par René Naba.
Emmanuel Macron a soutenu samedi 15 Février 2020 lors de la conférence sur la sécurité de Munich que « la Russie allait continuer à essayer de déstabiliser » les démocraties occidentales. Non que l’affirmation ne soit pas vraie, mais elle mérite d’être nuancée. Retour sur cette grande « OPSY » opération d’intoxication psychologique.
Emmanuel Macron, novice angélique ou machiavélique animé de noirs desseins ?
L’espionnage est de bonne guerre. À la base même de la guerre. Une guerre souterraine menée tant pour déjouer les plans de l’ennemi que pour neutraliser la concurrence des alliés mais néanmoins des rivaux sur le plan économique.
Contre toute évidence, le président Emmanuel Macron a pourtant soutenu mordicus que la Russie « allait continuer à essayer de déstabiliser » les démocraties occidentales en s’ingérant dans leurs élections et en manipulant les réseaux sociaux. « Je pense que la Russie continuera à essayer de déstabiliser, soit (via) des acteurs privés, soit directement des services, soit des « proxies » (intermédiaires, ndlr) », a-t-il déclaré samedi 15 Février 2020 lors de la conférence sur la sécurité de Munich.
En pointant du doigt la Russie comme grand perturbateur du fonctionnement des démocraties occidentales, M. Macron s’est inscrit dans une logique de guerre psychologique dans le sillage d’une grande opération d’intoxication à l’intention de l’opinion occidentale et de falsification de la vérité.
Un enfumage médiatique dont l’objectif sous-jacent est de faire diversion sur la réalité de l’espionnage dans le monde, spécifiquement l’espionnage occidental, particulièrement actif à l’échelle planétaire.
Sur les raisons de la nervosité occidentale à l’égard de la Russie, cf ce lien.
La Russie a indirectement répondu aux accusations françaises, assurant que le pouvoir français cherche à faire « diversion ». Cf sur ce lien, les propos affligeants de Dominique Reynié et Bernard Henry Lévy.
L’affaire du « parapluie bulgare » demeure dans les mémoires tout comme l’empoisonnement du couple Sergueï et Ioulia Skripal, mais les services occidentaux sont-ils pour autant exempts de toute turpitude ?
Certes, il est de notoriété publique que le KGB et la défunte Stasi (services de l’Allemagne de l’Est) de même que les autres services du bloc communiste de l’ex-pacte de Varsovie traînent une horrible réputation, amplifiée par l’assourdissante force de frappe médiatique occidentale, mais les services de renseignements de l’OTAN, – la CIA, le MI-6 britannique, (MI-6 pour Military Intelligence, section 6), la DGSE française, voire même le Mossad israélien, sont-ils pour autant de blanches colombes ?
L’hégémonie occidentale, particulièrement américaine, est globale : En 2018, près de 200 000 hommes, soit 10% du personnel militaire américain, étaient déployés à l’étranger dans 800 bases militaires (le plus souvent maritimes), dans 177 pays et 85 pour cent des grands vecteurs médiatiques internationaux sont situés dans l’hémisphère occidental, propriétés d’Occidentaux.
Au risque de choquer le lecteur non averti, le dispositif occidental n’en est pas moins odieux quand bien même son action est justifiée – bonifiée ? – par la nécessité de préserver le système démocratique à travers le monde, particulièrement les « grandes démocraties occidentales ».
Le Mossad, quant à lui, revendique deux mille sept cents (2700) assassinats ciblés, soit 40 par an, selon Ronen Bergman, auteur de l’ouvrage « Rise and Kill First : The Secret History of Israel’s Targeted Assassination ». Des assassinats extra judiciaires justifiés là aussi par la nécessité de survie de l’État hébreu face à un environnement hostile, nonobstant le sociocide auquel il se livre à l’encontre des Palestiniens.
Les propos présidentiels émanent-ils d’un novice animé d’une grande candeur ? D’un être machiavélique animé de noirs desseins sous un visage angélique ? N’a-t-il jamais entendu parlé ce plus jeune président de la République française du réseau Échelon, de l’opération Rubicon de la firme suisse CRYPTO AG, pour ne citer que deux des systèmes les plus emblématiques de l’espionnage atlantiste ?
L’ancien secrétaire général de l’Élysée sous François Hollande est-il frappé d’amnésie sélective ?
