Par Moon of Alabama – Le 23 février 2021
La guerre sans fin contre l’Afghanistan va se poursuivre.
Depuis presque 20 ans, les États-Unis et leur force mandataire de l’OTAN ont dépensé mille milliards de dollars pour « faire quelque chose » en Afghanistan. Ce « quelque chose » n’a jamais été clairement expliqué. Il y a eu des tentatives pour imposer une sorte de modèle de gouvernance éclairée au peuple afghan. Mais quiconque connait ce pays sait que cela ne marchera jamais.
Des pots-de-vin ont été distribués à gauche et à droite et les seigneurs de guerre afghans, dont beaucoup occupent des postes au sein du gouvernement, se sont enrichis en escroquant les forces d’occupation. Ils ne veulent naturellement pas que cela cesse. Il y a aussi des Afghans qui ne veulent pas vivre sous la coupe de seigneurs de guerre corrompus et de troupes d’occupation. On les appelle les Talibans et ils bénéficient du soutien du Pakistan et des pays arabes que les États-Unis désignent pourtant comme leur « alliés ». Les forces d’occupation ont essayé de les combattre mais après près de 20 ans de guerre, les talibans dirigent toujours la moitié du pays. Même si les seigneurs de guerre bénéficient toujours du soutien militaire des forces d’occupation, leurs troupes perdent presque chaque bataille.
Militairement, la guerre contre les talibans est perdue depuis longtemps. Même avec les 100 000 soldats « occidentaux » envoyés par l’administration Obama, il n’y a eu aucun moyen de la gagner.
Le président Donald Trump a fait des efforts pour mettre fin à cette guerre inutile. Il a négocié avec les talibans pour retirer toutes les forces « occidentales » d’ici le 1er mai. L’accord engage également les talibans à ne pas attaquer ces forces et à négocier avec le gouvernement des seigneurs de guerre à Kaboul sur un partage du pouvoir. Ils ont accepté cela après que les États-Unis ont promis que les prisonniers de guerre talibans, détenus par le gouvernement afghan, seraient libérés.
Le gouvernement afghan n’avait et n’a bien sûr aucun intérêt à perdre le pouvoir. Du moins, pas tant qu’il sera toujours soutenu par l’argent « occidental ». Il ne voulait pas non plus laisser partir les prisonniers car ceux-ci se retourneraient et se battraient à nouveau contre lui. Il y a un an, l’administration Trump a menacé de fermer le robinet financier si le gouvernement afghan ne respectait pas les conditions négociées :
Face à l'effondrement des négociations de paix afghanes avant même qu'elles ne commencent, l'administration Trump a menacé de retenir jusqu'à 2 milliards de dollars d'aide si le président Ashraf Ghani et son principal rival ne mettaient pas de côté leurs divergences politiques et n'ouvraient pas de négociations avec les talibans. ... Cette menace est le signe le plus clair que l'administration Trump se distancie de son allié afghan et se rapproche des talibans. Ces vieux adversaires des États-Unis sont en effet devenu méfiants alors que le président Trump cherche à retirer des milliers de soldats américains avant les élections de novembre et à mettre fin à la plus longue guerre dans laquelle est engagée l'Amérique. ... Le gouvernement de Kaboul est fortement dépendant de l'aide internationale. L'aide américaine devait s'élever à 4,3 milliards de dollars cette année, dont la totalité, sauf 500 millions, était destinée à la formation et à l'équipement de l'armée afghane.
La menace a fonctionné comme prévu. Mais lorsqu’il est apparu clairement qu’une nouvelle direction allait prendre le contrôle de la Maison Blanche, le gouvernement afghan a de nouveau tenté de bloquer le processus. Aujourd’hui, les pourparlers ont repris mais il est peu probable qu’ils aboutissent à des résultats :
Les pourparlers de paix entre les talibans et le gouvernement afghan ont repris à Doha, la capitale qatarie, après des semaines de retards, d'escalade de la violence et de changement de direction de la diplomatie américaine, sous l'administration Biden. Le porte-parole des talibans, Mohammad Naeem, a tweeté lundi soir la reprise des pourparlers, qui sont le résultat d'un accord entre le groupe armé afghan et les États-Unis en février 2020. Mais l'administration du président Joe Biden est en train de revoir l'accord, qui visait à mettre fin à la plus longue guerre que les Etats-Unis aient jamais menée. ... Lorsque les pourparlers ont pris fin abruptement en janvier, quelques jours après leur début, les deux parties ont soumis leurs listes de souhaits pour des ordres du jour qu'elles doivent maintenant passer au crible pour convenir des points de négociation et de l'ordre dans lequel ils seront abordés. La priorité pour le gouvernement afghan, Washington et l'OTAN est une réduction sérieuse de la violence qui peut conduire à un cessez-le-feu, les Talibans ont jusqu'à présent résisté à tout cessez-le-feu immédiat. Washington examine l'accord de paix de Doha que l'administration Trump avait signé avec les talibans, alors qu'un consensus se dégage à Washington sur la nécessité de reporter la date limite de retrait. Les talibans ont résisté aux suggestions de prolongation, même brève.
