Les généraux du Pentagone battent leurs tambours de guerre et le président n’a encore rien fait pour les contenir, écrit Brian Cloughley.
Par Brian Cloughley – Le 16 février 2021 – Source Strategic Culture
Certains hauts généraux et amiraux de Washington et des environs sont très occupés ces derniers temps, et leurs activités, bien qu’agressives, n’a rien à voir avec les opérations de combat en cours. Ils tentent plutôt d’influencer l’administration du président Joe Biden afin de restructurer les forces militaires, d’agrandir l’arsenal nucléaire et d’accroître les capacités de combat spécifiques. Tout cela est ce que l’on peut attendre de ceux dont les activités et les dispositions visent à organiser la destruction et la mort, mais la manière dont leurs aspirations sont exprimées n’est pas conforme à ce que l’on pourrait attendre du personnel militaire dans une démocratie.
Le ministère américain de la défense est désormais dirigé par un général à la retraite nommé par M. Biden qui a oublié la directive concernant les « activités politiques des membres des forces armées » qui stipule que « les membres en service actif ne doivent pas se livrer à des activités politiques partisanes ».
Cette instruction de longue date a été réitérée pour la dernière fois en 2008, mais on ne peut pas dire que les généraux et amiraux en aient suivi la lettre ou l’esprit, et les échelons actuels des officiers supérieurs semblent déterminés à la bafouer en publiant largement leurs points de vue personnels concernant la posture militaire de leur pays. Il s’agit là, selon toute interprétation, d’une « activité politique partisane ». Aucun gouvernement ne devrait tolérer l’ingérence des militaires.
Le 2 février, le chef d’état-major de l’armée de l’air américaine, le général Charles Q. Brown, et le commandant du corps des Marines, le général David H. Berger, ont publié dans le Washington Post un article d’opinion dans lequel ils expriment leur soutien global à la stratégie de défense nationale de 2018 mais se plaignent que « celle-ci n’a pas modifié les priorités d’investissement en matière de défense à l’échelle ou dans la mesure nécessaire pour préparer l’armée américaine à la compétition entre grandes puissances ». En d’autres termes, ils considèrent que leurs énormes forces armées, qui coûtera cette année 740 milliards de dollars, ne sont pas prêtes pour la guerre, bien que leur utilisation de l’argent des contribuables soit 11 fois supérieure à celle de la Russie et trois fois supérieure à celle de la Chine.
Pour ne pas être en reste de déclarations publiques, le lendemain, le commandant des forces armées américaines en Europe et en Afrique, le général Christopher Cavoli, prononçait un discours dans lequel il déclarait que « l’armée américaine a besoin de plus d’artillerie à longue portée et d’autres armements avancés installés en Europe pour pouvoir affronter les forces ennemies… ». Il est raisonnable de se demander si ce genre d’opinion politique est approuvé par le nouveau président.
Puis le chef du commandement stratégique, la personne responsable, entre autres, de la « dissuasion stratégique ; des opérations nucléaires et des opérations spatiales », l’amiral Charles Richard, publiait son point de vue personnel sur l’utilisation future des armes nucléaires. Dans l’édition de février du magazine de l’Institut naval, l’amiral Richard a écrit que la Russie et la Chine « ont commencé à défier agressivement les normes internationales et la paix mondiale en utilisant des instruments de puissance et des menaces de force d’une manière jamais vue depuis le sommet de la guerre froide ». Cette personne responsable de l’emploi des armes nucléaires soutient qu‘ »il existe une réelle possibilité qu’une crise régionale avec la Russie ou la Chine puisse rapidement dégénérer en un conflit impliquant des armes nucléaires, si celles-ci percevaient qu’une défaite conventionnelle risquait de menacer leur régime ou leur État… ».
Ce n’est pas une coïncidence si, début février, le Pentagone ordonnait à deux groupes d’attaque de porte-avions américains, dirigés par les USS Theodore Roosevelt et Nimitz, d’effectuer des manœuvres en mer de Chine méridionale.
Le Navy Times rapportait que « le groupe d’attaque du Roosevelt comprend la 11e escadre aérienne, le croiseur à missiles guidés Bunker Hill, l’escadron de destroyers 23 [six navires] et les destroyers à missiles guidés Russell et John Finn. Le groupe d’attaque du Nimitz comprend l’escadre aérienne 17, le croiseur à missiles guidés Princeton, le destroyer à missiles guidés Sterett et le personnel de l’escadron de destroyers 9 et du groupe d’attaque des porte-avions 11 ».
