par Christelle Néant.
Le 2 février 2021, Volodymyr Zelensky a autorisé le Conseil de Sécurité Nationale et de Défense d’Ukraine à imposer des sanctions contre le député d’opposition Taras Kozak, qui possède les trois principales chaînes télévisées d’opposition (112 Ukraine, NewsOne et ZIK), provoquant l’arrêt de la diffusion de ces chaînes TV et prouvant qu’en matière de censure et de dictature le Président ukrainien actuel n’a rien à envier à son prédécesseur.
Censure contre trois chaînes d’opposition en Ukraine
Comme l’a souligné le média ukrainien Strana, c’est une décision sans précédent. C’est la première fois dans l’histoire de l’Ukraine que de grandes chaînes télévisées sont fermées sans procès ni enquête, et qu’un citoyen ukrainien est soumis à des sanctions. Selon la loi ukrainienne, seuls des étrangers, des entités qui sont sous le contrôle d’un autre État ou des apatrides peuvent être soumis à des sanctions. En clair, la décision de Zelensky est totalement illégale en plus de violer totalement le droit à la liberté d’expression et d’envoyer 1 500 personnes pointer au chômage.
Étant privées de leur licence de diffusion, les chaînes continuent de publier leur contenu sur YouTube, mais le ministère ukrainien de la Culture a demandé à la plateforme de bloquer leurs comptes, histoire d’obtenir une censure à 100 %. Strana rapporte que les bureaux de NewsOne et ZIK ont même été privés d’internet, et que le site de la chaîne ZIK s’est vu privé de son nom de domaine zik.ua, l’obligeant à passer sur un nom de domaine de secours zikua.tv !
Comme certains l’ont fait remarquer sur les réseaux sociaux, Zelensky vient de franchir la ligne rouge de la dictature, en osant faire ce que même Porochenko n’avait pas osé !
Zelensky a justifié sa censure en déclarant sur Twitter que l’Ukraine soutient la liberté d’expression, mais pas la propagande financée par l’agresseur.
Sanctions is a difficult decision. #Ukraine strongly supports #FreedomOfSpeech. Not propaganda financed by the aggressor country that undermines Ukraine on its way to #EU & EuroAtlantic integration.Fight for independence is fight in the information war for truth & European values
— Володимир Зеленський (@ZelenskyyUa) February 3, 2021
« Les sanctions sont une décision difficile. L’Ukraine soutient fermement la liberté d’expression. Mais pas la propagande financée par le pays agresseur qui sape l’Ukraine sur la voie de l’intégration européenne et euro-atlantique. La lutte pour l’indépendance est un combat dans la guerre de l’information pour la vérité et les valeurs européennes », a-t-il écrit.
Il y a de quoi s’étrangler de rire (jaune) en lisant un post pareil. Où est la preuve que ces médias sont financés par la Russie ? Où est le procès amenant les preuves de cela ? Où est la déclaration de guerre officielle de l’Ukraine contre la Russie permettant de justifier potentiellement la censure de médias « financés par le pays agresseur » ??? Et surtout si la censure et la dictature prônées par l’Ukraine post-Maïdan sont conformes aux « valeurs européennes » alors il est temps pour les Européens de se poser des questions !!!
Réactions à cette censure en Occident
Les fédérations européenne et internationale de journalistes (FEJ et FIJ) ne semblent pas avoir la même conception que Zelensky des « valeurs européennes », puisqu’elles ont condamné la fermeture de ces trois chaînes de télévision, qu’elles ont qualifié d’interdiction « extrajudiciaire et politiquement motivée et une attaque flagrante contre la liberté de la presse qui doit être levée de toute urgence ».
Le secrétaire général de la FIJ, Anthony Bellanger a déclaré : « Cette interdiction arbitraire et motivée par des raisons politiques est inacceptable dans une démocratie. L’interdiction met en péril l’emploi de centaines de travailleurs des médias qui n’ont rien à voir avec l’affiliation politique de leurs propriétaires. La FIJ appelle les autorités ukrainiennes à lever l’interdiction et à respecter la liberté d’information et d’expression ».
Le secrétaire général de la FEJ, Ricardo Gutiérrez a déclaré quant à lui qu’il « semble évident que l’interdiction présidentielle n’est pas du tout conforme aux normes juridiques internationales sur la liberté d’expression et les médias de radiodiffusion ».