A-t-il oublié qu’entre 2006 et 2012, une époque pourtant récente, les services des États-Unis ont écouté trois présidents de la République française, – Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande –, dont la presse française en a fait état en se fondant sur cinq documents obtenus par Wikileaks, sous le titre « Global SIGINT Highlights ».
Ignore-t-il les moyens colossaux dont disposent les États Unis, qui peuvent compter sur la coopération, volontaire ou obligée, d’autres pays qui leur servent de relais ?
Le réseau Échelon dit « Five Eyes »
Échelon est un nom de code utilisé pendant de nombreuses années par les services américains pour désigner une base d’interception des satellites de télécommunications commerciaux. Un système mondial d’interception des communications privées et publiques (SIGINT), cogéré dans le cadre du Traité UKUSA, par cinq pays anglo-saxons.
Ce réseau d’échanges d’informations et de surveillance coopérative était désigné sous le vocable « Five Eyes ». Il groupait exclusivement des pays anglo-saxons (États-Unis, Grande-Bretagne, Australie, Nouvelle-Zélande et Canada). Mis en route à la fin de la Deuxième Guerre Mondiale (1945), le réseau a survécu au conflit mondial et à la Guerre froide. L’Allemagne ne l’a pas formellement rejoint mais ses services de renseignements ont été recréés dans la décennie 1950 par les Américains, ce qui explique mais ne justifie pas la collaboration entre la NSA et le BND.
Le réseau Échelon est géré conjointement par les services de renseignements des États membres de l’UKUSA :
- La NSA (National Security Agency) pour les États-Unis qui en est le principal contributeur et utilisateur.
- Le GCHQ (Government Communications Headquarters) pour le Royaume-Uni.
- Le CSTC (Centre de la sécurité des télécommunications Canada) pour le Canada ;
- L’ASD (Australian Signals Directorate) pour l’Australie ;
- Le GCSB (Government Communications Security Bureau) pour la Nouvelle-Zélande.
Ce réseau global était appuyé par des satellites artificiels, de vastes bases d’écoutes situées aux États-Unis, au Canada (à Leitrim), au Royaume-Uni (à Morwenstow), en Australie (à Pine Gap) et en Nouvelle-Zélande (à Waihopa) ainsi que par de petites stations d’interception dans les ambassades.
Avec en complément, le sous-marin USS Jimmy Carter (SSN-23), entré en service en 2005 pour écouter les câbles sous-marins de télécommunications pour intercepter les télécopies, les communications téléphoniques et les courriels.
Grâce à un puissant réseau d’ordinateurs, il est capable de trier en fonction de certains termes les communications écrites et, à partir de l’intonation de la voix, les communications orales. Bien que plusieurs autres pays aient mis en place des systèmes similaires, comme Frenchelon en France, il reste aujourd’hui le plus puissant au monde.
Ces réseaux peuvent être utilisés pour des actions militaires ou politiques. 2 000 personnes, dont 1 500 Américains, travaillent sur la base du Yorkshire au Royaume-Uni, la plus grosse hors des États-Unis.
Toutes les informations récoltées par le réseau Échelon sont analysées au quartier général de la NSA à Fort George G. Meade (Maryland, États-Unis).
Dévoilement du réseau Échelon
Ce réseau est resté totalement inconnu du grand public pendant plus de 40 ans. Ce n’est qu’en 1988 qu’un journaliste écossais, Duncan Campbell, dévoile le projet Échelon, dans un article intitulé « Somebody’s listening ». À l’époque, celui-ci ne fait pas grand bruit et les médias s’y intéressent peu. En 1996, nouveau rebondissement, le journaliste néo-zélandais Nicky Hager publie son livre « Secret Power », détaillant la participation néo-zélandaise au réseau. Parallèlement, les affaires d’espionnage économique se multiplient (Thomson CSF, Airbus, ATandT, etc.).
L’on impute généralement à Échelon l’espionnage de grandes transactions commerciales, dont les plus emblématiques sont les suivantes :
- 1984 Airbus-MC Donnel Douglas, vente d’avions à la Saudi Arabian Airlines.
- 1994 Thomson CSF-Raytheon, interception des offres de l’entreprise française pour la construction d’un système de surveillance de la forêt amazonienne
- 1994 Accord général sur les Tarifs douaniers et de Commerce (GATT), matérialisé par l’interception des courriels des représentants européens.
