Le rôle de la formation des médecins et de l’épistémologie médicale dans la crise de la Covid-19

Le rôle de la formation des médecins et de l’épistémologie médicale dans la crise de la Covid-19

par Florence Parent, Fabienne Gooset, Manoé Reynaerts, Helyett Wardavoir, Dr Isabelle François, Dr Véronique Baudoux, Jean-Marie Deketele.

La crise de la Covid a suivi, assez mondialement mais surtout en Occident, une même orientation dans sa gestion décisionnelle :

  • Evidence based medecine (EBM)
  • Hospitalocentriste

C’est en France que s’est cristallisé un débat que l’on pourrait nommer d’épistémique (ou épistémologique). C’est-à-dire qui questionne le mode même d’apprentissage et de pratique de la médecine, entre, d’une part, les protagonistes d’une EBM hégémonique qui agissent uniquement à partir de la preuve de l’efficacité d’un traitement. Cette preuve devant être fondée sur un essai contrôlé randomisé et un « peer review ». De l’autre, on retrouve les protagonistes d’une pratique médicale où l’EBM accompagne l’expérience clinique et intervient en tant qu’outil d’aide à la décision, mais n’empêche pas celle-ci au profit de la responsabilité individuelle.

Cette opposition a parfois été relayée dans la presse comme celle opposant « scientistes et empiristes ». Si nommer ainsi les choses est assez juste, il y a le risque tout de même de considérer la connaissance scientifique comme uniquement du côté des « scientistes », d’où le « boycott » violent et socialement préjudiciable de ceux traités par exemple de « charlatans ».

Cependant, c’est mal connaître la définition originelle de l’EBM. En effet, si l’on s’en réfère à des auteurs comme Sackett, l’EBM avait comme objectif de proposer un nouveau cadre pour guider l’action médicale, articulant judicieusement à la fois l’expérience des praticiens, les meilleures données scientifiques disponibles (à un temps « T0 » opportun à l’action ‘hic et nunc’), et les préférences d’un patient informé, rejoignant la clarification développée par Folscheid, selon laquelle, en dépit des stéréotypes répandus prétendant que d’art qu’elle était, la médecine serait devenue une science, « la médecine n’est […] ni une science ni une technique, mais [bien] une pratique soignante personnalisée, accompagnée de science et instrumentée par des moyens techniques », c’est-à-dire une praxis.

Le problème est que le projet princeps de l’EBM s’est radicalement rétréci à l’issue d’une dérive technoscientifique et normative aussi insidieuse qu’implacable, sur une conception positiviste de la démonstration et de la preuve. Cette dernière probablement perçue comme unique source d’une réassurance face aux incertitudes à affronter.

Ce besoin de certitude amène à s’exonérer de notre responsabilité individuelle dans la prise de décision en déléguant celle-ci à la science ou à la technique. Ainsi passent à la trappe l’expérience du praticien, la dimension relationnelle et toujours singulière avec son patient, le contexte éminemment spécifique sur de nombreux plans. Tout ce qui fait la diversité du particulier. D’autre part, en délégant notre doute à la seule méthode (expérimentale dans le cas de l’EBM), nous donnons le plein crédit à une science positiviste qui peut, aujourd’hui plus que jamais, être dévoyée. L’exemple en a été donné avec le scandale de l’article du Lancet.

Dans la formation médicale, l’épistémologie institutionnelle dominante, voire hégémonique, est l’épistémologie positiviste. C’est-à-dire que les connaissances médicales vont prioritairement s’acquérir sur de longues années d’études, à partir de savoirs jugés universels sur base de la méthode scientifique positiviste.

Cependant, en suivant cette piste, on se rend bien compte que l’on perd deux éléments essentiels, ayant, par ailleurs, fortement manqué dans la gestion de cette crise :

  1. Une épistémologie qui soit plus proche du terrain, des situations, de l’action, en d’autres mots, une épistémologie de l’expérience, du processus ou de l’agir plutôt que du seul savoir ou de la seule théorie, des chiffres et statistiques se voulant être des universaux ;
  2. Une épistémologie plus ouverte et non réduite (réductionniste) à la seule méthode positiviste, c’est-à-dire une épistémologie favorisant la science au pluriel en référence à l’ouvrage de Leo Coutellec.