L’Union nationale des journalistes d’Ukraine a déclaré dans un communiqué que « priver les citoyens ukrainiens d’accès aux médias sans procès préliminaire et interdire à des centaines de journalistes et de médias leur droit au travail est une atteinte à la liberté d’expression » et a noté que « l’affiliation politique des propriétaires de médias ukrainiens enregistrés en Ukraine n’est pas un crime ». Elle a aussi envoyé une plainte à l’OSCE et d’autres organisations de défense des droits de l’homme à ce sujet.
Les États-Unis, ainsi que la Grande-Bretagne, ont sans surprise soutenu cette censure ouverte de médias d’opposition en Ukraine, tout en remerciant Zelensky pour « son assurance sur la nécessité de protéger la liberté et la pluralité de la presse ». Il fallait oser la sortir celle-là. On nage en pleine novlangue. Le savoir c’est l’ignorance, la censure c’est la liberté.
L’UE de son côté joue les acrobates en ne condamnant ni ne soutenant l’acte de censure de l’Ukraine et en déclarant qu’ils vont « évaluer la situation ». C’est vrai que ça prend du temps d’évaluer le passage à une dictature ouverte….
Zelensky passe le Rubicon de la dictature
Les trois chaînes ont promis de contester la décision devant les tribunaux, et le parti de la « Plateforme d’Opposition – Pour la Vie » a lancé une procédure de destitution contre Zelensky.
C’est le député Vadim Rabinovitch qui a déclaré officiellement le lancement de cette procédure depuis la tribune de la Rada. Il a accusé Zelensky de vouloir faire taire ceux qui apportent la vérité aux gens à propos des tarifs de services publics, du manque de vaccins contre le coronavirus et d’autres problèmes.
« Ce soir, et les démons agissent toujours la nuit, pour la première fois dans l’histoire de l’Ukraine indépendante, trois grandes chaînes de télévision ont été déconnectées », a déclaré M. Rabinovitch.
« Zelensky a défié le peuple ukrainien, il a défié l’avenir européen de l’Ukraine parce que le fascisme n’est pas l’avenir et n’est pas le choix européen. Quand ils interdisent et brûlent des livres, ferment des chaînes TV, tuent des journalistes – c’est du vrai fascisme », a déclaré le député.
« Souvenez-vous, vous ne ferez pas taire notre parti ni des millions de nos électeurs. Vous ne nous ferez pas taire avec des meurtres, l’interdiction de chaînes de télévision, la terreur. Nous allons lancer la procédure de destitution du président Zelensky […] Aujourd’hui, le fascisme dans notre pays a sa propre couleur – le vert. No pasaran, le fascisme ne passera pas », a conclu Rabinovitch.
Il est clair que cette mesure est liée à la chute du taux d’approbation de Zelensky, et aux fait que les derniers sondages montrent que la « Plateforme d’Opposition – Pour la Vie » serait le premier parti aux législatives avec le double du nombre de voix qu’obtiendrait le parti présidentiel ! Ce sondage révèle aussi que 74,3 % des Ukrainiens considèrent que le pays va dans la mauvaise direction !
Mais comme l’a déclaré Viktor Medvedtchouk , député de la « Plateforme d’Opposition – Pour la Vie », ce n’est pas en censurant les trois chaînes télévisées d’opposition que cela changera quoi que ce soit à la côté de popularité de Zelensky.
« La raison de la chute de la cote du président actuel et de son parti n’est pas dans le travail des chaînes de télévision, mais dans le fait que chaque jour, des gens ordinaires, prenant des factures de services publics dans leurs mains, ne recevant aucune aide pour lutter contre le coronavirus, restant assis à la maison à cause d’un confinement insensé, étant privés du droit de parler librement dans leur langue maternelle, comprennent qu’ils ont été cyniquement trompés, qu’on continue de les tromper, et qu’on commence maintenant à utiliser la violence, l’intimidation et la coercition contre les dissidents. D’un seul trait de plume aujourd’hui, le président Zelensky a jeté à la rue 1 500 journalistes et membres du personnel de trois chaînes de télévision et privé des millions de téléspectateurs du droit à une information objective », a déclaré l’homme politique.
Le chef de la « Plateforme d’Opposition – Pour la Vie », Iouri Boïko, a déclaré sur sa page Facebook que cette censure sans précédent en Ukraine menait à l’établissement d’une dictature, et que cette décision avait été prise par un Président en qui beaucoup d’espoirs avaient été mis.
