La question de la résidence des personnes âgées « retrousse « de tous côtés. En tête de liste, viennent évidemment les CHSLD, ensuite l’aide au maintien à domicile, puis les résidences pour personnes âgées (RPA). Bien sûr, les deux premiers sujets sont prioritaires, mais pendant ce temps-là, dans l’angle mort, les propriétaires de RPA ont la bride sur le cou et en profitent aux dépens de leurs locataires.
Pourtant les RPA au Québec, c’est énorme : 1 700 résidences abritant 131 000 retraités dont le revenu moyen est de 30 000$(1).
Le secteur des RPA est laissé au secteur privé, en expansion rapide. Le coût des loyers dans les RPA est élevé et les procédures d’augmentation des loyers posent plusieurs problèmes sérieux.
En effet, en ce qui concerne les résidences construites il y a cinq ans et moins, le Tribunal administratif du logement (TAL), c’est le nouveau nom de la Régie des loyers, n’intervient pas comme régulateur des augmentations demandées par les propriétaires; les augmentations demandées par les propriétaires sont à prendre ou à laisser. C’est la loi(2). Et bien des personnes âgées ne veulent pas se taper un nouveau déménagement après un an ou deux ans et acceptent l’augmentation demandée. Or il y a des demandes d’augmentations qui sont abusives et, comme il y a beaucoup de résidences neuves et en construction, le problème a de l’ampleur.
Il semble que ce délai de cinq ans fut introduit dans la loi pour favoriser la construction d’immeubles locatifs. Or, dans le cas des RPA cet objectif est largement atteint, puisqu’il y a une sur abondance de logements en RPA (65% d’inoccupation)(3) et on en construit des nouvelles(1). Il serait temps de modifier la loi avant que cette surabondance n’en vienne à gâter ce marché artificiellement.
Actuellement, les propriétaires de RPA exigent les augmentations selon leurs calculs à eux, qu’ils ne sont pas obligés de justifier ni même de dévoiler. Ainsi a-t-on vu récemment, à la mi-janvier 2021, un propriétaire de RPA , le Groupe Château Bellevue, exiger de ses locataires des augmentations de 10 et même 20% ! Cette tentative aberrante fut rapportée par les médias et, devant les pressions venues de toute part, les propriétaires ont vitement ramené l’augmentation entre 2,1% et 5%(4).
Mais d’où sortent ces chiffres de 2,1 ou 5 %? Sur quoi se fondent-ils?
Comment sont fixées les hausses imposées par les propriétaires?
Tout récemment, des locataires d’une des résidences du Groupe Maurice, située boulevard Crémazie à Montréal, ont signé une pétition de 215 noms contestant une augmentation de 2,5% qui est exigée d’eux pour la renouvellement de leur bail ; ils proposaient une hausse de 1%.
Les signataires du présent dossier ont tous signé cette pétition. La pétition a été remise aux représentants des propriétaires le 27 janvier dernier. La rencontre fut l’occasion d’une intéressante discussion entre des représentants des deux parties(5). Les représentants des pétitionnaires ont invoqué l’augmentation de l’indice des prix à la consommation, 1%, et l’augmentation suggérée par le TAL pour 2020, 1,3%, à l’appui de leur demande. Mais le propriétaire a complètement ignoré la référence à ces indices. Il a plutôt mis de l’avant les critères suivants: hausse des salaires du personnel et prix pratiqués par la concurrence.
Les représentants des pétitionnaires ont reconnu que les salaires du personnel semblent devoir être ajustés à la hausse, surtout celui des préposées aux bénéficiaires, qui ne sont pas très nombreuses toutefois. Mais les représentants des pétitionnaires ont fait valoir que le niveau actuel de leurs loyers, qui est élevé, permet probablement déjà de payer convenablement le personnel; ils refusent que les augmentations de salaire leur soient refilées à eux.
Quant au marché comme critère de hausse des loyers, c’est-à-dire la concurrence et le prix que les clients sont prêts à payer, on en reconnaitrait certes sa valeur dans un libre marché. Mais le logement, et singulièrement le logement des personnes âgées, n’est pas qu’à but lucratif. C’est aussi une responsabilité sociale.