La mission de cette énorme force (qui compte au total 120 avions de chasse), selon l’amiral James Kirk, commandant le groupe d’attaque du Nimitz, était de garantir « l’utilisation légitime de la mer dont toutes les nations bénéficient en vertu du droit international », et il a été rejoint par son collègue, l’amiral Douglas Verissimo du groupe d’attaque du Roosevelt, qui a déclaré « nous sommes déterminés à promouvoir une zone Indo-Pacifique libre et ouverte ». De toute évidence, aucun des deux n’est conscient que les États-Unis refusent de ratifier la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, qui est considérée comme « la constitution des océans et représente le résultat d’un effort sans précédent, et jusqu’à présent unique, de codification et de développement progressif du droit international ». Mais cela n’empêche pas les amiraux de ces groupes d’attaque d’être fiers de leurs missions provocatrices en mer de Chine méridionale qui semblent surtout destinées à pousser la Chine à réagir.
Dans ce contexte, il est inquiétant que le chef du commandement stratégique américain ait déclaré : « Il existe une réelle possibilité qu’une crise régionale avec la Russie ou la Chine puisse rapidement dégénérer en un conflit impliquant des armes nucléaires, si ces pays perçoivent qu’une défaite conventionnelle risquait de menacer leur régime ou leur État… ».
Les forces américaines menacent la Chine dans la mer de Chine méridionale et confrontent la Russie tout au long de ses frontières – plus récemment dans la mer Noire où la marine américaine a déployé deux destroyers de missiles guidés en janvier. Selon le commandement américain en Europe, ces navires font partie de la sixième flotte qui est basée en Méditerranée « afin de promouvoir les intérêts nationaux des États-Unis ainsi que la sécurité et la stabilité en Europe et en Afrique ». Ces mêmes intérêts sont défendus par la « China Task Force » du Pentagone, dont le président Biden a annoncé la création le 10 février dernier. La mission de cet organisme de planification de la guerre est de procéder à un examen de la « stratégie et des concepts opérationnels, de la technologie et du dispositif de force » des États-Unis, conformément à la déclaration de Biden selon laquelle « c’est ainsi que nous relèverons le défi que nous tend la Chine et que nous veillerons à ce que le peuple américain remporte la compétition pour le futur ».
Oncle Joe a donc apparemment rejoint les généraux dans leur poursuite incessante de la domination militaire mondiale. De plus, il semble avoir accepté la nouvelle « Ground-Based Strategic Deterrent » ou GBSD, que le Bulletin of the Atomic Scientists décrivait, le 8 février, comme « une nouvelle arme de destruction massive, un missile nucléaire de la longueur d’une piste de bowling. Il sera capable de parcourir environ 6 000 miles, en portant une ogive plus de 20 fois plus puissante que la bombe atomique larguée sur Hiroshima. Elle sera capable de tuer des centaines de milliers de personnes en un seul tir. L’armée de l’air américaine prévoit d’en commander plus de 600. »
Ce saut imminent vers une catastrophe mondiale est conforme à la déclaration de l’amiral Richard du Commandement stratégique selon laquelle « l’armée américaine doit faire passer son hypothèse principale de « l’emploi du nucléaire n’est pas possible » à « l’emploi du nucléaire est une possibilité très réelle », et agir pour répondre à cette réalité et la décourager ».
Les officiers supérieurs de l’armée préparent les citoyens à un holocauste nucléaire définitif – car il ne peut y avoir de guerre nucléaire limitée – et l’oncle Joe Biden leur permet de communiquer directement leur opinion personnelle au peuple. Il montre son approbation envers leur « activité politique partisane », car il y a plusieurs millions d’Américains qui, par exemple, sont en désaccord avec le programme GBSD et même un très grand nombre qui soutient l’élimination de toutes les armes nucléaires.
Les généraux du Pentagone battent leurs tambours de guerre et le président n’a encore rien fait pour les contenir. Prendra-t-il seulement des mesures pour mettre fin à cette course à la guerre nucléaire ?
Brian Cloughley
Traduit par Wayan, relu par Jj pour le Saker Francophone
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