Leonard Peltier, a été condamné le 18 avril 1977 à deux peines d’emprisonnement à perpétuité pour l’assassinat de deux agents du FBI, le 26 juin 1975, lors d’une fusillade sur la réserve de Pine Ridge (Dakota du Sud). Rien ne permettait d’identifier les deux agents, qui étaient en civil et conduisaient des véhicules banalisés. Militant de l’American Indian Movement (AIM), Leonard Peltier n’a jamais nié qu’il avait participé à la fusillade mais il a toujours démenti avoir exécuté les deux policiers et l’accusation n’a jamais pu prouver sa culpabilité.
Malgré de nombreux appels à la clémence de la part de personnalités internationales, dont le pape François, Barack Obama a quitté la Maison Blanche sans gracier Leonard Peltier, qui souffre de problèmes de santé.. Déjà le président Clinton avait promis qu’il ne m’oublierait pas et réparerait l’injustice d’une condamnation obtenue à la suite d’une machination politique, mais rien ne fût fait pour lui. Après quarante-trois ans en détention, Leonard Peltier souhaiterait être transféré dans un établissement plus proche de sa famille. Sa dernière demande a été rejetée en mars. Le prochain examen de son dossier de libération conditionnelle n’est pas prévu avant juillet 2024. Il aura 79 ans.
Mesdames et Messieurs,
Je m’appelle Léonard Peltier.
J’appartiens à la nation Lakota, anishinaabe dans notre langue, et je croupis depuis 45 ans dans une prison américaine.
Mon crime ?
Etre un Sioux Lakota non repentant, un Sioux Lakota militant, avoir été au mauvais endroit au mauvais moment, et porter le poids d’une accusation injuste qui fait de moi le plus vieux prisonnier politique du monde.
Mais devrais-je me plaindre ?
Après tout, mon destin épouse celui de mon peuple qui, chassé de ses terres, a fini, pour la plus grande partie de ses représentants, reclus dans des réserves dont la taille s’est sans cesse réduite au gré de l’avidité des colons et de l’Etat américain.
Devrais-je me plaindre ?
Mon destin épouse celui de nations qui peuplaient librement les vastes espaces de l’ouest américain avant de peupler prioritairement les prisons américaines, qui constituent sans doute la plus grande réserve indienne du pays.
Mais si mon destin est, à maints égards, un destin indien, un destin sioux, il est aussi celui d’un homme emprisonné pour ses convictions politiques.
Dans les années 1970, après des décennies de défaites, après des décennies de renoncement et d’oubli de soi, des Indiens de la jeune génération se mirent en tête de suivre l’exemple des quelques familles, des quelques individualités qui n’avaient jamais perdu la conscience et l’estime d’elles-mêmes.
Ils réagissaient ainsi à la politique d’assimilation initiée par le gouvernement des Etats-Unis au lendemain de la deuxième Guerre mondiale qui tendait à mettre fin à l’existence des réserves et à nier la souveraineté des nations indiennes, ou le peu qui en restait.
Ces jeunes gens commencèrent à se sentir fiers d’appartenir à une lignée ancestrale et à une culture qui étaient celles des premiers occupants de l’Amérique.
Ils commencèrent aussi à revendiquer, avec cette appartenance, des droits.
Des droits qu’on avait bafoués depuis si longtemps, de traités déchirés en promesses oubliées emportées par le vent.
Ainsi est né l’American Indian Movement.
J’en suis devenu l’un des membres les plus actifs et les plus en vue.
Sans doute m’étais-je trop exposé, ce faisant, aux mauvais coups de l’adversaire.
Le mouvement a occupé, en 1972, le Bureau des affaires indiennes à Washington et, en 1973, le site de Wounded Knee dans la réserve de Pine Ridge, où, 83 ans plus tôt, la cavalerie américaine avait massacré près de 200 hommes, femmes et enfants sioux.
Le mouvement a fait ainsi connaître la cause amérindienne auprès du public nord-américain, et au-delà même, dans le monde entier.
