Québec protège 17% de son territoire

Québec protège 17% de son territoire

Sylvain Delagrange, Professeur de Sciences Naturelles à l’UQO, membre du Centre d’Étude de la Forêt et membre du regroupement Des Universitaires (https://desuniversitaires.org/);
Marie-Eve Roy, Biologiste, candidate au doctorat sur l’aménagement forestier à l’UQO, membre du Centre d’Étude de la Forêt, membre du comité Biodiversité de la MRC Papineau et membre du regroupement Des Universitaires (https://desuniversitaires.org/);
Gilles Martel, Fondation Biodiversi-Terre, membre du comité Biodiversité de la MRC Papineau;
Patrick Gravel, Botaniste, Coopérative des Forêts et des Gens, membre du comité Biodiversité de la MRC Papineau.

Le 17 décembre 2020, à quelques jours de Noël, le gouvernement prenait à nouveau par surprise le milieu forestier et les acteurs environnementaux en créant une grande aire protégée dans le nord québécois et en affirmant que l’objectif de protection de 17% du territoire était atteint. Sous le choc, la nouvelle avait même été d’abord perçue par certains groupes comme une action positive, mais rapidement, les acteurs du milieu ont réalisé à quel point il s’agissait, là encore, d’une communication faussement positive qui camouflait en réalité une erreur écologique et un drame humain.

Une fausse bonne nouvelle

Comme souligné par plusieurs groupes environnementaux dans les médias, l’annonce de la protection d’un seul grand écosystème dans le nord, là où la biodiversité et la pression de l’être humain sont moindres, ne peut tout simplement pas être perçue comme une vraie bonne nouvelle. Il s’agit même plutôt d’une erreur écologique grossière allant à l’encontre des grands principes de conservation des écosystèmes et des recommandations de l’ONU en matière de protection de la biodiversité. L’inquiétude grandit d’autant plus, alors que le Ministre Dufour (Ministère de la Forêt de la Faune et des Parcs) annonce, dans la foulée, sa volonté de doubler l’exploitation forestière sur les soixante prochaines années pour relancer l’économie québécoise. Si les dernières vieilles forêts du sud du Québec devaient devenir la cible de cette augmentation de la coupe forestière, il en serait alors fini des quelques refuges biologiques du Québec méridional.

De plus, à cette erreur écologique s’ajoute un drame humain à grande échelle. De l’Outaouais à la Gaspésie, de l’Abitibi à l’Estrie, il est important de se rappeler que si plus de 80 territoires d’exception étaient sur le point d’être protégés, c’était grâce aux fruits d’un travail colossal, effectué depuis près de douze ans. En effet, au cours d’un processus lent et démocratique, fonctionnaires du ministère de l’Environnement, élus municipaux, représentants des Premières Nations, biologistes, industriels et groupes de citoyens bénévoles s’étaient consultés, année après année, pour arriver à des consensus sur la localisation de ces territoires. Pour chacun de ces projets, les acteurs locaux avaient travaillé à faire la démonstration du caractère exceptionnel des écosystèmes en s’appuyant sur des inventaires terrains, de nombreuses consultations et le dépôt de tout aussi nombreux mémoires.

Le 17 décembre 2020, le gouvernement a, en une simple déclaration, littéralement détruit cette précieuse mobilisation citoyenne, balayé du revers de la main le processus de consultation publique et ignoré douze années de travail des fonctionnaires d’un de ses ministères (Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les Changements Climatiques). Par cette action arbitraire, le gouvernement illustre le peu de considération qu’il semble porter à la protection de la biodiversité et à la mobilisation citoyenne.

Encore cette recette au goût amer

Ce n’est malheureusement pas la première fois que le gouvernement nous sert cette recette de « bonnes » nouvelles qui incarnent finalement de mauvaises décisions environnementales.

À la fin de l’année 2019, le gouvernement annonçait avoir assoupli les règles entourant la définition des aires protégées afin d’en faciliter la création. L’assouplissement, consistant à autoriser des activités forestières dans les aires protégées, s’avère plutôt préjudiciable à la conservation, puisqu’il permet maintenant des coupes forestières dans un territoire protégé, ou encore, de protéger un territoire venant d’être coupé.

