Par Tetyana Popova-Bonnal – Février 2021
Revenons à Philip Dick via la crise et le Reset actuels, à ses romans qui traitent du thème du logement et de la survie des familles ordinaires. Dans la plupart de ses œuvres Dick nous parle des temps post-apocalyptiques qui durent interminablement et où nous nous retrouvons aujourd’hui. Le futur dystopique décrit par ce très grand auteur, la dégénérescence d’une civilisation dominée par des milliardaires et des bureaucrates tarés, nous le vivons maintenant.
Pour l’écrivain, le facteur moteur qui pousse le récit vers la science-fiction est la bombe atomique ou la conquête de l’espace. Sans l’un et sans l’autre les gens modernes se retrouvent dans les conditions « post-atomiques » – masqués jusqu’aux cheveux, effrayés jusqu’à ne pas sortir de chez soi et haïr son prochain. Sans aucune bombe le monde se réduit en poussière… On se retrouve directement dans le décor du roman « Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? » (Do Androids Dream of Electric Sheep?), écrit en 1968 et si bien mis en scène par sir Ridley Scott dans son « Blade runner ». Les vieilleries, le « junk », la poussière, les ordures sont des personnages de plein droit dans ce texte ; ils envahissent le monde, l’espace, ils prennent les dimensions surréelles. « Les vieilleries – les choses inutiles comme des enveloppes déchirées, des boites vides des allumettes, des emballages du chewing-gum ou des serviettes hygiéniques. Quand il n’y a personne à côté – ce junk se reproduit. Par exemple, si vous ne jetez pas tout cela à la poubelle le soir avant de vous coucher, le matin le junk doublera son volume. Partout il prend de plus en plus de place ». La planète entière est couverte des immeubles abandonnés et semi-ruinés. Cela nous rappelle les visions des villes industrielles américaines abandonnées et dévastées, décrites par Jim Jarmusch – Detroit, Cleveland etc.
Si dans « Les androïdes rêvent-ils… », les personnages peuvent choisir une ruine du mégapole pour se loger, dans les romans comme « The Simulacra » (Simulacres) de 1964, « The man who Japed » (Le Détourneur) de 1956, la situation immobilière est encore plus comique (ou tragique si vous voulez). La planète est surpeuplée et l’humanité doit se nicher dans les appartements microscopiques. Et si dans le beau film « Un Américain à Paris » la vision d’un appartement bohème parisien est plutôt sympathique, chez Dick l’image du logement moderne atteint des dimensions monstrueuses. Dans « The man who Japed » (L’homme qui a fait une plaisanterie – cette traduction nous semble plus juste) le personnage principal Allen Purcell (Dick adorait la musique baroque !) avec sa jeune épouse habite dans une chambrette d’un immeuble multi-étagé, et même ce logement est considéré comme privilégié – bien que sa cuisine se cache dans un mur, et que sa femme doit se laver à l’étage (pensons à tous nos parisiens qui sont contents de se trouver une chambre de sept mètres carrés à 800 euros par mois, et où ont-ils leur lavabo ? ).
La situation immobilière est pareille pour le personnage du roman « Simulacres » – il habite dans une micro-chambre d’un complexe des condominiums à plusieurs étages où on peut trouver tout – du service d’un psychiatre ou un chapelain jusqu’à la boulangerie.
Dick souligne constamment l’impossibilité de vie dans des logements pareils. Ici les résidents sont dirigés par des comités des espèces, des mesdames Merkel qui réunissent dans leurs caractères les traits des puritains, des kgbistes et des imbéciles complètes. Ces réunions à la fois communistes et féministes despotiques (le critique du féminisme est très répandue dans les œuvre de Dick) dans leurs rassemblements hebdomadaires éliminent tous les locataires suspects ou peu sûrs.