Puis la répression s’est abattue sur lui.
Au sein même des réserves comme Pine Ridge, où la milice d’un chef local hostile au mouvement devait assassiner plusieurs dizaines de ses militants et de Sioux Oglalas fidèles à leurs traditions, sans que jamais ces crimes et leurs auteurs ne soient poursuivis et jugés.
Pour me punir de mon engagement, on devait me jeter en prison une première fois et m’accuser d’avoir tenté d’assassiner un policier.
C’était en novembre 1972.
Pour ces faits, j’ai été acquitté.
Mais ceux qui voulaient nous briser, et ramener les Indiens à l’obéissance ne devaient pas s’arrêter là.
C’est à Pine Ridge que j’ai rencontré mon destin le 26 juin 1975.
La réserve était en proie à un climat de terreur soigneusement entretenu par le chef local, auquel les agences fédérales avaient apporté leur appui comme l’a révélé par la suite l’un des chefs de sa milice, Duane Brewer.
J’étais venu au secours de militants et de défenseurs des traditions sioux qui s’y sentaient en danger.
Ce jour du 26 juin 1975, une fusillade éclata entre le F.B.I., qui avait fait irruption dans la réserve sans s’identifier, et des militants de mon mouvement.
Deux agents du F.B.I. et un de mes frères indiens trouvèrent la mort dans cet échange de coups de feu.
On m’accusa d’être le meurtrier des « fédéraux », de les avoir abattus de sang-froid..
J’ai toujours nié avoir tiré sur eux.
Sachant que je n’aurai pas droit cette fois à un procès équitable, j’ai fui au Canada, comme Sitting Bull un siècle auparavant, après la bataille du Little Big Horn.
J’ai été livré aux autorités américaines sur un faux témoignage, celui d’une femme indienne qui prétendait être ma petite amie de l’époque et avoir assisté au meurtre des agents.
Plus tard, elle reconnut ne pas me connaître et ne pas avoir été présente sur les lieux au moment des faits. Le F.B.I. lui avait dicté ses déclarations mais on l’empêcha de parler des pressions qu’elle avait subies lors de mon procès.
J’ai été, en effet, jugé et condamné deux fois à la prison à vie pour ce double meurtre qu’on m’a imputé à l’issue d’un procès au cours duquel les témoins clés de la défense n’ont pas été autorisés à comparaître.
Un procès au cours duquel le F.B.I. avait produit des témoignages à charge obtenus sous la contrainte, et son expert balistique prétendu qu’une douille trouvée près du corps des victimes provenait de mon fusil alors que les tests pratiqués par le F.B.I. et dissimulés à la défense démontraient le contraire.
Un procès au cours duquel le F.B.I. n’avait tout simplement pas communiqué le dossier qu’il possédait sur moi à mes avocats.
Ma condamnation et ma peine ont été confirmées en appel.
En 1981, grâce à la loi sur la liberté d’information, mes avocats obtinrent la déclassification et la communication d’une partie du dossier du F.B.I.
S’appuyant sur ces pièces, ils demandèrent que je sois rejugé.
En 1986, la Cour d’appel du 8ème circuit, saisie par mes avocats, déclara que le jury qui m’avait condamné m’aurait probablement acquitté si les pièces cachées à la défense avaient été portées à sa connaissance.
Le représentant de l’accusation, changeant de position, déclara alors que je n’étais pas l’auteur des coups de feu mortels, mais que j’avais certainement prêté la main au meurtrier.
La Cour me refusa pourtant un nouveau procès…
Ma condamnation était destinée de toute évidence à avoir un effet dissuasif sur tous ceux qui contestaient le sort fait aux Indiens.
On leur intimait ainsi l’ordre de se tenir tranquilles.
Et à cause de cela, à cause de mon engagement, je croupis depuis 37 ans en prison.
