Pierre Trudeau aurait demandé à Desmarais en 1976 de rendre la vie impossible au PQ

Pierre Trudeau aurait demandé à Desmarais en 1976 de rendre la vie impossible au PQ

Un document autrefois secret du Département d’État américain suggère que l’ancien premier ministre Pierre Elliott Trudeau aurait demandé en 1976 à l’un des plus grands chefs d’entreprise du Québec de « rendre les choses aussi difficiles que possible » pour le gouvernement nouvellement élu du Parti québécois et de transférer discrètement des emplois hors de la province.

Un texte d’Elizabeth Thompson, de CBC

Dans un télégramme daté du 22 décembre de cette année-là, soit un peu plus d’un mois après l’accession au pouvoir du PQ, l’ambassadeur américain Thomas Enders a informé Washington que le premier ministre Trudeau envisagerait d’adopter une approche plus agressive avec le gouvernement Lévesque.

« Malgré ce que disent les ministres du cabinet, M. Trudeau pourrait envoyer des signaux punitifs à l’économie québécoise » , a-t-il écrit dans un télégramme classé secret. 

 Le président de Power Corporation Paul Desmarais, qui est le principal allié de M. Trudeau dans le milieu des affaires et le plus important homme d’affaires du Canada français, me dit que M. Trudeau suggère de « rendre les choses aussi difficiles que possible » pour le Québec, écrit l’ambassadeur. M. Desmarais, dont les entreprises emploient 48 000 personnes au Québec, pense que M. Trudeau veut qu’il laisse intactes les structures organisationnelles de son entreprise dans la province, tout en transférant dans le reste du Canada autant d’opérations et d’investissements que possible. L’idée serait de faire passer le taux de chômage provincial de 10 % à  5 % ou même à 20 % l’année suivante. 

Paul Desmarais en compagnie de deux autres hommes au Centre de commerce mondial de Montréal.

Paul Desmarais était en 1976 le principal allié de M.Trudeau dans le milieu des affaires et le plus important homme d’affaires du Canada français.

Photo : Reuters / Shaun Best

Selon ce télégramme, M. Desmarais n’était pas le seul homme d’affaires à avoir parlé avec Thomas Enders.

Le président du Canadien Pacifique Ian Sinclair, qui est l’homme d’affaires le plus influent du pays et qui a également contacté M. Trudeau pour obtenir des conseils, me dit qu’il n’a pas reçu la consigne de se retirer [du Québec], mais qu’il n’a pas non plus reçu d’encouragements pour y rester, poursuit-il.

Forcer le PQ à se prononcer sur des enjeux économiques

Un mois plus tôt, le 18 novembre 1976, Thomas Enders avait envoyé un télégramme au département d’État décrivant une conversation de 40 minutes qu’il avait eue avec le premier ministre Trudeau au sujet des tactiques à adopter suivant l’élection du PQ. M. Trudeau lui avait notamment dit que les débats – plutôt que de porter sur Ottawa, ce qui aurait pour effet d’unifier le PQ – devraient plutôt porter sur des enjeux économiques, ce qui pourrait diviser le parti.

Si jamais le gouvernement du Québec se voit forcé de prendre des décisions sur la propriété de l’industrie et des ressources, les avantages sociaux, les droits des employés et des employeurs, il sera soumis à de graves tensions internes, avait écrit l’ambassadeur au Département d’État.

M. Trudeau a fait remarquer que ces tensions seraient amplifiées par la nécessité de s’entendre avec les investisseurs étrangers, poursuit-il. Il a convenu que les investisseurs ne devraient prendre aucune mesure précipitée pour se retirer ou investir au Québec, mais qu’ils devraient plutôt adopter une attitude d’attente pour indiquer clairement au nouveau gouvernement qu’ils souhaitent être rassurés sur leur avenir dans la province.

Il donne une conférence de presse.

L’ancien ambassadeur des États-Unis au Canada Thomas Enders (1977)

Photo : Radio-Canada

Les télégrammes font partie de plusieurs documents récemment republiés par le Bureau de l’historien du département d’État américain dans le cadre de sa série « Relations extérieures des États-Unis ».

Ces documents ont été discrètement déclassifiés il y a plusieurs années.

Diplomate de carrière, Thomas Enders a été ambassadeur au Canada de 1976 à 1979. Il est décédé en 1996. Pierre Elliott Trudeau est mort en 2000 et Paul Desmarais en 2013.

C’est majeur, dit Lisée

Le journaliste et auteur Jean-François Lisée, qui a dirigé le PQ de 2016 à 2018, a obtenu des milliers de documents du gouvernement américain sur le mouvement souverainiste du Québec pour son livre primé en 1990 Dans l’œil de l’aigle. Il décrit le télégramme de Thomas Enders comme une bombe.

C’est majeur, nous n’avons jamais rien su de tout ça, a déclaré M. Lisée, ajoutant que les télégrammes cadraient avec d’autres documents qu’il a obtenus pour son livre.

On ne sait pas jusqu’où c’est allé et à quel point ça a été efficace, mais cette tentation de saboter une partie de l’économie québécoise semble avoir fait partie de la stratégie dès le début, a-t-il ajouté.

