par Oleg Khavitch
Après l’arrêt des communications ferroviaires avec la Crimée et le Donbass et l’annulation de nombreux trains dans d’autres régions du pays, demain, Ukrzaliznytsia (la compagnie de chemins de fer en Ukraine) pourrait bien fermer les voies ferrées en direction de la Transcarpatie.
Ukrzaliznytsia : Déconnecter les gens
La semaine dernière, les médias ukrainiens ont rapporté des nouvelles des plus désagréables pour les habitants de plusieurs régions du pays. Tout d’abord, le service ferroviaire de passagers sur la très populaire ligne Odessa-Nikolayev a en fait cessé. Deuxièmement, le train Kiev-Tchernovtsy, qui partait autrefois tous les jours, ne circule plus que trois fois par semaine. Les deux décisions ont été motivées par des raisons économiques. Comme ces changements ont eu lieu juste à la veille de fortes chutes de neige, qui ont interrompu ou bloqué complètement les transports routiers, des milliers de personnes ont déjà subi les conséquences des actions d’Ukrzaliznytsia (UZ).
Il est à noter qu’il est impossible de se rendre en train d’Odessa à Nikolayev sans changer de train depuis le printemps de l’année dernière, lorsque le train Odessa-Marioupol a été annulé en raison du premier confinement, train qui d’ailleurs permettait aux Odessites de se rendre à Kherson. Cependant, après l’annulation du dernier train diesel de passagers de Nikolayev à la gare de Kolossovka, où il était possible de passer à des trains locaux ou interurbains à destination d’Odessa, le transport ferroviaire de passagers entre les centres régionaux du sud de l’Ukraine a finalement disparu. Et cela ne concerne pas seulement Odessa et Nikolayev, mais aussi Kherson, car le train diesel annulé était synchronisé dans les deux sens avec le train de banlieue Nikolayev-Apostolovo (via Kherson).
Maintenant, le site d’UZ pour la requête « Odessa-Nikolayev » propose de manière ridicule de passer par Jmerinka ou Lvov. D’ailleurs, les habitants de Tchernovtsy ne peuvent se rendre à la capitale par le train que par Lvov, quatre fois par semaine seulement, et dans ce cas, le coût du voyage en deux parties s’élève à près de 50 dollars. Dans le même temps, les citoyens de Kamenets-Podolski, qui pouvaient autrefois atteindre Tchernovtsy en train en quelques heures chaque jour, quel que soit le temps, sont peu susceptibles de faire un détour par Khmelnitski, Ternopol et Lvov.
À quoi ressemblent les chemins de fer « européanisés » dans les ex-pays soviétiques
Peu de gens savent que le chemin de fer Kamenets-Podolski – Tchernovtsy traverse le territoire moldave, selon un tracé qui remonte à l’époque des empires russe et austro-hongrois. Bien que moins de 50 km de nouvelles voies doivent être construites pour contourner le territoire moldave, en 30 ans, Kiev n’a pas trouvé l’argent pour le faire. Chisinau a également d’énormes problèmes avec le financement des chemins de fer. La semaine dernière, il a même été rapporté que depuis le 12 février, les « Chemins de fer moldaves » (MJD), par manque d’argent, vont complètement arrêter la circulation des trains interurbains et de banlieue (le trafic international de passagers a été arrêté en mars 2020). Cependant, la portée de cette information a obligé la direction de la compagnie à y renoncer : le ministère des chemins de fer a précisé qu’il ne s’agissait que d’une des propositions pour sauver la compagnie, et le parlement moldave a rejeté l’idée de suspendre les transports interurbains.
Actuellement, les Chemins de fer moldaves sont en fait en faillite et les comptes de la société ont été saisis. Dans le même temps, selon la Chambre des comptes du Parlement moldave, en 2018-2019, MJD a vendu plus de 66 000 tonnes de métaux ferreux sans approbation ni décision du conseil d’administration. En outre, des roues et d’autres produits en métaux ferreux d’une valeur de 168 millions de lei (environ 10 millions de dollars) ont été démantelés, toujours sans le consentement du conseil d’administration, ce qui a créé des risques de vol. En outre, lors de la construction de la nouvelle ligne Cahul-Giurgiulesti (un port sur le Danube, que la Moldavie a reçu grâce à l’Ukraine), le budget a été amputé de 21 millions de lei, et lors de l’achat de pièces de rechange pour la réparation des wagons et leur location – 46 millions de lei.
