Début janvier, on découvrait que certains domaines de la stratégie vaccinale mise en place par le gouvernement avaient été confiés à des cabinets de conseil. Depuis mars, le Ministère de la santé a donc signé 28 contrats avec une demi-douzaine de cabinets privés, pour le conseiller sur la gestion des masques, la logistique, les tests, les vaccins – soit un budget de plus de 11 millions d’euros dont 4 millions pour les seuls américains de McKinsey. Appréciez la balance coût / efficacité…
Les oppositions ne décolèrent pas, pointant perte de souveraineté, incompétence du gouvernement, faillite de nos administrations, etc. Est-il exceptionnel que l’Etat sous-traite des missions à ces cabinets de conseil, qui ont surtout pour clients des entreprises privées ?
En fait ce n’est pas une nouveauté, notamment dans le domaine de la santé. Selon le site Politico, l’administration française a rendu publics au moins 575 contrats passés avec des cabinets de conseil depuis octobre 2018 : aide à la lutte contre l’épidémie, élaboration de plans de relance économique ou recommandations sur la loi climat.
La France recourt au consulting depuis la fin des années 80 ; mais sous Sarkozy ce recours sera massif, notamment pour organiser la réforme de l’Etat (pour l’anecdote, le directeur général de la Modernisation de l’État à l’époque de la RGPP, François-Daniel Migeon, venait lui-même de chez McKinsey).
Pour un cabinet comme McKinsey, les marchés avec des institutions publiques ou des organismes internationaux représentent tout de même 1/5 de ses activités. Les domaines comme l’éducation et la santé sont vus comme des opportunités de business à exploiter. Ainsi les cabinets de conseil, à commencer par BCG (Boston Consulting Group) et McKinsey, ont joué un rôle considérable ces 15 dernières années dans la restructuration des hôpitaux et leur adaptation aux normes financières et gestionnaires néolibérales.
Résumons :
Les firmes qui ont accompagné les politiques d’austérité, de suppressions d’emplois dans la fonction publique, de liquidation des services publics, se voient aujourd’hui confier la mission de pallier les défaillances qui en résultent. Le tout pour des tarifs exorbitants et des résultats pas forcément meilleurs que ceux qu’un bon vieux haut fonctionnaire énarque aurait pu obtenir.
Surnommé « La Firme », McKinsey, est le plus gros, le plus cher, le plus réputé de ces cabinets de conseil en stratégie. Ses consultants interviennent auprès des directions des plus grandes entreprises pour changer leur stratégie de management, réussir une acquisition, ou restructurer une branche. Il recrute les meilleurs, diplômés des universités américaines les plus prestigieuses, ou repérés dans d’autres multinationales. Inversement, sortent de McKinsey un nombre considérable de grands dirigeants. On parle de « La Firme » comme d’une “usine à PDG”.
Ses consultants sont tellement bien intégrés aux réseaux de top managers et de hauts-fonctionnaires qu’on se demande parfois où sont les frontières entre les entités et entre les missions (lire l’enquête récente du Monde sur les liens serrés entre McKinsey et la macronie). Pour un cabinet de conseil en stratégie, collaborer avec un Etat, même gratuitement ou « pro bono », est un investissement. C’est pour le cabinet d’abord un « enjeu réputationnel », et surtout bien sûr un moyen de cultiver un réseau et de préparer les futurs pantouflages et retro pantouflage, toute cette circulation d’élites privé/public.
Rien d’étonnant, donc, à ce que comme l’affirme le gouvernement, ils soient « venus proposer leurs services » : profiter des crises, s’engouffrer dans des transformations juridiques, etc... fait partie de l’ADN de McKinsey. Lorsqu’en 1933 aux USA le Glass-Steagall Act interdit aux banquiers d’affaires finançant une entreprise d’en conseiller les dirigeants, Marvin Bower (futur directeur de McKinsey) a l’idée d’assurer cette fonction. Il transforme McKinsey, alors modeste société de conseil en management fondée en 1926 en un cabinet de conseil en stratégie qui deviendra « La Firme », le numéro 1 du secteur.