Même si je clame mon innocence depuis toujours, même si l’évidence s’est peu à peu imposée du caractère inique de ma condamnation,
Même si le Juge Heaney qui, en 1986, avait refusé que je sois rejugé, a, depuis, pris partie pour ma libération,
Même si Amnesty International, la Ligue des droits de l’homme, Nelson Mandela, Desmond Tutu, et tant d’autres, ont réclamé et réclament encore eux aussi que je sois libéré,
Je croupis toujours en prison pour mes idées, et pas pour les crimes qu’on prétend que j’ai commis.
Je suis coupable d’être un militant de la cause des peuples indigènes d’Amérique du Nord.
Depuis mon arrestation en 1976, ma vie est rythmée par les cris des gardiens et le bruit des clés avec lesquelles ils ouvrent et ferment la porte de ma cellule.
J’ai été longtemps incarcéré au pénitentier fédéral de Leavenworth dans le Kansas, avant d’être transféré à la prison de Canaan en Pennsylvanie en janvier 2009, où j’ai été quasiment lynché par d’autres détenus.
On m’a alors placé à l’isolement avec une ration alimentaire réduite, sans égard pour mon état de santé.
J’ai été ensuite enfermé à Lewisburg en Pennsylvanie et, enfin, à Coleman en Floride, à des milliers de kilomètres de ma famille et de mes avocats.
Je suis diabétique et cardiaque.
Mais je ne reçois pas de soins médicaux, ou peu s’en faut.
Dans les années 1990, pendant longtemps, à cause d’une fracture de la mâchoire dont la direction de la prison n’avait que faire, je ne pouvais presque plus mâcher mes aliments et parler.
En 2000, il a fallu que le rapporteur spécial de l’O.N.U. sur la torture et les traitements inhumains et dégradants intervienne auprès des autorités américaines pour qu’un traitement médical me soit prescrit et administré.
Je sens sur moi le poids des ans passés au fond de ma cellule
Le poids de l’injustice qui, souvent, me donne envie de hurler.
Mais, malgré 45 ans d’humiliations et de privations de soins…
Malgré les coups reçus et les passages à tabac par des co-détenus…
Malgré l’enfermement…
Malgré tout cela, je suis resté un homme libre.
Mes geôliers n’ont pas pu faire intrusion au plus profond de moi.
J’ai conservé mes idées, l’amour de mon peuple et ma liberté intérieure.
Je pense à Soljenitsyne, mon compagnon d’infortune, qui avait bien décrit dans ses romans ce que pouvait être la liberté ultime du détenu politique.
Lui aussi était resté libre, dans le fond de son âme où habite Dieu, son Dieu, le Dieu des orthodoxes, que peu de choses différencie finalement du Grand Esprit de mes ancêtres qui vit en moi, éternellement.
« C’est un beau jour pour mourir », disait Crazy Horse à ses guerriers avant que ne commence la bataille du Little Big Horn qui allait les opposer au 7ème régiment de cavalerie du colonel Custer.
« C’est un beau jour pour mourir » : le temps viendra où je prononcerai moi aussi ces paroles, à ma seule intention ou pour ceux qui m’entourent.
Mais avant que mon temps ne vienne, je voudrais pouvoir dire : « C’est un beau jour pour retrouver la liberté de mon corps », pour sortir de cette prison et revoir ma terre.
Avez-vous vu ce film : « Vol au-dessus d’un nid de coucou » ?
L’un des personnages qu’il met en scène, un Indien comme moi se décide, un jour, à fuir l’enfermement psychiatrique.
Il s’évade et l’on voit cet homme massif, une masse sombre couronnée de longs cheveux noirs, courir au loin dans la nuit.
Combien de fois ai-je rêvé de partager son sort ?
Avant que mon jour ne vienne, je voudrais qu’on me laisse quitter les quatre murs de cette prison et qu’on me laisse jouir, dans les vastes espaces de ma terre mère, de ce qui me reste à vivre de ma vie de Sioux Lakota non repentant.
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