À la même période, le Ministre Dufour (MFFP) cédait à l’industrie forestière des territoires qui avaient pourtant été réservés quelques années auparavant pour la protection du Caribou. Annoncée comme une bonne nouvelle pour la reprise industrielle, la décision avait ensuite déclenché la colère des spécialistes québécois de la grande faune.

Un peu plus tôt encore, en marge des marches citoyennes pour le climat de septembre 2019, le même Ministre Dufour annonçait en grandes pompes une nouvelle politique de lutte aux changements climatiques passant par la coupe des vieilles forêts qui, selon lui, ne remplissent plus leur rôle de fixatrices de gaz à effet de serre. La communauté scientifique s’était, là aussi, largement indignée devant l’ignorance qu’incarnait le ministre vis-à-vis du rôle pourtant crucial que tiennent les vielles forêts dans la fixation du CO2 et le maintien de la biodiversité.

Changeons la recette : optons pour la science

Habituellement, la recette gagnante d’un système viable et durable se construit sur des fondements scientifiques consensuels ainsi qu’avec les ingrédients de base que sont l’humilité (qui garantit d’agir sous le principe de précaution), l’honnêteté (qui permet de conserver la confiance de tous en nos actions) et la pérennité (qui nous assure de garder une vision à long terme de nos actions).

Ce que nous demandons, c’est d’appliquer cette recette à nos forêts méridionales. En effet, il ne s’agit pas ici d’abolir la coupe forestière mais bien d’assurer que cette dernière ne s’étende pas à l’ensemble du territoire forestier afin de créer des refuges biologiques véritablement et durablement à l’abri de l’action humaine.

Dans les douze dernières années, les consensus acquis par des centaines d’acteurs locaux ont identifié, sur des bases scientifiques, quelques dizaines de territoires d’exception qui totalisent moins de 4% du territoire québécois. Nous demandons la protection de ces territoires qui sont cruciaux pour l’établissement d’un réseau d’aires protégées écologiquement représentatif de notre biodiversité et qui, compte tenu de leurs superficies, ne nuiront aucunement à une industrie forestière durable.

La vraie bonne nouvelle dans ce dossier, c’est que le travail d’identification des refuges qui garantiront la biodiversité du Québec est déjà fait et qu’il ne manque qu’une simple volonté politique pour entériner leur statut de protection.

Qu’attends le gouvernement pour écouter la science et protéger notre environnement, comme il le fait actuellement pour la COVID-19?

Sylvain Delagrange, Professeur de Sciences Naturelles à l’UQO, membre du Centre d’Étude de la Forêt et membre du regroupement Des Universitaires (https://desuniversitaires.org/);

Marie-Eve Roy, Biologiste, candidate au doctorat sur l’aménagement forestier à l’UQO, membre du Centre d’Étude de la Forêt, membre du comité Biodiversité de la MRC Papineau et membre du regroupement Des Universitaires (https://desuniversitaires.org/);

Gilles Martel, Fondation Biodiversi-Terre, membre du comité Biodiversité de la MRC Papineau;

Patrick Gravel, Botaniste, Coopérative des Forêts et des Gens, membre du comité Biodiversité de la MRC Papineau.

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À propos de l'auteur L'aut'journal

« Informer c’est mordre à l’os tant qu’il y reste de quoi ronger, renoncer à la béatitude et lutter. C’est croire que le monde peut changer. » (Jacques Guay)L’aut’journal est un journal indépendant, indépendantiste et progressiste, fondé en 1984. La version sur support papier est publiée à chaque mois à 20 000 exemplaires et distribuée sur l’ensemble du territoire québécois. L'aut'journal au-jour-le-jour est en ligne depuis le 11 juin 2007.Le directeur-fondateur et rédacteur-en-chef de l’aut’journal est Pierre Dubuc.L’indépendance de l’aut’journal est assurée par un financement qui repose essentiellement sur les contributions de ses lectrices et ses lecteurs. Il ne bénéficie d’aucune subvention gouvernementale et ne recourt pas à la publicité commerciale.Les collaboratrices et les collaborateurs réguliers des versions Internet et papier de l’aut’journal ne touchent aucune rémunération pour leurs écrits.L’aut’journal est publié par les Éditions du Renouveau québécois, un organisme sans but lucratif (OSBL), incorporé selon la troisième partie de la Loi des compagnies.

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