- 1993 Espionnage de José Ignacio López de Arriortua, un cadre de General Motors parti chez Volkswagen en 1993 avec des documents secrets. Lopez a été reconnu coupable par contumace en Mai 2000 par un jury fédéral des États-Unis).
Les principales stations Overseas des five eyes se situent à Gibraltar (Royaume-Uni), Rota, Espagne (pour les États-Unis), Clark, Philippines (pour les États-Unis), Guam (Océan Pacifique), Diego Garcia (Océan indien), Ayios Nikolaos, Chypre, (pour le Royaume-Uni), Wheelus Air Field (Libye) fermée par le colonel Mouammar Kadhafi et rebaptisée Okba Ben Nafeh, ainsi que les deux bases américaines en Iran (Behshahr et Kapkan (stations ELINT de la CIA appelées Tacksman I et II). Les bases d’Iran ont été évacuées en 1979 à la suite de la révolution iranienne.
L’Opération Rubicon
Le réseau Échelon a enserré la planète dans un maillage selon un déploiement arachnéen. Par articulation du global sur le local, « l’Opération Rubicon » a, elle, constitué un réseau d’espionnage au cœur de la Suisse, via la firme suisse Crypto AG, qui a opéré au niveau local sur le plan des utilisateurs individuels.
La Suisse, dont la neutralité légendaire est tant vantée, s’est révélée être ainsi un sous-traitant des États Unis dans le domaine de l’espionnage.
La Suisse a ainsi hébergé l’opération d’espionnage la plus importante depuis la Seconde Guerre mondiale. Longtemps suspectée, l’entreprise suisse de matériel de communication Crypto était secrètement contrôlée par le CIA et l’espionnage allemand. Crypto a changé l’histoire en truquant ses machines de cryptage. Grâce à ses machines truquées, plus de 100 pays à travers le monde ont été espionnés.
Deux des plus gros clients de Crypto ZG n’étaient autre que l’Arabie Saoudite et l’Iran du temps du Chah d’Iran. De surcroît, la Suisse a abrité à Loèche, dans le Valais, une station d’écoute gérée par les sociétés Verestar puis Signalhorn pour le compte de la NSA avec le concours du Département fédéral suisse de la Défense.
La Suisse ne pouvait donc plaider l’ignorance. Sa réputation de neutralité est depuis lors sérieusement compromise.
- Pour aller plus loin sur ce sujet, cf ce lien.
Épilogue
Ah ces vilains Russes et leurs vilaines méthodes. Mais les Occidentaux sont-ils pour autant des chérubins ?
Loin s’en faut. À leur tour pointés du doigt avec l’incarcération de l’australien Julian Assange, les fuites de Wikileaks, le cas de Edward Snowdon, sans oublier la grande opération d’intoxication des médias occidentaux aiguillonnés par leurs gouvernement respectifs du début du XXIe siècle, tant à propos des armes de destruction massive en Irak, en 2003, qu’à propos du bidonnage des armes chimiques et des « Casques blancs » en Syrie, 2016, qu’à propos de la révolution démocratique des groupements terroristes en Syrie et en Libye.
Au terme de ce parcours, les pays occidentaux apparaissent rétrospectivement comme un club de riches usant de tous les subterfuges de la guerre clandestine, de ses zones grises, de ses procédés tortueux, pour maintenir leur domination sur le reste de la planète et sa prédation économique. Au même titre sinon autant que la vilaine Russie.
Point n’est pourtant besoin d’être un disciple du philosophe Paul Ricœur pour constater que tout n’est pas la faute à la Russie. Ainsi la France qui a perdu la Syrie par suite de son aveuglement idéologique est en passe de perdre aussi le Liban, ses deux points d’ancrage traditionnels au Levant.
La faute à la Russie ? Que n’a-t-elle suivi la politique de la Russie dans cette affaire, qui vaut au Kremlin un retour en force au Moyen Orient et vraisemblablement dans l’ensemble du tiers monde.
« LES MANIPULATIONS DE L’INFORMATION, un défi pour nos démocraties. Un rapport du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS, Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères) et de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM, Ministère des Armées) ».
source : https://www.madaniya.info/
Source : Lire l'article complet par Réseau International
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