L’industrie du conseil va non seulement acquérir une importance capitale aux USA, mais aussi s’exporter à partir des années 60. Ces firmes collectent ici ou là les bonnes pratiques, les formalisent puis exportent ces nouvelles doctrines, jouant un rôle moteur dans la mondialisation. McKinsey a par exemple largement contribué à la diffusion aux entreprises européennes du standard d’organisation « M-form« , ou forme multidivisionnelle.
Comme l’explique la chercheuse Marie-Laure Djelic dans son article « L’arbre banian de la mondialisation. McKinsey et l’ascension de l’industrie du conseil« , McKinsey revendique très tôt une démarche scientifique :
« En effet, si le management est une science, il en devient universel – et donc global. McKinsey peut donc revendiquer en toute légitimité un rôle d’expert aussi bien au musée de l’Hermitage à Saint-Pétersbourg ou auprès du World Wildlife Fund (deux clients « pro-bono » de McKinsey) que dans une entreprise privée de l’Illinois. En ce sens, et de manière très profonde, l’industrie du conseil est un vecteur de la globalisation, qui est d’une certaine manière inscrite dans la nature même de sa stratégie savante »
McKinsey est-il le cabinet qui contrôle le monde, comme le titrait Marianne ? Officiellement les cabinets de conseil n’interviennent pas sur les choix de politiques publiques. Ils fournissent plutôt une expertise en matière de logistique, de gestion des données, et de comparatifs internationaux. Une hypothèse est que recourir à un cabinet extérieur permet à la direction d’une entreprise de court-circuiter sa propre bureaucratie et de démanteler les pratiques établies. De même pour un gouvernement qui voudrait faire des réformes en contournant une partie de sa haute fonction publique.
Les réseaux de « La Firme » semblent tentaculaires
On est tenté de la comparer à une pieuvre, comme dans les schémas complotistes ou les caricatures de propagande. Mais l’image n’est pas adaptée car elle laisse croire qu’une seule une tête pensante contrôle tout. Une meilleure métaphore serait celle du figuier des banians. Et c’est l’ancien directeur de McKinsey, Rajat Gupta, qui y a recourt. Les branches de cet arbre replongent dans le sol, font des racines, qui donnent de nouveaux troncs, augmentant la superficie de l’arbre. Le plus grand, situé en Inde, couvre à lui seul une surface de 19 000 m2.
McKinsey ouvre des bureaux dans le monde entier, qui comme les branches du banian, vont devenir des troncs qui diffusent cette culture néolibérale : soit directement, par les conseils aux entreprises, soit indirectement, en essaimant leurs employés qui vont occuper des postes de direction privés ou publics. Ces nouvelles branches donnant de nouveaux troncs, et ainsi de suite…
Scandales et controverses
McKinsey est le cabinet de conseil qui a incité l’entreprise Enron à mettre en place des pratiques comptable douteuses et à orienter la stratégie de l’entreprise vers le trading d’électricité et de matières premières. En 2001, le scandale financier Enron éclate et l’entreprise fait faillite. La responsabilité de McKinsey est soulignée par la presse financière.
En 2006, McKinsey aurait recommandé à l’entreprise Boeing de corrompre des fonctionnaires indiens afin d’exploiter une mine de titane. Dans une présentation PowerPoint, les consultants de McKinsey auraient identifié, pour les dirigeants de Boeing, huit fonctionnaires indiens à corrompre. McKinsey a réfuté ces accusations.
McKinsey a contribué à la crise économique et financière de 2007-2008 en encourageant les banques à titriser les crédits immobiliers de leurs clients via des MBS (Mortgage Backed Securities) et à augmenter les montants de dette dans leur bilan afin de bénéficier d’effets de levier contribuant ainsi à augmenter leur exposition au risque.