Nous trouvons une autre vision monstrueusement prophétique dans le roman « Glissement de temps sur Mars » (Martian Time-Slip, 1962) où « l’abomination de la désolation », comme disait Jésus (Marc 13-14) est encore plus folle. Cette image se manifeste dans le dessin d’un petit garçon considéré autiste qui a aperçu les futures profanations bétonnées de l’homme sur la terre martienne : « Dans le dessin du garçon, il a remarqué plus que ça. Et son père, a-t-il remarqué tout cela ? Les énormes immeubles coopératifs évoluaient lugubrement devant ses yeux… Les immeubles avaient l’air vieux, comme si le temps les détruisait. Les fissures étonnantes couvraient leurs murs jusqu’au toit ; les vitres étaient brisées. Des espèces d’herbes rigides poussaient autour. Il dessinait l’image de la désolation et de l’abattement lourd, mort et éternel ». Ainsi le nouveau riche martien voit la prophétie de son fils où il a détruit les montagnes et les paysages vierges pour une richesse éphémère du béton. Et chez nous ce béton a recouvert maintenant toute la côte Méditerranéenne, tout Monaco, tout Israël, toutes les îles exotiques, Hawaï…
Un autre variant du surpeuplement mais avec la vision de la catastrophe climatique se trouve dans le roman « Le Dieu venu du Centaure » ( The Three Stigmata of Palmer Eldritch, 1965) (nous pensons que « Le Diable » dans la traduction du titre serait plus juste). Philip Dick reprend la vision des logements monstrueux à plusieurs étages, mais cette fois les étages s’enfoncent dans la terre à cause des températures trop chaudes sur la surface ; alors les pauvres se cuisent avec l’air conditionné limité et les plus riches habitent aux étages plus bas et vont en vacances en Antarctique.
Un autre type d’avenir n’échappe pas à l’attention de Dick – l’avenir de dépopulation de la planète, où il ne reste presque plus de gens sur terre et ils ne sont presque plus capables de se reproduire – comme dans les romans « Les Joueurs de Titan » (The Game Players of Titan, 1963), « La Vérité avant-dernière » (The Penultimate Truth, 1964) et aussi en peu dans « Les androïdes rêvent-ils… ». L’écrivain voit notre planète divisée en pays, territoires et villes entre les richissimes milliardaires qui vivotent et se déplacent entre leurs immenses propriétaires sans savoir que faire à part de jouer (pensons que nous ne sommes pas très éloignés de la situation pareille avec notre cher Bill Gates – le plus grand propriétaire foncier des États-Unis qui ne rêve que nous refiler son vaccin ou son ersatz de bœuf ou ses excréments).
Mais y a-t-il une alternative pour nous ? Car nous ne sommes plus si loin de ces futurs décrits par Dick il y a soixante ans ! Chez Dick, l’issue c’est le retour vers son amour et vers la terre. Et surtout vers la terre que nous pouvons et devons cultiver, cette terre qui nous nourrit, nous donne des forces et l’espoir. Alors Dick envoie ses héros sur les terres éloignées, où il n’y a pas de béton, sur des planètes inconnues et souvent sur Mars ; par force ou par le choix propre des héros. Hélas, un simple Américain n’est pas toujours prêt à travailler. La paresse, l’ennui, le manque de talent l’empêchent souvent de réussir. Mais le grand Reset oblige les personnages à se battre pour leur vie. Ainsi l’espoir de réussir et de vivre est décrit par Dick dans « Le Dieu venu du Centaure » ( The Three Stigmata of Palmer Eldritch, 1965), « Les Chaînes de l’avenir » ( The World Jones made, 1956) et surtout dans « Dr Bloodmoney » ( Doctor Bloodmoney, or How we got Along after the Bomb, 1965). Ce dernier est plus survivaliste que les autres car les personnages doivent survivre sans pétrole, sans électricité, sans routes, sans téléphone, sans vitres, etc… Dick n’est pas idyllique dans ses descriptions futuriste, mais il nous donne l’espoir : les petites communautés rurales arrive à survivre. La ville reste cruelle et dur à vivre. Mais les gens partent dans la campagne, cultivent la terre, sauvent les troupeaux, apprécient le travail et la compagnie des bons animaux (comme le cheval ou le chien), enseignent tout à leurs enfants mieux qu’à l’école, partagent leur connaissances dans les manières différentes. En peu comme dans le « Fahrenheit 451 » les gens se réunissent pour écouter la lecture des livres sauvés ou de la musique.
L’image de cette campagne est parfois très émouvante chez Dick ; ici on sent l’arôme du bon pain et du vin authentique californien, ici les amis jouent en trio baroque du Bach. Et après le cataclysme la petite musique ne cesse pas et les deux flutes et un clavecin se réunissent et rejouent les miracles de vie grâce à Purcell et Pachelbel, musiciens baroques si aimés par notre écrivain – dans Invasion divine, Dick célèbre John Dowland…
Tetyana Popova-Bonnal
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Source: Lire l'article complet de Le Saker Francophone