Par Dmitry Orlov – Le 28 janvier 2021 – Source Club Orlov
Quel type de propagande préférez-vous, la version russe ou la version américaine ? Étant donné que ni l’une ni l’autre ne peut être considérée comme la vérité impartiale réelle (le terme « propagande » est une tarte à la crème) et qu’il semble important pour vous de connaître la vérité impartiale réelle (dites-moi pourquoi), vous pouvez ne préférer ni l’une ni l’autre. Mais c’est l’une de ces situations où vous devez choisir parce que dire la vérité réelle non vernie d’une manière suffisamment détaillée et factuelle vous endormirait sûrement. J’ai maintenant appris comment garder un public éveillé, en racontant une histoire – un récit, si vous voulez. Et une histoire, pour être intéressante, doit avoir un protagoniste principal et un ou plusieurs antagonistes. C’est comme ça que notre cerveau de singe est câblé, alors ne m’en voulez pas !
En parlant de cerveau, la propagande américaine semble un peu en état de mort cérébrale : elle est sédative, somnifère, somnolente et stupéfiante (c’est un dispositif poétique appelé allitération, d’ailleurs). Il suffit de regarder ces titres idiots (légèrement modifiés pour obtenir un effet) :
- « Le dictateur russe diabolique empoisonne le principal candidat de l’opposition russe avec une arme chimique »
- « Un dictateur russe diabolique arrête le principal candidat de l’opposition russe »
- « Des millions de Russes protestent contre l’arrestation du principal candidat de l’opposition russe »
- « Les Américains sont prêts à imposer davantage de sanctions à la Russie pour l’empoisonnement et l’arrestation du principal candidat de l’opposition russe afin d’empêcher un consortium germano-russe d’achever un gazoduc économiquement nécessaire vers l’Allemagne »
Oups ! cherchez l’intrus !
Permettez-moi de vous expliquer pourquoi cette attaque de propagande américaine a l’effet inverse de celui escompté.
Tout d’abord, notez le principal dispositif rhétorique utilisé ici : la répétition. Des phrases clés, telles que « Poutine, le méchant dictateur russe » et « le principal candidat de l’opposition russe » apparaissent sans cesse. Selon le grand propagandiste nazi Joseph Goebbels, « si vous dites un gros mensonge et que vous le répétez sans cesse, les gens finiront par le croire ». Si vous croyez que Poutine est un dictateur malfaisant ou qu’Alexei Navalny est un des principaux candidats de l’opposition russe, alors Goebbels avait raison. Mais vous pouvez également prouver que Goebbels a tort en montrant que la cote de popularité de Poutine de 60% (en juillet 2020, selon le Centre Levada, pro-occidental, une structure enregistrée comme agent étranger opérant en Russie) le rend plus populaire que n’importe quel leader dans le monde. Ce petit fait à lui seul devrait servir d’antidote contre Goebbels.
Il y a un autre signe révélateur que vous êtes soumis à de la propagande : l’utilisation d’un autre dispositif rhétorique appelé antonomase. C’est un bon truc à retenir. Il s’agit d’utiliser une épithète, généralement artificielle, à la place d’un signifiant factuel. Un signifiant factuel serait « Vladimir Poutine, Président de la Fédération de Russie ». L’épithète antonomique est « dictateur russe diabolique ». Un signifiant factuel est « Alexei Navalny, criminel condamné et agent des services de renseignement étrangers ». L’épithète antonyme est « principal candidat de l’opposition russe ». Vous voyez la différence ?
En lisant ou en regardant les informations aux États-Unis (propagande américaine), vous pourriez supposer que « Alexei Navalny, le principal candidat de l’opposition russe » est un prisonnier politique alors qu’en fait, « Alexei Navalny, criminel condamné et agent des services de renseignement étrangers » a été arrêté pour violation des conditions de sa libération conditionnelle simultanément à deux condamnations pénales pour détournement de fonds et fraude. A-t-il été piégé, peut-être, ou victime des circonstances ?