En 2012, Rajat Gupta, directeur général de McKinsey de 1994 à 2003, est reconnu coupable de délits d’initié et est condamné à 2 ans de prison.
En 2015, McKinsey effectue une mission auprès du gouvernement d’Arabie Saoudite afin de déterminer l’opinion de la population à propos des réformes économiques d’austérité mises en place pour compenser la baisse du prix du baril de pétrole. Dans une note de 9 pages, les consultants de McKinsey relève que 3 personnes (l’écrivain et journaliste Khalid al-Alkami, M. Abdulaziz un dissident saoudien exilé au Canada, et un internaute anonyme postant sous le nom de Ahmad) formulent des critiques particulièrement virulentes à l’égard des réformes menées par le gouvernement. Après la remise de la note, Khalid al-Alkami est arrêté et deux de ses frères sont emprisonnés.
En 2016, le cabinet McKinsey est impliqué dans le scandale et l’effondrement en bourse de Valeant Pharmaceuticals. Le New York Times révèle un potentiel conflit d’intérêts entre les consultants de McKinsey et le hedge fund MIO Partners appartenant au cabinet McKinsey.
En 2018, le New York Times révèle que le cabinet McKinsey travaille pour le compte de plusieurs gouvernements autoritaires comme celui de la République Populaire de Chine. McKinsey a estimé que l’article du New York Times peignait « une image trompeuse » du cabinet.
En 2018, McKinsey est impliqué dans un scandale de corruption et de blanchiment d’argent pour la famille Gupta en Afrique du Sud. En 2018, McKinsey accepte de rembourser près d’1 milliard de rands perçus en commissions via les contrats liés à l’affaire et rembourse 650 millions de rands supplémentaires en décembre 2020.
En décembre 2020, l’entreprise est impliquée dans le scandale des opioïdes avec Purdue Pharma, qui commercialise l’OxyContin aux USA, et Johnson & Johnson. La société de conseil est notamment accusée d’avoir fait des recommandations marketing à ces fabricants d’opioïdes afin d’accroitre leurs ventes. D’après les documents judiciaires produits par les plaignants, le cabinet de conseil a recommandé au groupe pharmaceutique de se concentrer sur les dosages élevés considérés comme les plus lucratifs. On estime que la consommation de telles substances sur ordonnance a quadruplé entre 1999 et 2018, période visée par ces procédures, et pendant laquelle près de 500 000 Américains sont morts des suites d’un usage abusif d’opioïdes. En février 2021, la presse révèle que McKinsey accepte de verser 573 millions de dollars pour clore les procédures engagées par 49 Etats américains. L’entreprise n’a ni reconnu ni rejeté les faits qui lui étaient reprochés.
Le recours par le gouvernement français à ce cabinet de conseil pour les questions logistiques de la campagne de vaccination contre le covid-19 suscite la polémique.
En janvier 2021, McKinsey interdit à ses collaborateurs basés en Russie de participer aux manifestations pro-Navalny, un militant hostile à Vladmir Poutine, et de poster des messages politiques sur les réseaux sociaux. Pour Henry Foy, correspondant à Moscou du Financial Times, rester « neutre », comme le recommande McKinsey à ses employés, dans la Russie de Poutine, revient à soutenir le statu quo, c’est-à-dire un gouvernement autoritaire.
D’après le journal Le Monde en février 2021, la société McKinsey & Company France Inc. a son siège social au Delaware mais n’y exerce pas d’activité réelle, ce qui lui permettrait de ne payer que 175 $ d’impôts par an.
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Sources :
https://fr.wikipedia.org/wiki/McKinsey_%26_Company
Article : Le Stagirite / Le Média Wikipédia
Vidéo :
[1] MCKINSEY : LE CABINET QUI DECIDE DE NOS VIES ? – Le Média / YouTube
Source : Lire l'article complet par Réseau International
Source: Lire l'article complet de Réseau International