Une autre manière d’aborder ce problème est de partir de ces figures. Si la masse critique des étudiant-e-s en médecine est formée prioritairement sur base d’une accumulation de savoirs théoriques définis par la méthode positiviste, il lui sera difficile, ensuite, dans sa pratique professionnelle, de rompre avec un besoin sécuritaire de protocoles, normes, guidelines et EBM. La Covid 19 a illustré ce problème.

La figure 1 ci-dessous propose un regard critique sur les cursus de formation en médecine où l’enjeu serait, à l’inverse, de partir des capacités attendues dans la vraie vie, et d’amener ‘toute cette incertitude’ dans les cursus de formation. C’est ce qui est développé dans la tribune référencée.

figure 1 : Un modèle de programme d’études soulignant l’importance des résultats éducatifs dans la planification des programmes

Partir de la réalité (de situations professionnelles vécues) afin de construire un curriculum permettrait alors de développer des compétences professionnelles en reconnaissance de savoirs provenant d’épistémologies d’autres champs disciplinaires. Une telle attitude ouvrant notamment à l’interprofessionnalité, à l’intelligence émotionnelle et relationnelle, de même qu’à une attention aux enjeux éthiques tels les préjugés et les phénomènes discriminatoires facilement véhiculés dans le milieu très normé du monde médical., mais aussi ceux liés à l’autonomie du patient

On l’a vu avec les décisions, – ou positions –, relatives aux interventions non thérapeutiques et à la prophylaxie, toutes tellement en contradiction avec la définition de la santé de l’OMS : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». La vision holistique de la personne a totalement fait défaut, reflétant en cela, très directement, l’orientation de la formation médicale : bioclinique, EBM, normative et hospitalocentriste.

La figure 2 qui suit rend compte comment la pédagogie est un « levier » ayant contribué à une gestion hospitalocentriste de la crise de la Covid-19. Nous la reprenons d’un éditorial publié dans une revue d’éducation médicale, en reproduisant intégralement un extrait du commentaire qui l’accompagnait. On le doit à Charles Boelen, coordinateur du dictionnaire sur la responsabilité sociale des facultés de médecine :



figure 2  : le carré de White
L’histoire. . .

Sur une population de 1 000 citoyens (voir l’aire 1 du tableau de gauche), 750 présenteront un souci de santé (aire 2), parmi lesquels 250 consulteront un personnel de santé de première ligne (aire 3). Parmi ces derniers, 50 seront examinés par un spécialiste (aire 4) et un seul (aire 5) sera admis à l’hôpital universitaire. Le tableau de droite met en parallèle 1 000 heures de formation pratique d’un étudiant en médecine. On notera qu’une grande partie de son temps se passe en milieu hospitalier (aire 1), avec une propension pour les services spécialisés (aire 2), une fréquentation bien moindre de structures hospitalières périphériques ou centres de santé (aire 3), quelques heures en cabinet de médecine générale (aire 4) et très peu de temps au sein de structures lui permettant de comprendre les déterminants de santé de la population générale (aire 5). Comparons les deux tableaux : le volume horaire de formation pratique semble inversement proportionnel à l’épidémiologie et à la fréquence des situations auxquelles sont exposés les citoyens.

Ce décalage ne nous étonne guère ! Aujourd’hui encore, l’essentiel des fonctions attribuées au médecin se rapporte au contrôle de la maladie, laissant une moindre place aux stratégies de santé et à leurs corollaires de prévention, d’éducation et de promotion.

