Au sommet de Ndjamena Emmanuel Macron a enchaîné les déclarations tout à la gloire de la stratégie française décidée l’an dernier : « Cet effort militaire défini à Pau a donc permis des victoires, nous a permis d’obtenir des résultats et a sauvé une deuxième fois le Sahel ». Mais, sous le vernis de ses propos optimistes, Emmanuel Macron est apparu confus, toujours à la recherche d’une boussole dans le dossier sahélien et a laissé une impression de malaise. Les déclarations du nouveau secrétaire d’Etat américain, Anthony Blinken, celle du Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterrez, le silence des Européens et les non-dits des Présidents des pays du G5, montrent que ce trouble est largement partagé. Les quelques décisions prises lors de ce sommet posent plus de questions et de problèmes qu’elles n’apporteront de solutions, tant militairement que politiquement. Leurs effets seront perceptibles rapidement, un premier bilan devrait être réalisé au cours du trimestre prochain puisque le président français s’est inscrit dans le très court terme en imposant à ses pairs sahéliens une nouvelle rencontre au printemps.
La mauvaise réputation
Avant ce sommet, les observateurs s’attendaient à de grandes manœuvres, la réduction des effectifs de Barkhane était inscrite à l’ordre du jour. Or, la seule annonce marquante de ce sommet a été celle de l’envoi de 1200 soldats tchadiens dans la zone dite des Trois frontières, qui se trouve entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Ce n’est toutefois pas un scoop, la décision avait été prise l’année dernière à Pau mais le départ de ces deux bataillons avait toujours été remis à plus tard. La prochaine élection présidentielle en avril au Tchad, où Idriss Déby se présente pour un sixième mandat, a eu raison des réticences du Maréchal. Plus que jamais, il a besoin du soutien français pour reconnaître une victoire qui sera vraisemblablement contestée, compte tenu des manifestations en cours dans son pays.
En revanche, les réserves des chefs d’Etat malien, nigérien et burkinabè demeurent, leurs armées ne voient jamais d’un bon œil l’arrivée de soldats africains sur leur territoire. Si les deux premiers présidents ont fini par approuver l’arrivée de ces militaires sur leur sol, le président Kaboré, lui, a fait de la résistance. Selon des sources présentes au sommet, ce point a été l’un des sujets sensibles vivement débattus lors du huis clos des chefs d’Etat. Lors de sa visioconférence, Emmanuel Macron a déclaré à ce propos « Nous sommes en train de clarifier avec le président du Burkina Faso en particulier, le positionnement du bataillon tchadien ». En clair, cette affaire n’est toujours pas réglée, alors que les Tchadiens sont sur le point d’arriver…
Ce n’est pas le seul problème que pose ce déploiement. Les militaires tchadiens sont réputés pour ne pas faire dans la dentelle comme l’avaient rapporté de nombreux témoignages lorsqu’ils avaient combattu aux côtés de Serval dans le nord du Mali en 2013. Envoyer ces soldats dans la région des Trois frontières avec une forte densité de population, c’est s’exposer à d’énormes risques en matière de droits de l’homme, avec tout ce que cela comporte en termes d’images pour tous les acteurs présents dans la zone.
Et ils sont nombreux. Dans cette région, désignée comme prioritaire à Pau, se trouvent déjà, Barkhane, la Force G5 Sahel complétée par un nombre notable d’unités des armées nationales, Takuba et les groupes armés signataires de l’accord d’Alger : plateforme et CMA. Mais pourquoi un tel déploiement, après tant de victoires, tant de résultats obtenus ?
Le chien aboie, la caravane passe…
Toujours lors de cette conférence, Emmanuel Macron a repris à son compte la vieille antienne de George W. Bush Junior en appelant à « décapiter » les groupes terroristes. Il a en outre déclaré : « Concrètement, nous avons ces dernières semaines consolidé une convergence avec nos interlocuteurs du G5 Sahel pour considérer que Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa sont des ennemis et en aucun cas des interlocuteurs. » Faire des dirigeants du JNIM une cible prioritaire n’est pas non plus un scoop, cela avait été déjà largement décrit au Sénat par Florence Parly et Jean-Yves le Drian, puis repris par ces derniers à Orléans aux côtés du chef d’état-major, François Lecointre et du patron de la DGSE, Bernard Emié.
Ce qui est nouveau et surprenant en revanche, c’est que cette stratégie ait fait consensus avec les chefs d’Etat du G5. Cette convergence de vue est d’autant plus étonnante que, selon des sources burkinabè, des négociations avec les groupes précités auraient déjà eu lieu au Burkina Faso, même si, et bien évidemment, cela ne peut pas être reconnu officiellement. D’ailleurs, la situation sécuritaire dans ce pays le prouve, le nombre d’attaques a drastiquement diminué depuis le début de l’année. Ce serait d’ailleurs la raison pour laquelle le président Kaboré s’est opposé à l’arrivée du bataillon tchadien.
