par Mouna Alno-Nakhal.
Le 8 février dernier, à la question posée par CNN : « L’administration Biden, continuera-t-elle à considérer le plateau du Golan syrien occupé comme faisant partie d’Israël ? », le secrétaire d’État Anthony Blinken a répondu :
« En mettant de côté les aspects juridiques de cette question, dans la pratique, le Golan est très important pour la sécurité d’Israël. Tant que Assad est au pouvoir en Syrie, tant que l’Iran est présent en Syrie, les milices soutenues par l’Iran et le régime Assad lui-même… tout cela constitue une menace importante pour la sécurité d’Israël et, d’un point de vue pratique, le contrôle du Golan dans cette situation reste, je pense, d’une réelle importance pour la sécurité d’Israël. Les questions juridiques sont tout autre chose. Avec le temps, si la situation devait changer en Syrie, c’est quelque chose que nous pourrions examiner. Mais nous en sommes très loin pour le moment ».
Ce qui revient, pour certains, à ne pas endosser la décision de l’administration Trump ayant illégalement reconnu en mars 2019 la souveraineté d’Israël sur le Golan syrien occupé ; pour d’autres, à indiquer une porte de sortie sans l’ouvrir ni même en donner la clef.
Cependant, mis à part le fait que M. Blinken méprise allégrement le droit international et les résolutions successives votées à l’unanimité par le Conseil de Sécurité, notamment les résolutions 242 (1967) et 497 (1981) comme son prédécesseur Mike Pompeo, nul ne lui a posé la question de savoir « qui menace qui ? » dans un Levant ravagé par l’acharnement des administrations successives de son pays à concrétiser le projet d’inspiration israélo-étasunienne dit du « Grand Moyen-Orient ».
Lequel projet, faut-il le rappeler, englobe les idées de Shimon Pérès développées dans son essai intitulé « The New Middle East » et celles de stratèges néoconservateurs cherchant à contrôler la région, sous le prétexte d’œuvrer en faveur de changements démocratiques, les démocraties conformes à leurs ambitions étant dans leur esprit les alliés naturels des États-Unis ? D’où une définition de la démocratie en rupture totale avec tous les dictionnaires depuis ses origines athéniennes : sont antidémocrates tous les États exclus d’une alliance avec les États Unis !
Un projet qui tient toujours et qui augure de nouvelles escalades guerrières en dépit ou à cause du constat d’échec de la stratégie étasunienne. Un échec manifeste, admis par Robert Ford, le dernier ambassadeur des USA en Syrie, par Jeffrey Feltman, l’homme aux multiples casquettes au Liban et à l’ONU et, dans le cadre des déclarations de bonnes intentions, par Stephen Pomper et Robert Malley, le nouvel envoyé spécial pour l’Iran. Alors que pour James Jeffrey, l’ex-envoyé spécial des États-Unis pour la Syrie : « Biden n’a pas besoin d’une nouvelle politique au Moyen-Orient, l’administration Trump a mis la région sur la bonne voie ».
D’où la question : Qu’est-ce qui a changé depuis l’arrivée de l’administration Biden et que, par la voix de John Kirby, le Pentagone a déclaré le 9 février que les champs pétrolifères du nord-est syrien ne sont plus une priorité pour les forces américaines, dont la mission consisterait à protéger les civils et à défaire durablement Daech, avec interdiction de fournir une quelconque assistance à toute société privée qui chercherait à exploiter les ressources pétrolières du pays ?
Priorité décrétée en octobre 2019 par l’ex-président Trump et destinée à financer les milices séparatistes FDS, prétendument démocratiques et prétendument constituées d’une grande majorité de Kurdes syriens. Ouvertement chargées de sécuriser les camps de prisonniers issus des rangs de l’organisation terroriste Daech déclarée défaite, elles restent implicitement incitées à mener des opérations contre l’unité territoriale de la Syrie.