« Le blocage de trois chaînes de télévision qui n’étaient pas inféodées au gouvernement et les sanctions contre un député de l’opposition sans procès – une telle attaque sans précédent contre la démocratie et la liberté d’expression n’a jamais eu lieu dans l’histoire de l’indépendance [de l’Ukraine – NDLR]. Il s’agit d’une violation directe de la Constitution et des lois de l’Ukraine et de la voie vers l’établissement d’une dictature personnelle dans le pays.
Il est doublement tragique que cette mesure ait été prise par le Président dont on attendait la paix et le progrès. Restaurer les droits des citoyens et protéger la démocratie. Aujourd’hui, ces espoirs se sont effondrés une fois pour toutes.
Volodymyr Zelensky n’a pas su répondre aux attentes des citoyens et s’est montré incapable d’engager un dialogue constructif. Il a répondu aux critiques par la répression, et cette démarche plonge le pays dans une nouvelle crise politique.
Notre force politique est prête à apporter tout le soutien politique et juridique nécessaire à nos collègues du parti et aux médias réprimés. Les répressions politiques ne nous arrêteront pas ; nous ne cesserons pas de nous battre pour les droits des citoyens ukrainiens, pour la paix et la démocratie en Ukraine.
La vérité et la loi sont de notre côté, la justice sera rétablie », a-t-il écrit.
Cette mesure est une honte totale, et le soutien des Occidentaux à cette censure même pas déguisée des médias en Ukraine une véritable infamie, et un viol total des « valeurs démocratiques » qu’ils prétendent défendre.
Et lorsque des gens comme Garry Kasparov se réjouissent de cette censure sur Twitter, et appellent l’Occident à faire de même avec RT et Sputnik, ou que des journalistes français comme Stéphane Siohan la justifient à demi-mots sous prétexte que ces chaînes « diffusent les messages du Kremlin en Ukraine », tout en hurlant à la dictature en Russie à cause de la condamnation (justifiée) de Navalny à de la prison ferme, on arrive à un niveau de dissonance cognitive sans précédent.
Justifier la censure de trois médias d’opposition en Ukraine, et de deux médias russes en Occident sous prétexte qu’ils seraient des « chevaux de Troie » de la Russie, alors que ces mêmes pays et personnes hurleraient au scandale si Moscou faisait la même chose, n’est que de l’hypocrisie et du double standard dans toute sa splendeur !
Mais surtout, ce que ces gens n’ont pas compris, c’est que justifier l’injustifiable revient à ouvrir la boîte de Pandore.
Comme l’a si bien dit Martin Niemöller :
« Ils sont d’abord venus chercher les socialistes, et je n’ai rien dit
Parce que je n’étais pas socialiste
Puis ils sont venus chercher les syndicalistes, et je n’ai rien dit
Parce que je n’étais pas syndicaliste
Puis ils sont venus chercher les Juifs, et je n’ai rien dit
Parce que je n’étais pas juif
Puis ils sont venus me chercher, et il ne restait plus personne pour me défendre. »
Car si aujourd’hui cette censure frappe les médias proches de la « Plateforme d’Opposition – Pour la Vie », qui empêchera Zelensky ou son successeur de prendre la même mesure contre d’autres médias tant ukrainiens qu’étrangers ?
Illustrant parfaitement ce risque, la chaîne Nach semble elle aussi menacée. Les néo-nazis ukrainiens ont organisé aujourd’hui une manifestation devant les bureaux de la chaîne et exigent sa fermeture.
Sans parler du risque de retour de bâton phénoménal de la part de Moscou si l’Occident faisait ce que recommande Kasparov.
Car si l’Occident censure sous ce prétexte RT et Sputnik, alors la Russie aura le droit d’utiliser la même justification pour faire fermer les médias comme Dojd, Meduza, mais aussi France24, la BBC, RFE-RI, etc, puisqu’ils sont financés par des pays qui font montre d’une rhétorique agressive envers la Russie (pour ne pas dire qui la désignent comme un ennemi pour certains comme les États-Unis). Et l’Occident n’aurait aucun droit de s’en plaindre vu qu’ils ont justifié la même chose côté ukrainien !
L’Ukraine sombre de plus en plus dans la dictature de manière ouverte, et l’Occident soutient cette dérive sous prétexte de lutte contre la Russie, tout comme certains avaient fermé les yeux sur les crimes de l’Allemagne nazie dans les années 30 sous prétexte de lutter contre l’URSS. Si l’Histoire bégaye, alors certains feraient bien de se replonger dans les livres d’histoire, pour se rappeler comment cela s’est fini.
source : http://www.donbass-insider.com/fr/
Source : Lire l'article complet par Réseau International
Source: Lire l'article complet de Réseau International