L’une des condamnations pénales de Navalny concerne l’achat frauduleux de bois d’œuvre auprès d’une entreprise publique à des prix artificiellement bas et sa revente au prix du marché, en empochant la différence. Son autre condamnation pénale concerne son frère et lui, qui travaillait à l’époque pour le service postal du gouvernement russe, qui a convaincu la société Yves Rocher de payer une prime et d’utiliser son service d’expédition spécial à la place des services postaux du gouvernement russe, créant ainsi une entreprise frauduleuse pour mettre des enveloppes dans d’autres enveloppes et empochant la différence.
De nombreuses autres accusations civiles et pénales sont également en cours d’instruction contre lui, allant de la diffamation envers un ancien combattant de la Seconde Guerre mondiale à l’incitation de mineurs à commettre des actes illégaux, en passant par le détournement de plus de 365 millions de roubles (plus de 5 millions de dollars). Il a également tiré à plusieurs reprises sur un homme non armé dans un élan de jalousie, en visant la tête, mais l’affaire a été annulée, probablement grâce à l’utilisation des relations politiques de la femme en question. Cela soulève quelques questions : Pourquoi a-t-il été autorisé à bénéficier d’une libération conditionnelle non pas pour une, mais pour deux condamnations différentes ? Pourquoi a-t-il été autorisé à quitter le pays alors qu’il était en liberté conditionnelle ? Pourquoi le gouvernement tarde-t-il à le poursuivre pour les autres motifs ?
Plus important encore, Navalny peut-il être considéré comme un candidat de l’opposition ? Les criminels condamnés ne peuvent pas se présenter aux élections en Russie, alors comment peut-il être candidat ? De plus, la plupart de ses partisans sont mineurs, ayant été amenés à participer à des manifestations contre sa détention en regardant des vidéos sur TikTok et YouTube qui les ciblaient spécifiquement en fonction de leur âge défini dans leur profil d’utilisateur. Ces partisans mineurs ne peuvent pas voter parce qu’ils ne sont pas assez âgés. Comment une personne qui ne peut pas se présenter aux élections et qui est soutenue par un nombre insignifiant de non-votants peut-elle être considérée comme un candidat de premier plan ? Insignifiant dites-vous ? Malgré les efforts des organisateurs, seuls quelques milliers de personnes se sont présentées à Moscou et à Saint-Pétersbourg. Pour des villes aussi gigantesques, ces chiffres sont arrondis à zéro en pourcentage.
Comment Navalny a-t-il pu être empoisonné avec du Novichok ? Le Novichok est une arme chimique de qualité militaire, conçue pour tuer rapidement tout le monde dans un large rayon. C’est un poison binaire, un gaz créé par le mélange de deux produits chimiques, qui se dissipe rapidement. Si Navalny avait été empoisonné à son hôtel, il y aurait eu un hôtel plein de cadavres. S’il avait été empoisonné en route pour l’aéroport, la voiture dans laquelle il se trouvait aurait été retrouvée pleine de cadavres. S’il avait été empoisonné à bord de l’avion où il est tombé malade, l’avion se serait écrasé car tous les passagers et les pilotes seraient morts. L’absence de cadavres à chaque étapes de ses différents déplacements prouve qu’il n’a pas été empoisonné avec du Novichok. Plus important encore, si l’idée était de le tuer, pourquoi est-il encore en vie ? Doit-on supposer que ce gaz toxique peut être administré à une dose homéopathique suffisamment faible pour éviter de tuer une seule personne ? Si oui, dans quel but ?