C’est non seulement la première preuve, c’est aussi le premier témoignage direct d’un acteur majeur, M. Desmarais, à une source irréprochable, M. Enders, voulant que cela ait été en jeu.

Jean-François Lisée ajuste ses lunettes.

Jean-Francois Lisée a dirigé le Parti québécois de 2016 à 2018.

Photo : La Presse canadienne / Paul Chiasson

Selon M. Lisée, les documents montrent que Pierre Elliott Trudeau était prêt à sortir des limites habituelles du débat démocratique pour contrer le mouvement souverainiste, comme lorsque la GRC a espionné le Parti québécois.

Un malentendu, croit Marc Lalonde

Cela dit, Marc Lalonde, qui était un membre clé du cabinet Trudeau à l’époque, remet en question le récit de Thomas Enders sur sa conversation avec Paul Desmarais, affirmant que le compte rendu diffère de ce que les membres du cabinet disaient aux chefs d’entreprise après l’élection du PQ, en 1976.

Marc Lalonde feuilletant des documents.

Marc Lalonde a été un membre clé du cabinet Trudeau au moment de l’accession du Parti québécois au pouvoir, en novembre 1976.

Photo : La Presse canadienne / Fred Chartrand

La déclaration au sujet de M. Desmarais, je ne pense pas qu’elle représente ce qu’il avait compris à l’époque. S’il a compris ce que rapporte l’ambassadeur, alors il y a eu un malentendu dans la transmission de l’information, car j’ai parlé à M. Desmarais moi-même à plusieurs reprises pendant cette période.

Il y avait une grande inquiétude dans le milieu des affaires québécois, qui avait peur d’investir, a-t-il expliqué, ajoutant que le gouvernement fédéral avait également dit aux entreprises qu’il comprendrait si elles choisissaient de faire de nouveaux investissements à l’extérieur du Québec.

Notre objectif n’était pas d’encourager le désinvestissement.

Marc Lalonde, ancien ministre du cabinet Trudeau

M. Lalonde a rappelé que le Québec a traversé une période économique difficile après la crise d’octobre 1970. Selon lui, le gouvernement Trudeau ne voulait pas d’une autre crise économique qui l’obligerait à dépenser d’importantes sommes d’argent pour soutenir l’économie de la province.

Power Corporation se défend

Stéphane Lemay, vice-président de Power Corporation, a fait savoir qu’il ne pouvait pas commenter le document et la référence à M. Desmarais étant donné qu’il s’agissait d’une prétendue conversation entre deux personnes décédées depuis.

Cependant, il a mentionné que Paul Desmarais n’avait pas supprimé d’emplois au Québec pendant cette période.

Les actions de M. Desmarais et du groupe d’entreprises Power, pendant toutes les années concernées, ne soutiennent pas du tout la théorie qui est avancée dans le document, a-t-il écrit dans une réponse par courriel à CBC News. L’entreprise, a poursuivi M. Lemay, n’a pas déplacé d’emplois, d’opérations ou d’installations hors du Québec pendant cette période.

En fait, à la suite de l’élection du Parti québécois en 1976, M. Desmarais encourageait les chefs d’entreprise à maintenir leurs activités à Montréal et dans la province de Québec.

Le bureau du premier ministre Justin Trudeau a refusé de commenter.

Trudeau et Enders s’aimaient bien

Graham Fraser, chercheur principal à l’Université d’Ottawa et auteur de l’essai PQ: René Lévesque and the Parti Québécois in Power, a déclaré que le télégramme lié à Paul Desmarais était une nouvelle pour lui, mais que c’était aussi une époque où le gouvernement Trudeau avait été pris par surprise par l’élection d’un gouvernement souverainiste au Québec et se demandait comment réagir.

Je pense qu’il est acquis qu’à cette époque, toutes sortes d’idées comme celles-là circulaient.

Graham Fraser, auteur de l’essai PQ: René Lévesque and the Parti Québécois in Power

M. Fraser a également été frappé par l’un des autres documents récemment publiés, dont une note de conversation entre MM. Trudeau et Enders, lors de leur première réunion en mars 1976, qui a également été classée secrète à l’époque. Pour lui, il est clair que les deux hommes s’aimaient bien.

C’est une conversation au cours de laquelle ils ont couvert toute une gamme de questions canado-américaines dans lesquelles ils étaient assez peu diplomatiques d’une certaine manière, allant bien au-delà de leurs mandats respectifs pour parler de manière assez théorique et hypothétique de ce que les gouvernements pourraient faire ou devraient faire.

La note dresse le portrait d’une relation chaleureuse entre MM. Trudeau et Enders. Après avoir débattu de ces idées, ils ont convenu de continuer à se parler et de conceptualiser ensemble, bien que M. Trudeau ait demandé à son interlocuteur de ne pas partager le fruit de leurs conversations avec ses ministres.

Pour l’amour du ciel, ne leur dites pas que nous conceptualisons ensemble, aurait dit le premier ministre à l’ambassadeur.

Le lendemain, Thomas Enders envoyait un télégramme décrivant son impression de Pierre Elliott Trudeau, écrit le Bureau de l’historien.

M. Trudeau était comme annoncé : élégant, contrariant, fragile, incapable de résister à l’intellectualisation, préoccupé par des pensées galbraithiennes que peu de gens au Canada partagent avec lui. Il était également très amical.

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