apparues ces dernières années à mesure, en gros, que la classe moyenne devenait de moins en moins de droite et la classe ouvrière s’éloignait peu à peu de la gauche.
Sur des sujets socioculturels comme l’immigration, le multiculturalisme, la mondialisation, la souveraineté nationale et l’intégration européenne, c’est une tout autre histoire, et nous avons été témoins d’une divergence dans la plupart des pays riches en fonction du niveau d’études. Comme on l’a vu, 75% des moins diplômés ont voté en faveur du Brexit, et environ la même proportion de diplômés ont voté contre; le même genre de fossé électoral a été constaté dans le vote Trump en 2016.
Les plus instruits – généralement plus aisés et libéraux que la moyenne – ont également voix au chapitre de façon disproportionnée dans le système politique et ils s’en servent pour façonner la société au moins partiellement dans leur propre intérêt.
Extrait du livre de David Goodhart, La tête, la main et le cœur. La lutte pour la dignité et le statut social au XXIe siècle (Les arènes, 2020)
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