La position du Mali est singulière. Depuis 2017, les Maliens n’ont jamais cessé de répéter qu’ils étaient ouverts à des négociations avec Iyad Ghali et Amadou Koufa. Les nouvelles autorités de transition sont, elles aussi, restées sur cette ligne. Mieux, trois jours après le sommet de Ndjamena, le Premier ministre, Moctar Ouane, a déclaré lors de la présentation de son programme d’action gouvernementale « Depuis 2017, de plus en plus de voix au Mali s’élèvent pour appeler au dialogue avec nos frères qui ont rejoint les groupes radicaux ». Il a donc annoncé l’organisation d’une « mission de bons offices ». A bon entendeur…
Concernant la Mauritanie, les propos du président français sont encore plus problématiques : « Nous avons aussi acté le renforcement de la pression militaire sur la Katiba Macina avec une extension de la dynamique opérationnelle dans le fuseau ouest qui est en cours de planification au travers de discussions entre les états-majors maliens et mauritaniens dans le cadre de la force conjointe du G5 Sahel. » Or, depuis 2011, la Mauritanie est le seul pays du G5 Sahel à n’avoir connu aucun attentat, aucun incident sécuritaire. Les raisons en sont multiples, d’abord c’est une République islamique, ensuite, cet Etat a su développer une approche multidimensionnelle, incluant, selon certaines informations, un pacte de non-agression avec les groupes djihadistes. Quelle que soit la réalité, il est absolument certain que si la Mauritanie sort de ses frontières pour traquer Amadou Koufa, dirigeant de la Katiba Macina, elle deviendra une cible. Pour quelles raisons les autorités mauritaniennes ont elles acquiescé à la demande du président français et accepté de prendre un tel risque ? Est-ce un oui diplomatique qui n’aura aucune suite militaire ?
La gifle
Obtenir les têtes de ces deux chefs semble être devenu pour Emmanuel Macron le symbole de la victoire française dans le Sahel. Une obsession qui explique sans doute les risques qu’il prend et son refus catégorique d’entendre la voix de ses partenaires du G5, qui eux ont compris qu’il n’y aurait pas de victoire militaire. Une posture française que ne partage par le Secrétaire général des Nations Unies, qui s’est déjà exprimé sur le sujet en octobre dernier dans une tribune du Monde. Est-ce à cause de cette divergence de vue qu’Antonio Guterrez n’a pas cité une seule fois la France dans son adresse au sommet de Ndjamena ?
Mais le coup le plus rude a été porté par le Secrétaire d’Etat américain. Lors de son message vidéo diffusé à Ndjamena, il a commencé par remercier en français, les présidents Ghazouani et Déby pour leur présidence respective du G5 Sahel de 2020 et 2021, et le secrétaire exécutif de cette institution, Maman Sidikou. Mais à aucun moment, Anthony Blinken ne fait allusion à Barkhane qui se bat pourtant depuis 8 ans dans la région. Certes, c’est une pratique courante notamment des administrations démocrates, de faire mine d’ignorer la France, mais de la part du très francophile Secrétaire d’Etat cela ne peut être interprété comme une position idéologique à l’encontre des mangeurs de grenouilles ! Il faut donc lire cette absence de référence à Paris comme un désaveu de sa stratégie. C’est un véritable camouflet qui devrait inquiéter le Quai d’Orsay et l’Elysée. Ces derniers ont pourtant multiplié les déclarations d’amitiés et les appels du pied à la nouvelle administration américaine, notamment en réitérant une énième fois leur demande de placer la force G5 sous sous le chapitre VII de la Charte des Nations Unies afin qu’elle bénéficie de moyens financiers pérennes. Néanmoins, les chances que Washington lève son véto sont presque nulles. Dans le Sahel, Trump n’a pas changé la politique d’Obama sur le fond, et à n’en pas douter Biden poursuivra sur la même voie. Quand les dirigeants français comprendront-ils que leur déférence n’est jamais payée en retour ?
D’autant qu’il est très loin le temps où les Etats-Unis avaient besoin de la France pour comprendre l’Afrique et c’est encore moins le cas avec l’arrivée de Robert Malley aux côtés du président américain. Même si l’ancien patron de l’International Crisis Group a été nommé envoyé spécial sur l’Iran, il sera écouté sur l’Afrique, spécialement dans le Sahel, un dossier qu’il maitrise. Pour rappel, son père, Simon Malley, fondateur du mensuel Afrique-Asie avait participé, aux côtés de Ahmed Baba Miské et d’Edgar Pisani aux négociations entre le gouvernement malien et la rébellion Touareg qui avaient conduit au pacte national de 1992. Avec un tel héritage…
Leslie Varenne
Source : Lire l'article complet par Mondialisation.ca
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