La discussion entre propriétaires et locataires a vite atteint ses limites. En effet, si, selon certaines recherches(6), le bénéfice tiré des RPA se situe entre 6 et 10%, les locataires, eux, n’ont pas accès aux budgets des propriétaires ni à leurs études de marché.
Chez Groupe Maurice, à la résidence du boul. Crémazie, l’augmentation était 2,5% l’an dernier, de 2,5% cette année et on nous annonce entre 2 et 3% pour les années à venir. 2,5%, c’est bien au-delà de l’inflation et de la hausse des rentes des locataires. Ça semble arbitraire, décidé d’avance dans le plan d’affaires et non pas fondé sur les coûts.
Autre curiosité: Il semble notoire dans ce milieu des RPA que certains propriétaires attirent des locataires avec des loyers « raisonnables » et se rattrapent les années suivantes, sachant bien, comme le disait le représentant de Groupe Château Bellevue: « On sait que c’est un réajustement qui va faire mal, mais les options sont restreintes pour eux»(7) (sic). Ce cynisme, aussi grossier, fait la honte de certains autres propriétaires de RPA ; mais, de fait, il est répandu sous des formes plus subtiles.
Encore un exemple d’arbitraire : L’une des raisons du coût élevé des loyers dans les RPA est l’accès à des services. Services inclus dans le prix du loyer, comme les installations sportives et les activités de loisirs, services payants, comme le restaurant et les soins de santé.
On le dit sur tous les tons: les personnes âgées, surtout si elles sont à la retraite, doivent être actives pour rester en santé physique et psychologique. Et un très grand nombre de locataires de RPA ont choisi ce type d’habitation en considération de ces services.
Or l’année qui s’achève, confinement oblige, a vu la suppression de presque tous ces services, si l’on fait exception des services de santé, pendant de longs mois. Certains propriétaires d’installations (des gymnases de Montréal par exemple) ont remboursé leurs abonnés pour les services pré payés et non rendus pour cause de pandémie. La pétition dont on a parlé plus haut faisait état de ce problème et demandait qu’il soit pris en considération.
Mais les propriétaires du Groupe Maurice, eux, ont refusé, alléguant qu’ils ont fait de leur mieux pour compenser ce manque par de courts spectacles, par la livraison de repas aux portes et par des visites furtives (Covid oblige) aux locataires. Certes, cela a permis à des personnes seules de ne pas être tout à fait isolées. Mais les locataires ont été privés de services pour lesquels ils ont payé. Il faut dire, que le Regroupement québécois des résidences pour ainés « a indiqué clairement (à ses membres) qu’il est difficile de prévoir un remboursement pour leur non-utilisation »(8).
Les personnes âgées ne font pas le poids face à ces grandes entreprises!
(Pour la petite histoire, mentionnons que les locataires du boul. Crémazie ont demandé et obtenu grâce à leur pétition une compensation financière forfaitaire en raison de la non ouverture d’un supermarché promis pour avril 2019 et toujours pas en opération. Mais aucun gain concernant les 2,5% ni les services non rendus.)
Une place pour l’État, sous un gouvernement qui s’intéresse à ses « ainés »
Les propriétaires de RPA sont organisés. Ils ont même formé un lobby qui les représente auprès du gouvernement et auquel s’est joint le Groupe Maurice. Les locataires des RPA eux ne sont pas organisés. Si certaines personnes parmi eux ont la force, la compétence et le temps de se battre, elles sont peu nombreuses et elles ne pèsent pas lourd face à une industrie structurée et riche.
Des solutions existent. Elles sont prônées par des défenseurs des intérêts des ainés(9). Elles reposent sur le postulat que l’industrie des résidences pour ainés, dans sa recherche de profit, doit être encadré par l’État responsable du bien-être des personnes âgées. D’ailleurs, par un crédit d’impôt aux locataires, l’État contribue réellement à leur financement.
Essentiellement, on propose ceci:
Que le Tribunal administratif du logement (l’ex Régie des loyers) soit doté d’une nouvelle section consacrée aux RPA.