La réponse à toutes ces questions est que Navalny n’est pas seulement un outil de la propagande américaine. Il est aussi un outil de la propagande russe. En tant que criminel condamné, il ne peut être candidat à aucune fonction. En tant qu’homme politique, il est un castrato avec un beau falsetto. En tant qu’instrument des services spéciaux étrangers (plus précisément américains) et de la propagande américaine, ses services sont gratuits pour la Russie. Son utilisation des médias sociaux étrangers pour corrompre la jeunesse russe en incitant les enfants à sortir et à manifester – illégalement – en pleine pandémie a incité la lourde bureaucratie russe à régenter les sociétés de médias sociaux détenues par des étrangers. Si la législation actuellement en cours d’élaboration est adoptée, ils perdront désormais 10 % de leurs revenus s’ils persistent à pécher de cette manière à nouveau. Il est également probable qu’ils seront carrément interdits en Russie, comme cela s’est déjà produit en Chine et en Inde. Ce ne serait pas un problème : La Russie dispose de ses propres services de médias sociaux qui sont tout aussi bons.
Plus important encore, en tant que personnage fortement promu (à l’aide de fonds étrangers) mais totalement faux et dégoûtant, Navalny a fait des ravages dans les rangs des forces d’opposition plus légitimes, détruisant largement tout mouvement d’opposition russe. Cela est utile, car la Russie n’a pas besoin d’opposition politique et tend naturellement vers l’horizon soviétique défini par le slogan « Le peuple et le Parti ne font qu’un ! » Les États-Unis tendent également vers un régime à parti unique, avec les Démocrates de l’État profond qui contrôlent totalement la situation et les Républicains qui baissent leur culotte par crainte d’être poursuivis en tant que terroristes nationaux. C’est probablement ce qui devrait se passer, car une crise mondiale existentielle exige une unité de vues et n’est pas un bon moment pour l’opposition et l’indécision.
Enfin, Navalny offre une victoire passive à la propagande russe. Les Américains pensent que, grâce à Navalny, ils détiennent 4 as et un joker (Navalny étant le joker) alors que leur vraie main est une paire de 2 sans valeur. Il n’y a qu’un seul danger qui guette dans tout cela : lorsque les Américains réaliseront que Navalny ne vaut rien pour eux mais qu’il est précieux pour la Russie, ils pourraient essayer de le tuer (pour de bon cette fois). Par conséquent, l’endroit le plus sûr pour le garder en vie est une prison russe. Heureusement, le nombre de crimes qu’il a commis rend cette hypothèse parfaitement légitime. Si tout va bien pour lui, il restera dans les limbes permanentes, servant de mise en garde à tous ces criminels payés par des étrangers, les fameux « principaux candidats de l’opposition ».
Par souci d’exhaustivité, que devrions-nous faire des menaces américaines d’imposer des sanctions supplémentaires à la Russie parce que Navalny a violé les conditions de sa mise à l’épreuve ? La position russe standard sur les sanctions est « plus de sanctions, s’il vous plaît ! » Plus il y a de sanctions, mieux c’est pour la Russie, car elles donnent l’impulsion pour remplacer des importations. Dans ce domaine, la Russie a fait des progrès ces dernières années, en se rendant beaucoup moins dépendante d’importations critiques. La prochaine frontière est celle du remplacement des exportations : remplacer les exportations de matières premières par des produits à valeur ajoutée faits pour le marché intérieur. Même le Trésor américain a admis que de nouvelles sanctions contre la Russie sont, au mieux, inutiles.
En ce qui concerne les efforts concertés des États-Unis pour contrecarrer l’achèvement du gazoduc NordStream 2, nous devrions demander aux Allemands : Comment comptent-ils rester une puissance industrielle sans charbon (parce que c’est sale), sans nucléaire (parce que Fukushima), avec beaucoup de vent mais un soleil intermittent donc peu fiable et sans le gaz naturel russe bon marché pour aplanir les fluctuations du vent et du soleil et empêcher la défaillance du réseau électrique ? Peut-être que ce n’est pas possible. Et peut-être ont-ils réalisé que les « molécules de liberté » américaines promises n’existent pas vraiment. Mais c’est un sujet pour un autre jour.
Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateurs de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.
Traduit par Hervé, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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