Taux de mortalité et COVID-19: des chiffres trompeurs?

Taux de mortalité et COVID-19: des chiffres trompeurs?

par tiptop (son site)  Source :

Que nous disent les statistiques de la mortalité en France métropolitaine sur un temps long ? Cet éclairage n’est pas proposé à ma connaissance. Il est un peu tôt pour répondre à cette question provoquante : est-ce que le COVID stricto sensu tue autant qu’on le dit ? Choisir les courbes les plus pertinentes est en soit une gageure. La profusion des chiffres crée de l’angoisse et de la suspicion.

Les gouvernements mondiaux ont dû faire face à une grave crise sanitaire. Les pandémies sont bien sûr les plus vieux compagnons de l’humanité. Mais ce qui ne peut manquer de frapper est le caractère exceptionnel de la gestion de cette crise sur une planète commune (dont il paraît dérisoire de s’abriter derrière des frontières nationales). Une série de mesures prophylactiques (confinement, couvre-feu, restriction des libertés publiques) ont été prises. Le niveau de consentement en France – très fort quoiqu’en fort recul ces derniers temps – interroge, alors que la crise sanitaire est d’abord une crise des régimes de santé, laminés par des décennies de politiques néolibérales et de restrictions budgétaires. Du coup, les médecins ont tenu le haut du pavé dans les médias, dont le modèle économique pousse constamment à la polémique. Ceci crée désordre, confusion et angoisse chez nos concitoyens. Si la présence des médecins au sein du comité scientifique est indispensable, d’autres catégories de chercheurs ont été négligées (psychiatres, anthropologues, sociologues, historiens de la santé, démographes …). Or face au virus, les vraies frontières qui nous protègent sont celle de l’intime : le pas de la porte, les gestes barrière et donc le renoncement à toute vie sociale et affective qui passe par le corps. En conséquence, nous assistons à une dégradation de la vie psychique des individus privés de ce qui les construit (les plus jeunes) et ce qui les maintient en vie (les plus âgés et les travailleurs indépendants).

   Peut-être que mon billet d’avril 2020 serait plus audible aujourd’hui. Comment expliquer la décision inouïe et inédite dans l’histoire du capitalisme mondialisé de provoquer une crise économique et sociale dont les effets dévastateurs vont certainement tuer bien davantage que le covid-19 ? La crise actuelle nous renvoie en pleine figure notre impuissance. Et que faisons-nous ? Nous surjouons notre puissance face au virus. La biopolitique de la plupart des gouvernements mondiaux tente de sacraliser la vie biologique avec l’accord tacite ultra-majoritaire des citoyens. L’État – par ailleurs contesté de toute part – obtient en conséquence une obéissance inédite au nom d’une fonction indiscutée qui est de protéger les populations de la mort qui rôde, ce que le sociologue Didier Fassin appelle précisément la « biolégitimité ». La question fondamentale étant celle-ci : doit-on sacrifier les vies pour mieux les sauver ? Depuis avril 2020, le réductionnisme médical qui consiste à ramener la vie à sa simple dimension biologique est enfin remis en cause. Je maintiens ce que j’avais écrit : notre rapport à la mort reste le point aveugle de la crise actuelle. Vivre avec le virus, avec ou sans vaccin, c’est accepter de vivre (à nouveau !) avec la mort. Il y a bien longtemps qu’en occident nous avons taillé un costard à la belle faucheuse … ramenée par le paradigme d’Hypocrate à un simple problème technique à résoudre. Nous en sommes bien là : apprendre à vivre avec notre finitude.

Je quitte ici le terrain philosophique et anthropologique pour examiner la mort en France métropolitaine d’un point de vue strictement démographique en questionnant les données de l’INSEE sur un temps long. Cet éclairage n’est pas proposé à ma connaissance. Il est certes un peu tôt pour répondre à cette question très provoquante : est-ce que le COVID stricto sensu tue autant qu’on le dit ? Il tue, c’est certain (j’ai perdu des proches) et le surcroît de mortalité est indéniable. Le problème est que les observateurs et les scientifiques médiatisés, tous à leur raison instrumentale et prophylactique, ne présentent que des séries statistiques très courtes, qui ne dépassent jamais quelques mois. Or le choix des chiffres et leur mode de présentation ont leur importance (rappel pour les novices en matière de courbes, jouer sur les échelles, les couleurs permet d’orienter les interprétations …).