Qu’est-ce qui a changé ? Question à laquelle répond M. Fadel Hamad, correspondant de la TV syrienne Al-Ikhbariya, présent le 11 février courant à Hassaké, ville du nord-est de la Syrie :
« Juste après cette annonce, les forces d’occupation américaines ont amené dans ce gouvernorat de Hassaké deux convois de matériels logistiques vers leurs bases militaires illégales. Sinon, rien n’a changé. Si vous voulez des chiffres, sachez qu’environ 140 000 barils de pétrole brut sont quotidiennement volés avant d’être exploités selon quatre modalités. Pour la première, les FDS ont creusé en sol syrien, à l’ouest du fleuve « Tigre » et au niveau de la frontière syro-irakienne, d’énormes réservoirs qu’ils désignent par les « citernes de Taramiche ». Le pétrole amené dans ces citernes passe ensuite dans des tuyaux courant de part et d’autre du pont illégal de Simale (?) avant d’aboutir au nord de l’Irak. Pour la deuxième, le transport vers l’Irak se fait par voie terrestre via le passage tout aussi illégal d’Al-Mahmoudiya. Quant à la troisième, elle est à destination locale après extraction de fioul, d’essence et de gaz selon des techniques archaïques. Enfin, la quatrième est à destination de la ville de Manbij et des mercenaires de l’occupant turc. Aujourd’hui même, des dizaines d’individus affiliés à l’organisation terroriste Daech ont été transportés de la prison du quartier de « Gouérane » à Hassaké, tenue par les FDS, vers la base américaine illégale d’Al-Tanf située dans le sud du pays en un point stratégique du triangle délimitant les frontières irakienne, syrienne et jordanienne. C’est à partir de cette base que Daech mène ses attaques contre l’armée syrienne.
Informations complétées le 15 février par la correspondante d’Al-Mayadeen TV à Damas, la journaliste syrienne Dima Nassif :
« En l’espace d’une semaine, le Pentagone annonce que la mission des forces américaines illégalement déployées en Syrie ne consiste plus à protéger les installations pétro-gazières du nord-est de la Syrie, évacue l’un de ses postes militaires à Tal-Alou dans le gouvernorat de Hassaké, mais amène des convois chargés de matériels militaires lourds pour fortifier une nouvelle base militaire dont la construction a commencé depuis un mois. Cette nouvelle base se situe à Aïn-Dawar en un point stratégique du triangle délimitant les frontières irakienne, syrienne et turque.
Le plus probable est que cette base est destinée à contrer l’influence russe d’abord et l’influence turque ensuite. En effet, Moscou avait tenté d’installer un poste militaire en ce point précis, mais les FDS s’étaient chargées de pousser les habitants à l’en empêcher. Il est donc évident que Washington a commencé à mettre en œuvre son nouvel agenda contre l’État syrien, lequel prime sur tout soutien politique ou militaire aux Kurdes. Aujourd’hui, les FDS ont fait main basse sur les meuneries gouvernementales de Hassaké et de Qamichli. Ce faisant, ces milices ne se contentent pas de piller les installations de l’État syrien, mais tentent de prouver qu’elles gardent la haute main sur le nord du pays en dépit de la décision de l’allié américain, histoire d’obtenir un maximum de concessions politiques de la part de Damas. Par conséquent, rien n’a changé sur le terrain. Pour Damas, le prétendu retrait des États-Unis n’est qu’un éclair dans un ciel limpide et rien de plus qu’une modification dictée par l’agenda d’une situation intérieure compliquée pour Joe Biden. Cependant, les messages contradictoires américains dans le nord de la Syrie indiquent la possibilité d’une escalade avant la tenue des prochaines élections présidentielles syriennes ».
Donc, les milices séparatistes FDS continuent de piller, de réquisitionner et même de kidnapper des dizaines de civils tandis que l’organisation terroriste Daech, que ces mêmes FDS auraient héroïquement vaincue avec leurs non moins héroïques alliés de la Coalition dite internationale, est revenue sur le devant de la scène depuis fin 2020 en Syrie, en Irak et à un moindre degré au Liban. La ministre française de la Défense, Mme Florence Parly, nous a expliqué que « c’est la raison pour laquelle nous y sommes toujours, à travers des actions de formation et à travers notre chasse ». Ce que le chef de la Résistance libanaise, Sayed Hassan Nasrallah a commenté dans son discours du 16 février en ces termes :
« Contrairement à Trump qui déclarait vouloir rester en Irak et quitter la Syrie, l’administration Biden semble vouloir rester en Irak et dans l’Est de la Syrie. D’où la résurgence de Daech à un moment où les Irakiens ont exigé officiellement le départ des forces étrangères de leur pays suite au crime du siècle commis sur leur terre [l’assassinat reconnu par Donald Trump des deux héros de la Résistance : le général Qassem Souleimani et Abou Mehdi al-Mouhandes ; NdT]. C’est pour couper la route à ces réclamations populaires et officielles qu’ils ont ressuscité Daech en Irak et en Syrie. Ce dossier est de nouveau devant l’axe de la Résistance, des peuples et des États de la région et, naturellement, il est condamné à l’échec, car ceux qui l’ont vaincu hier le vaincront certainement demain avec l’aide de Dieu. Et toute action contre cette organisation en Irak, en Syrie et au Liban où elle est moins active, ne devra pas être défensive mais offensive et écrasante. Nous ne devons pas permettre la résurrection de Daech dans notre région ».