À Retenir
  • L’EBM est un outil d’aide à la décision et ne devrait pas se substituer à la responsabilité du/des décideur(s) ;
  • La médecine est une praxis actuellement fondée sur une épistémologie de la science et non de l’agir, engendrant une situation qui est source de beaucoup d’ambiguïtés vécues pendant la crise de la Covid ;
  • La formation médicale ne prépare pas les médecins à une vision globale ni de leur système de santé, ni de la personne, ni de la santé elle-même ;
  • Dans la formation médicale, la priorité donnée au jugement déterminant relativement au jugement réfléchissant détermine le monde médical comme terreau à des dérives normatives.

Ces éléments ont fortement contribué aux orientations de la gestion de la crise sanitaire.

Nous encourageons le lecteur à prolonger cette réflexion en se référant à la tribune : « Becoming a Physician Tolerating Uncertainty – The Next Medical Revolution ? » dont la dernière phrase conclut notre carte blanche :
« Ironically, only un-certainty is a sure thing. Certainty is an illusion ».


Florence PARENT, médecin, Docteur en santé publique. Coordinatrice du groupe thématique « Éthique des curriculums en santé » de la Société internationale francophone d’éducation médicale (SIFEM) ; Fabienne GOOSET, docteur en lettres, certifiée en éthique du soin ; Manoé REYNAERTS, philosophe, membre du groupe thématique « Éthique des curriculums en santé  » de la Société internationale francophone d’éducation médicale (SIFEM) ; Helyett WARDAVOIR, master santé publique, membre du groupe thématique « Éthique des curriculums en santé  » de la Société internationale francophone d’éducation médicale (SIFEM) ; Dr Isabelle François, médecin et psychothérapeute, membre du groupe thématique « Éthique des curriculums en santé  » de la Société internationale francophone d’éducation médicale (SIFEM) ; Dr Véronique BAUDOUX, médecin généraliste ; Jean-Marie DEKETELE, professeur émérite de l’UCL et de la Chaire UNESCO en Sciences de l’Éducation (Dakar).

source : https://www.kairospresse.be

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À propos de l'auteur Réseau International

Site de réflexion et de ré-information.Aujourd’hui nous assistons, à travers le monde, à une émancipation des masses vis à vis de l’information produite par les médias dits “mainstream”, et surtout vis à vis de la communication officielle, l’une et l’autre se confondant le plus souvent. Bien sûr, c’est Internet qui a permis cette émancipation. Mais pas seulement. S’il n’y avait pas eu un certain 11 Septembre, s’il n’y avait pas eu toutes ces guerres qui ont découlé de cet évènement, les choses auraient pu être bien différentes. Quelques jours après le 11 Septembre 2001, Marc-Edouard Nabe avait écrit un livre intitulé : “Une lueur d’espoir”. J’avais aimé ce titre. Il s’agissait bien d’une lueur, comme l’aube d’un jour nouveau. La lumière, progressivement, inexorablement se répandait sur la terre. Peu à peu, l’humanité sort des ténèbres. Nous n’en sommes encore qu’au début, mais cette dynamique semble irréversible. Le monde ne remerciera jamais assez Monsieur Thierry Meyssan pour avoir été à l’origine de la prise de conscience mondiale de la manipulation de l’information sur cet évènement que fut le 11 Septembre. Bien sûr, si ce n’était lui, quelqu’un d’autre l’aurait fait tôt ou tard. Mais l’Histoire est ainsi faite : la rencontre d’un homme et d’un évènement.Cette aube qui point, c’est la naissance de la vérité, en lutte contre le mensonge. Lumière contre ténèbres. J’ai espoir que la vérité triomphera car il n’existe d’ombre que par absence de lumière. L’échange d’informations à travers les blogs et forums permettra d’y parvenir. C’est la raison d’être de ce blog. Je souhaitais apporter ma modeste contribution à cette grande aventure, à travers mes réflexions, mon vécu et les divers échanges personnels que j’ai eu ici ou là. Il se veut sans prétentions, et n’a comme orientation que la recherche de la vérité, si elle existe.Chercher la vérité c’est, bien sûr, lutter contre le mensonge où qu’il se niche, mais c’est surtout une recherche éperdue de Justice.

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