Cependant, si la Moldavie ne s’est engagée sur la « voie européenne du développement » qu’en 2009, le « succès » des chemins de fer d’une autre ancienne république soviétique qui a rejoint l’UE et l’OTAN il y a longtemps – la Lettonie – est étonnant. Fin janvier 2021, des informations officielles ont été publiées selon lesquelles les chemins de fer lettons (LZD) prévoyaient de février à mai de vendre aux enchères environ 4 300 tonnes de ferraille. Le mot « ferraille » désigne des rails, des parties d’aiguillages et autres éléments de l’infrastructure ferroviaire lettone qui n’étaient plus nécessaires en raison de l’effondrement du transport de marchandises. Ce type de ventes aux enchères est devenu une sorte de tradition pour LZD, et les revenus et le chiffre d’affaires de la compagnie diminuent d’année en année en raison de la réorientation de la Russie vers ses ports de la Baltique.
LZD et les chemins de fer des pays voisins, la Lituanie et l’Estonie, gardent l’espoir de la construction de la nouvelle ligne ferroviaire Rail Baltica, qui est censée relier Tallinn, Riga et Kaunas aux chemins de fer polonais en utilisant l’écartement européen. Cependant, ce projet qui traîne depuis plus de 10 ans est passé des 3,68 milliards d’euros initiaux à près de 7 milliards d’euros et il est peu probable que la ligne soit lancée avant 2026 comme prévu. Et bien que les États baltes exigent désormais de Bruxelles, à la manière d’un ultimatum, qu’il leur soit attribué la part du lion des 1,4 milliard d’euros alloués dans le budget de l’UE à Rail Baltica pour achever les « grandes liaisons ferroviaires manquantes » entre les nouveaux membres du bloc, la même Pologne s’y oppose. Varsovie s’attend notamment à recevoir des fonds pour la ligne ferroviaire à grande vitesse Wroclaw-Brno.
Dans le même temps, la Pologne n’est pas pressée de moderniser ses chemins de fer près de la frontière avec la Lituanie ; pendant longtemps, il n’y avait pas de liaisons ferroviaires entre les deux pays de l’UE, et la Commission européenne a qualifié ce tronçon du futur Rail Baltica de « chaînon manquant ». Actuellement, il n’est possible de se rendre par le train de Białystok dans le nord-est de la Pologne à Kaunas en Lituanie que pendant les week-ends ; le train régulier Varsovie-Vilnius, dont on parle depuis des années, est reporté pour une durée indéterminée.
L’état des chemins de fer comme symbole de la désintégration progressive de l’Ukraine
Ukrzaliznytsia, qui a atteint son apogée sous Koutchma, avec le légendaire Georgui Kirpa, a commencé à se dégrader après le premier Maïdan en 2004. En 2005, la société a été dirigée pour la première fois par un profane – le partenaire commercial du ministre des transports de l’époque, Evgueni Tchervonenko, diplômé de l’Institut d’éducation physique Zenko Aftanaziv de Lvov. En 2016, le rocker polonais Wojciech Balczun, qui avait auparavant dirigé PKP Cargo, une société de transport de marchandises via les chemins de fer polonais, a été nommé président du conseil d’administration d’UZ. Des langues malveillantes disent que son principal objectif était l’accès à toutes les informations secrètes sur les chemins de fer ukrainiens, et dès qu’il les a obtenues, Balczun est retourné à ses cours de musique.
