L’auteur est professeure titulaire, Université Laval, et membre du regroupement Des Universitaires (https://desuniversitaires.org/)
Nous considérons actuellement que la végétation terrestre, incluant les forêts et tout autre type de plante, est un puits, piégeant le dioxyde de carbone (CO2) présent dans l’atmosphère. Cela implique que cette végétation contribue à absorber le CO2 pendant le processus de photosynthèse durant la saison de croissance. Ce changement d’absorption est même détectable dans les concentrations saisonnières de CO2 à l’échelle globale, qui représente, en quelque sorte, la respiration planétaire. De plus, ce puits est responsable de l’absorption de 30% de nos émissions anthropiques c’est-à-dire les émissions dues à la combustion des énergies fossiles reliée à l’activité humaine, les gaz à effet de serre (GES). Il va sans dire que 30% est un niveau non-négligeable d’absorption.
Cependant, le réchauffement planétaire menace maintenant cet important service rendu par la végétation terrestre. Les plantes ont besoin d’absorber du CO2 pour réaliser la photosynthèse. C’est cette opération qui leur permet de produire des glucides utiles à leur développement, à la fois épigé (toute la partie visible de la plante) et hypogé (la partie de la plante qui se trouve dans le sol, les racines). Ainsi, pour maintenir leurs tissus en vie et fonctionnels, les plantes doivent respirer du CO2 ; la différence entre le CO2 absorbé pour la photosynthèse et le CO2 relâché par la respiration de ces plantes représente le puits de CO2 de la végétation terrestre.
Le problème est qu’avec l’augmentation de la température moyenne, la photosynthèse peut être ralentie, réduisant l’absorption de CO2. Il y a donc une température optimale, au-dessus de laquelle le processus de photosynthèse est affecté négativement. En même temps, une augmentation de la température accélère la respiration de la végétation, et donc la perte de CO2 par les plantes. Un groupe de chercheurs basés à la Northern Arizona University, Woods Hole Research Centre, et Nouveau Zélande, a utilisé les données de FLUXNET (le plus gros réseau mondial de mesure continue de flux de carbone des écosystèmes) afin de vérifier comment la température affecte ces deux processus fondamentaux pour les plantes que sont la photosynthèse et la respiration. Ils ont utilisé l’équivalent de 1 500 années de données provenant des sites de mesure dans tous les biomes majeurs (différents types de végétation) afin de vérifier quand la végétation pourrait devenir une source plutôt qu’un puits de CO2, qui représente un important point de bascule. Quand peut-on s’attendre à atteindre ce point de bascule? À la fin de ce siècle? Plus tôt? Plus tard?
Les résultats des analyses de ce groupe de chercheurs américains et nouveau zélandais indiquent que ce point de bascule surviendrait dans les vingt ou trente prochaines années, soit beaucoup plus tôt que ce que plusieurs chercheurs et modélisateurs prévoyaient. Vers 2050, mêmes les biomes les plus productifs, comme nos forêts tempérées, vont atteindre ce point de bascule, alors que le puits de CO2 se dégradera pour diminuer à ~50% des niveaux actuels. Leurs données suggèrent donc que nous entrons dans une période où la productivité de nos écosystèmes, c’est-à-dire les services qu’ils nous rendent, commence à décliner de façon importante.
Ces plus récentes informations scientifiques mettent davantage de pression sur la nécessité de prendre les moyens de diminuer très rapidement les émissions anthropiques de GES. L’Accord de Paris a été élaboré sur la prémisse que ce puits terrestre est présent et fonctionnel, ce qui fait en sorte que les niveaux de diminution de GES que proposent cet accord seront insuffisants pour atteindre les objectifs de limitation du réchauffement de la planète à 1,5°C, qui, actuellement, tend davantage vers les 3 à 4°C d’ici 2100. Est-ce que le dépérissement de la végétation terrestre y serait pour quelque chose?
Si on ne peut pas atteindre les objectifs définis dans l’Accord, on risque essentiellement de perdre relativement rapidement un puits majeur qui nous protège d’un réchauffement plus rapide, avec les conséquences énormes que cela implique. En soulignant la vulnérabilité accrue de nos écosystèmes au réchauffement climatique, ces résultats de recherche, doivent s’avérer la sonnette d’alarme (une autre…) pour les politiciens, et pour nous toutes et tous.
Que faire? Il faut se questionner à savoir si le Québec et les gouvernements en poste actuellement réagissent assez rapidement et radicalement pour réduire nos émissions de GES. L’électrification des transports est une avancée positive, qui sera cependant annulée si d’autres mesures tardent à être implantées.
La meilleure science nous indique qu’on ne pourra pas nécessairement compter encore bien longtemps sur nos forêts en tant que puits de carbone, particulièrement dans le contexte actuel de déforestation mondiale et où la hausse de la température a un effet nuisible sur sa croissance voire sa pérennité. Il nous faut absolument chercher d’autres solutions pour améliorer notre bilan carbone, et amorcer et réaliser une transition écologique rapide et ambitieuse qui nous permettra de nous affranchir des énergies fossiles et de réduire notre consommation globale d’énergie.
Questions ou commentaires? info@desuniversitaires.org
Référence:
Duffy, Katharyn A., Christopher R. Schwalm, Vickery L. Arcus, George W. Koch, Liyin L. Liang, Louis A. Schipper. How close are we to the temperature tipping point of the terrestrial biosphere? Science Advances 13 Jan 2021: Vol. 7, no. 3.
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