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D’après l’INSEE, en 2020, 658 000 personnes sont décédées en France, soit 7,3 % de plus qu’en 2019. Il ne fait aucun doute que les chiffres de 2021 seront plus importants encore. Pourtant les choses ne sont pas aussi simples. Quel aurait été le nombre de décès en 2020 sans COVID ? Le deuxième aspect bien connu est le suivant : le Covid 19 ne tue principalement que des personnes âgées. Les statistiques sont sans appel : 96% ont plus de 60 ans et 63 % ont plus de 80 ans.

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Si on regarde le taux de mortalité sur 25 ans, nous observons deux phénomènes : une chute drastique après l’épisode caniculaire de 2003 (qui, du reste, a traumatisé nos dirigeants), suivi d’une chute spectaculaire puis d’une remontée. Il y a des effets conjoncturels et structurels. La pyramide des âges est à prendre en compte. Du fait de l’arrivée des générations nombreuses du baby-boom à des âges de forte mortalité, le nombre de décès a tendance à augmenter depuis le début des années 2010. En outre, l’épidémie de grippe hivernale débutée en fin d’année 2017 a été précoce et exceptionnellement longue avec deux pics de mortalité début janvier puis fin février 2018. Ils ont contribué au niveau élevé des taux de mortalité des personnes âgées. L’épisode caniculaire du 24 juillet au 8 août 2018 a eu un léger impact, principalement sur la mortalité des personnes de 65 à 74 ans. Mais le delta du taux de mortalité pour 1000 habitants entre 2019 et 2020 est de 0.8 point seulement.

Si nous examinons l’écart à la moyenne du taux de mortalité sur la moyenne de cette période par mois, il semble que l’impact COVID-19 doit être relativisé davantage (même si le nombre de décès a plus que doublé depuis avril 2020)

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Rappelons que nous mourons davantage en hiver que durant l’été. Les grippes hivernales, létales pour les personnes âgées et à risque y sont pour quelque chose. L’écart des pics en hiver est donc très conjoncturel. Nous constatons que l’écart entre avril 2020 (pic des décès COVID) et janvier 2017 n’est pas très important (2.3% de plus).

Ces quelques courbes issues de l’INSEE peuvent être interprétées et interrogées de différentes façons. J’attends vos commentaires. Nous n’avons pas assez de recul pour juger de façon rigoureuse de la surmortalité due au COVID, mais à l’aune des données actuelles, elle doit être sérieusement relativisée. La vraie question est son acceptabilité. Nous oublions tous une évidence : nos anciens et les personnes à risque meurent plus souvent que les jeunes et les personnes actives saines. Cela n’a rien de dramatique ni de scandaleux en soi, car ils y sont pour la plupart préparés (mais les écoute-t-on ?). Le problème des occidentaux est leur incapacité à faire face à la mort collectivement, après des décennies de reflux de la mort, porté par les progrès médicaux, la protection sociale (que le néo-libéralisme tente de détruire depuis le début des années 80) et l’externalisation de la mort issue des conflits armés par l’automatisation des armes et la sous-traitance. L’historien que je suis ne peut s’empêcher de rappeler que sur une plus longue période le taux de mortalité a chuté drastiquement. Ce sont bien les périodes de guerre sur notre territoire qui font exception.

La médecine limite les décès – et nous lui en sommes reconnaissants – mais espérer qu’elle nous libère des menaces pandémiques est une illusion. Nous pouvons collectivement accepter une légère surmortalité en trouvant un point d’équilibre entre vie biologique et vie sociale. Notre vrai chantier est la réforme de la fin de vie pour la rendre plus digne, à une époque où l’affaissement considérable des rituels religieux (toute religion confondue), l’implosion des cadres familiaux sont des faits marquants et durables. Vivre pleinement sa vie affective, sociale, économique, spirituelle est possible malgré le Covid et peut-être même à cause du Covid, en ce qu’il nous oblige à réaccepter notre finitude et, par là, nous donne la possibilité de vivre plus intensément sur des bases plus saines.

Nous ne pouvons pas vivre éternellement hors de nos corps par une sociabilité virtuelle. Nous avons besoin d’aimer, sentir, toucher, écouter l’autre par des rapports humains non médiatisés.

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