Que cette section ait juridiction sur toutes les RPA dès leur mise en service et non pas cinq ans plus tard.
Qu’elle ait juridiction non seulement sur les frais chargés aux locataires pour le logement mais aussi sur les frais chargés pour les services de loisir aussi bien que pour les soins d’hygiène et de santé. Actuellement, le TAL n’arbitre, après cinq ans, que le coût du logis et pas celui des services et c’est sur ces derniers que des propriétaires se « rattrapent ».
Que la loi donne aux locataires des moyens légaux d’être représentés collectivement, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Que les organismes d’aide qui conseillent actuellement les personnes âgées aient aussi le pouvoir de les représenter, individuellement ou collectivement.
Que les locataires d’une résidence aient des droits collectifs et pas seulement individuels.
Quand et comment ces mesures seront-elles appliquées?
Le parcours semble semé d’embuches. En effet, ça fait déjà cinq ans que la Protectrice du citoyen a tiré la sonnette d’alarme, dans un rapport spécial sur les RPA. Par ailleurs, la professeure Marie-Annick Grégoire, de la Faculté de droit de l’Université de Montréal, propose des solutions et formule des critiques sévères sur les projets de la ministre Andrée Laforest, responsable du TAL, concernant les RPA(10). La FADOQ semble suivre le dossier de près. Quant à nous, nous n’avons pas reçu de réponse à des questions précises sur le sujet adressées à la ministre Laforest et à la ministre Blais, responsable des Ainés et des Proches aidants.
La partie n’est donc pas jouée pour les locataires des RPA, ces personnes souvent âgées, isolées et fatiguées, ces personnes qu’on qualifie (ironiquement ?) de sages, qu’on dit « aimer » et dont on affirme respecter « le pouvoir » (sic).
On dirait que le gouvernement à tout un coup de barre à donner.
Laissons le mot de la fin à la professeure Grégoire.
Bien sûr, les RPA ne seront pas enchantées par de tels changements puisqu’elles perdront ainsi leur avantage indu fondé sur le cadre systémique d’impunité dans lequel elles agissent. Reste maintenant au gouvernement à déterminer si la protection des aînés lui tient plus à cœur que les revendications à plus de profits de la part des résidences privées pour personnes âgées !(13)
Post-scriptum
Entre temps, les propriétaires de RPA ne pourraient-ils pas assouplir leur position face à leurs locataires quant aux augmentations de loyer et quant au remboursement des services non rendus pendant la pandémie? Ou bien cherchent-ils à tirer profit du laisser-faire actuel avant qu’une loi ne corrige la situation?
Signé : Fernande Asselin, Louis Bourdages, Roger Bourdages, Daniel Cardinal, Agathe Chicoine, Michel Connolly, coordination du comité sur la pétition,
Jules Desrosiers, conception et rédaction du présent dossier, Paule Olivier, Doris Robert, Micheline Schinck, Ginette Saint-Jean, Micheline Thibert, tous signataires de la pétition de janvier 2021 contestant leur hausse de loyer (voir texte).
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(1) Émission Enquête du 29 octobre 2020, il y aura 70 RPA de plus au Québec d’ici deux ans
(2) Selon le président du Regroupement québécois des résidences pour ainés (RQRA) M. Yves Desjardins cité par Le Devoir du 26 juin 2020
(3) Code civil du Québec, article 1955
(4) Journal de Québec, 23 janvier 2021
(5) La discussion de plus d’une heure a été enregistrée par les deux parties.
(6) Émission Enquête du 29 octobre 2020
(7) Le Journal de Québec le 18 janvier 2021
(8) Cité par la FADOQ dans : RPA : des baux et des maux
(9) Notamment le Réseau FADOQ, la professeure Marie -Annick Grégoire, la Coalition pour la dignité des ainés, l’Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées
(10) Marie-Annick Grégoire critique le projet loi 49.
(12) FADOQ, Mémoire présenté à la Commission de l’aménagement du territoire. 27 octobre 2020
(13) La Presse, 4 juillet 2020
Source: Lire l'article complet de L'aut'journal