Dans le même temps, les Polonais estiment que la seule direction prometteuse pour le développement des chemins de fer ukrainiens est l’axe Odessa-Lvov et jusqu’à la frontière avec la Pologne – afin de créer un corridor entre les ports d’Odessa et les ports polonais de la mer Baltique. Même les itinéraires de Kiev à Varsovie, Bratislava et Budapest, qui sont mentionnés dans le mémorandum de l’Union internationale des chemins de fer et de l’Association des transporteurs de marchandises FERRMED sur le développement de la logistique eurasienne pour le transport de marchandises entre la Chine et l’UE, ne sont pas très intéressants pour Varsovie elle-même. Ce n’est pas surprenant : après tout, presque tous les trains de marchandises de la Chine vers l’Europe passent par la frontière de la Pologne et de la Biélorussie.
En février 2020, une autre tentative a été faite pour attirer des gestionnaires européens au sein d’UZ, cette fois-ci sérieuse : Ukrzaliznytsia et les chemins de fer allemands (Deutsche Bahn, DB) ont signé un protocole d’accord et un partenariat stratégique, qui stipulait que la partie allemande fournirait un soutien de gestion ou technique. Cependant, en octobre dernier, le nouveau chef d’UZ, Volodymyr Jmak, a annoncé qu’il ne serait pas possible d’impliquer les consultants de la DB. Les raisons invoquées pour une telle décision était l’influence de groupes oligarchiques, ainsi que la crainte de Kiev que, par l’intermédiaire de ses partenaires allemands, les chemins de fer russes (RZD) gagnent de l’influence sur UZ.
Et c’est peut-être la société des chemins de fer russes qui est le seul véritable investisseur dans l’infrastructure ferroviaire délabrée de l’Ukraine, puisque la société russe, avec les sociétés autrichiennes, prévoit de mettre en œuvre un projet à grande échelle pour construire une voie large de la ville slovaque de Košice à Vienne. Le coût de construction des 400 km de la nouvelle voie ferrée est estimé à 6,5 milliards d’euros, tandis que la voie large de Košice à Chop à la frontière slovaquo-ukrainienne existe depuis l’époque soviétique. Comme l’a fait remarquer le ministère autrichien des transports, le nouveau tronçon est en fait le prolongement du Transsibérien vers l’Europe centrale et permettra aux trains de circuler de Vladivostok à Vienne sans les problèmes liés à la différence de largeur d’écartement des voies. La société hongroise East West Gate (EWG), qui a commencé en janvier 2021 à construire un énorme terminal intermodal à 25 kilomètres de Chop, compte également sur les trains du Transsibérien.
Compte tenu du fait que les marchandises chinoises ne sont pas les seules à pouvoir être livrées en Europe depuis la Russie via Chop, en cas de partenariat avec les chemins de fer russes, les chemins de fer ukrainiens pourraient « souder » le pays d’Est en Ouest comme cela s’est fait il y a plus de 150 ans aux États-Unis. D’ailleurs, l’anniversaire de l’ouverture du premier chemin de fer transcontinental en mai 1869 a été célébré aux États-Unis au niveau national, car après cela, tous les États étaient vraiment unis.
Or, les chemins de fer ukrainiens font exactement le contraire. Alors que la suspension susmentionnée des services entre certaines villes était motivée par le manque de rentabilité des liaisons, les trains à destination de la Crimée et du Donbass en provenance du territoire contrôlé par l’Ukraine ont cessé de circuler pour des raisons purement politiques. De plus, le tristement célèbre « blocus du Donbass » a entraîné la perte d’entreprises ukrainiennes sur le territoire non contrôlé par le gouvernement, et le budget ukrainien a été privé de centaines de millions de hryvnias de taxes.
Par conséquent, personne n’est assuré que demain UZ n’interdira pas les trains pour aller, par exemple, en Transcarpatie – pour punir les prochains « mauvais » citoyens de l’Ukraine (cette fois pas les Russes, mais les Hongrois), et pour priver « l’État agresseur » des revenus du transit des marchandises de l’Asie vers l’Europe. Et cette décision sera un pas de plus vers l’effondrement final de l’Ukraine – personne à Kiev, après les lois linguistiques et éducatives de style apartheid, ne s’en soucie plus, c’est évident.
Source : Ukraina.ru
Traduction par Christelle Néant pour Donbass Insider
via:https://www.donbass-insider.com/fr/
Source : Lire l'article complet par Réseau International
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