Entretemps, une énième opération de blanchiment décapante du Front al-Nosra, la branche d’Al-Qaïda en Syrie, est en cours. Un article publié par Sputnik News le 16 février et intitulé « Al-Joulani, le djihadiste prêt à faire la danse du ventre devant les Américains » l’explique bien. Sauf qu’il s’agit d’un « terroriste » dirigeant la branche d’Al-Qaïda en Syrie et qu’en retournant aux sources de l’information l’on répond aisément à la question : « qui a composé la musique de la chorégraphie en question ? ».
La réponse à cette question est à déduire du fait que l’article d’Al-Monitor publié le 7 février pour relater la candide rencontre de Al-Joulani avec le journaliste américain Martin Smitn a bien été suivi, le 20 février, par un rapport de l’International Crisis Group (ICG) présidé par Robert Malley jusqu’à sa nomination en tant qu’envoyé spécial en Iran le 29 janvier dernier. Un rapport qui précise en introduction,[…] puis souligne :
« Crisis Group (avec le Centre pour le Dialogue humanitaire à Genève) s’est entretenu avec Joulani à Idleb pendant quatre heures fin janvier, évoquant l’idéologie et l’évolution du groupe, ses relations avec les autres groupes djihadistes et ses objectifs dans la lutte contre le régime de Damas […] ce groupe appelle depuis longtemps au renversement du régime et au départ des forces iraniennes et russes… »
L’ICG n’a donc pas attendu Martin Smith pour procéder à la métamorphose du danseur prétendument repenti. Et, manifestement, l’appel au renversement du Gouvernement syrien et au départ des forces iraniennes et russes autorise ses interlocuteurs « humanitaires » à absoudre les crimes horribles commis contre le peuple syrien par un caméléon sanguinaire et ses 12 000 terroristes, coincés à Idleb, pour tenter de placer des pions blanchis à des postes clés afin d’obtenir par la politique ce qu’ils n’ont pu obtenir par la guerre.
Déduction logique d’un précédent rapport du même ICG sur ce même sujet, daté du 3 février et intitulé : « Dans Idleb en Syrie, la chance de Washington de ré-imaginer le contre-terrorisme ». Un acte de contrition ou une imagination débordante qui semble avoir oublié la séquence filmée de Hillary Clinton avouant « Nous avons créé Al-Qaïda ! » et Donald Trump l’ayant accusée, ainsi que l’administration Obama, d’avoir créé Daech ? Ni l’un, ni l’autre, un blanchiment de Jabhat al-Nosra, alias Al-Qaïda, alias Hay’at Tahrir al-Cham tout simplement.
Mais le Front al-Nosra a plus d’une corde à son arc : les « Casques blancs », périmés mais recyclés à leur tour après avoir été exfiltrés de Syrie le dimanche 23 juillet 2018 par Israël, puis reçus avec les grands honneurs par diverses capitales occidentales. En effet, les voici revenus sur scène dans le nord-ouest de la Syrie, le ministère russe de la Défense ayant dit disposer d’informations selon lesquelles des extrémistes syriens et des Casques blancs prépareraient une nouvelle provocation contre Damas dans le gouvernorat syrien d’Idleb.
Des provocations pour étayer de fausses allégations concernant des attaques ou l’usage d’armes chimiques par l’armée syrienne contre les siens afin que les coalisés occidentaux puissent tenter une ingérence militaire prétendument humanitaire ? C’est possible, vu que le « dossier chimique » a été remis au programme du Conseil de Sécurité le 3 février dernier et réfuté, pour la énième fois, par le Dr Bachar al-Jaafari avant de rentrer à Damas pour intégrer sa nouvelle mission de vice-ministre des Affaires étrangères et des Expatriés..
C’est là une liste non exhaustive, puisque nous n’avons pas évoqué les mesures coercitives unilatérales illégales et criminelles imposées au peuple syrien pour le pousser à se soulever contre son gouvernement comme s’il était dupe des manœuvres des commanditaires de ses souffrances, ni les attaques israéliennes incessantes, ni les accords abrahamiques, etc. Ce qui n’est pas nécessaire pour constater que l’administration Biden ne se distingue de l’administration Trump que par des déclarations encore plus floues et plus tordues, termes sans aucune mesure avec ses mensonges et ses écarts de langage.
Finalement, il est clair qu’elle cherche à repositionner ses forces en Syrie et invite ses alliés à faire de même, maintenant qu’ils ont tous échoué à atteindre leurs propres objectifs via leurs mercenaires terroristes qu’ils comptent réanimer, notamment pour couper le couloir Iran-Irak-Syrie-Liban, à défaut de concrétiser le projet initial de partition ici ou là. Reste pour toutes leurs victimes cette pensée sublime de Antonio Gramsci : « Il faut allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté ». Une pensée qui doit certainement nourrir toutes les résistances…
Source : Lire l'article complet par Réseau International
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