Ils ont même évoqué la fin du capitalisme. Oui, le modèle a montré ses limites et sa vulnérabilité, mais non il n’a pas été remplacé. Les géants du capitalisme mondialisé sortent gagnants d’une crise sanitaire pendant laquelle leurs chiffres d’affaires ont explosé. Amazon a recruté massivement et Apple a sorti de nouveaux produits pendant cette période. Cette crise a même été l’occasion de définir de nouvelles stratégies, de nouvelles alliances.
Bien sûr que non, le capitalisme n’est pas mort, dans une certaine mesure il n’a jamais été aussi puissant. Comme le note l’économiste Branko Milanovic, le capitalisme n’a en réalité cessé de s’étendre à l’ensemble des parties du monde, mais aussi à des domaines qui hier n’entraient pas dans la sphère du commerce.
De nouveaux marchés ont été créés (données personnelles, location de résidences ou de véhicules personnels) jusqu’à proposer des services inédits comme la promenade de chiens. Cette extension de la marchandisation ne connaît aucune limite, ni morale ni éthique, on pense notamment aux nouveaux marchés liés à la bioéthique et au transhumanisme.
Pessimiste, Branko Milanovic se demande si cette expansion du capitalisme ne posera pas demain la question du rôle, voire de la survie, de la famille qui était le lieu des échanges et activités non commerciales : outre l’éducation des enfants, c’est désormais l’aide mutuelle qui est potentiellement remise en cause.
Dans ce meilleur des mondes, le capitalisme peut satisfaire ou créer désormais le moindre besoin matériel ou immatériel des individus. Toute structure collective, de la nation à la famille, semble condamnée. Ce tableau, très sombre, permet, après le déluge d’idéalisme, de revenir à la raison. Nous n’allons pas subitement basculer d’un modèle chaotique et inégalitaire à une société idéale, apaisée socialement et culturellement et durable écologiquement. D’ailleurs, quels intérêts pourraient avoir les gagnants de la globalisation à relocaliser et à réguler un modèle dont ils sont les principaux bénéficiaires?
Après l’utopie de la mondialisation heureuse, le monde d’en haut nous propose la chimère du monde d’après, ces modélisations de l’avenir dans lesquelles les questions de savoir comment les classes populaires bouclent les fins de mois, paient leur loyer ou leurs traites, assurent l’avenir de leurs enfants, se déplacent pour rejoindre leur travail ou comment elles préservent leur capital culturel, ne rentrent absolument jamais dans le logiciel des prospectivistes de salon.
Extrait de Le temps des gens ordinaires, de Christophe Guilluy (Flammarion, 2020)
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