Sans pression financière, il n’y a aucune chance que le gouvernement afghan et les talibans parviennent un jour à un accord de partage du pouvoir. Même si un accord était conclu, il y a peu de chances qu’il soit respecté par toutes les parties. Le conflit risque de reprendre et les talibans le gagneront.
La conséquence évidente devrait être de simplement suivre le plan de Trump et de partir dès que possible.
Mais Trump était un mauvais gars et c’est pourquoi l’administration Biden examine trois options :
Si les États-Unis partent dans les trois prochains mois, il est probable que les talibans renverseront le gouvernement afghan soutenu par les États-Unis et aggraveront une fois de plus la situation de millions d'Afghans, en particulier des femmes et des enfants. Rester un peu plus longtemps en Afghanistan retarderait probablement cette prise de pouvoir, mais cela reviendrait aussi à dépenser le peu de capital diplomatique que les États-Unis ont avec les talibans et à mettre les troupes américaines en danger. Enfin, violer les termes de l'accord et rester indéfiniment conduira presque certainement les talibans à relancer leur campagne, mise en veilleuse avant l'échéance du 1er mai, pour tuer les militaires américains dans le pays.
Biden pourrait suivre l’accord de Trump avec les talibans et ordonner aux troupes de rentrer chez elles. Il pourrait vendre cela comme une victoire et la réalisation d’une promesse de campagne.
Mais avec le retour du « blob » au pouvoir, cette option avait peu de chance de survivre :
Les rédacteurs en chef du Washington Post et du Wall Street Journal ne sont peut-être pas d'accord sur beaucoup de choses, mais ils sont tous deux déterminés à s'opposer à la sortie des forces en Afghanistan alors que notre guerre dans ce pays approche de son 20e anniversaire, en soulevant les problèmes d'un "retrait irresponsable". Pendant ce temps, les membres de l’establishment conservateurs comme le chroniqueur du Washington Post, Max Boot, et sa cohorte de centre gauche, David Ignatius, ainsi que Madeleine Albright, font cause commune pour le maintien des troupes en Afghanistan comme étant "la meilleure option" pour Biden. Les partisans du "maintien", dont des républicains comme Lindsey Graham qui font la tournée des médias, viennent peut-être tous de différents points de la grille politique de Washington, mais le fait que les États-Unis restent engagés dans un conflit désastreux et impossible à gagner les réunit. Leurs messages sont diffusés et amplifiés par les médias sociaux et les amis de l'establishment, ainsi que par les grands médias câblés. Ainsi, le consensus est en train de naitre.
Le blob aime généralement affirmer que « toutes les options sont sur la table ». Ici, il a tenu à en retirer une :
De nombreux responsables américains m'ont dit ces derniers jours que la révision de la politique de l'administration en Afghanistan touche à sa fin, l'un d'entre eux m'a dit qu'ils s'attendaient à ce que Biden prenne une décision "très bientôt". "Je ne sais pas dans quelle direction le président va aller", a déclaré ce fonctionnaire qui, comme d'autres, m'a parlé sous le couvert de l'anonymat pour parler librement d'une délibération sensible sur la sécurité nationale. Une autre personne connaissant bien les discussions sur l'Afghanistan m'a dit qu'il est clair qu'un retrait complet d'ici le 1er mai est "hors de question".
Cela démontre une fois de plus que les États-Unis ne sont pas capables de tenir un engagement. En restant après le 1er mai, l’administration Biden violera un accord international que l’administration précédente avait conclu.
Il est peu probable que les talibans acceptent le séjour prolongé des troupes américaines. Ils annuleront le cessez-le-feu et la guerre entrera à nouveau dans une phase sanglante :
Peu de gens pensent que Biden retirera toutes les troupes américaines d'ici le 1er mai, ce qui signifie qu'il maintiendra les militaires américains dans le pays, avec ou sans l'accord des talibans. S'il le fait sans leur approbation, cela pourrait conduire les insurgés à attaquer et à tuer le personnel américain en attaquant les principales villes afghanes, peut-être même Kaboul. A ce stade, le retrait d'Afghanistan sera plus difficile, selon les experts, car l'administration ne voudra pas avoir l'air de fuir le combat. Le retour à une guerre plus grave s'ensuivra probablement, entraînant plus de morts et de malheurs pour les millions d'Afghans qui ont déjà énormément souffert.
Malheureusement, la décision de l’administration Biden était tout à fait prévisible. Le complexe militaro-industriel ne permettra pas de se retirer d’un champ de bataille rentable et Biden est bien trop faible pour résister à sa pression.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé pour le Saker Francophone
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