Les Canadiens-Français entre indépendance faussaire et déceptions législatives

Les Canadiens-Français entre indépendance faussaire et déceptions législatives

Il y a vingt-cinq ans, le 29 janvier 1996, Lucien Bouchard devenait premier ministre du Québec. Trois mois plus tôt, Jacques Parizeau avait annoncé sa démission dans la controverse, immédiatement après l’annonce des résultats du référendum du 30 octobre 1995. 

Ceux qui ont vécu ces événements s’en souviennent, les autres en connaissent l’existence. Ces quelques mois d’accélération historique ont marqué profondément le Québec. La défaite référendaire nous poursuit aujourd’hui à travers des perspectives nationales qui se sont assombries; le souverainisme ne soulève plus les masses. Les universitaires, biographes et chroniqueurs se sont bien efforcés de donner un sens aux échecs successifs, mais la plupart se sont arrêtés avant de fournir une critique approfondie d’un souverainisme devenu institutionnel. Pour tout ce qui a été publié, il se trouve qu’on n’était pas prêt à égratigner un paradigme national qui a mal vieilli. Ce texte est écrit dans le but de mettre en lumière ce qui m’apparaît comme l’angle mort de ces analyses qui continuent de valider un échec.

Bref, tous ceux qui se sont penchés sur la question n’ont pas voulu établir une relation entre les aventures référendaires, génératrices d’un incontestable déclin, et quelque chose de plus fondamental : le désamour de notre être national canadien-français. Ayant perdu nos ressorts historiques, la boussole des peuples, la question nationale a dévié de sa trajectoire pour changer de cap. Le néonationalisme a manqué à toutes ses promesses et apparaît aujourd’hui dépassé. En revanche, ce qui avait été jugé dépassé remonte aujourd’hui avec une pertinence nouvelle. Et sans surprise, ceux qui veulent démontrer la valeur de l’identité canadienne-française, dans un combat qui du reste a toujours été celui des Canadiens-Français, proviennent de milieux extérieurs à l’intelligentsia en place. 

La trahison des élites néonationalistes

Dans sa récente tribune du Journal de Montréal, Joseph Facal écrit : 

« Pour que le français soit aussi en sécurité au Québec que le danois l’est au Danemark, la seule solution durable, c’est l’indépendance.(1) »

Ce qui me donne l’occasion de rappeler quelques faits concernant M. Facal. En 1999, il avait été chargé de rédiger la loi 99 par Lucien Bouchard. Cette loi haussa d’un cran l’enchâssement des droits des anglophones par rapport à la loi sur l’Avenir du Québec, adoptée seulement cinq ans auparavant par le gouvernement Parizeau en vue du référendum.(2) Ce qui m’amène à une question qui n’a jamais été posée par le Mouvement Québec français, ou par d’autres organismes qui défendent le français, mais qui aurait tant valu qu’elle le soit. Pourquoi le législateur a-t-il bonifié le texte de 1995, lequel donnait déjà aux anglophones les garanties nécessaires pour assurer leur avenir ? Pourquoi fallait-il que l’État du Québec prononce la « consécration » des droits d’une communauté particulière, et seulement celle-là, à l’exclusion des autres ?

Les droits des anglophones ont-ils déjà été menacés au Québec ? Non. Alors, que voulait-on à Québec ? Voulait-on leur garantir avec des mots plus forts et de façon plus explicite un accès perpétuel à une portion généreuse du budget public, avec, en contrepartie, des privations pour la prospérité et le rayonnement des établissements francophones en santé et en éducation ? La question est parfaitement légitime du fait que le législateur a négligé de préciser la nature et la portée des « droits consacrés ».

Dans la terminologie d’un État de droit, la consécration de droits d’une communauté désignée apparaît plutôt inusitée. Le geste ne ferait-il pas d’elle une communauté distincte ? Nous ne sommes pas loin de la « société distincte », un attribut du Québec dans l’Accord du lac Meech, décrié par bien des anglophones comme une entorse à l’égalité des droits. De fait, en toute rigueur, les droits devraient satisfaire au principe d’égalité entre tous. Si la crainte de former des entités inégales s’était trouvée fondée à l’époque de Meech, cela devrait être encore le cas aujourd’hui. Si la cause est bonne, il y aurait urgence, comme le réclame la Fédération des Canadiens-Français,3 de mettre fin à une exception communautaire inadmissible au profit des anglophones, et de rétablir l’égalité entre toutes les composantes de la société. Une autre option serait de cesser de tourner autour du pot et de reconnaître officiellement toutes les nations du Québec.

L’autosatisfaction linguistique du gouvernement Bouchard

M. Facal était membre d’un gouvernement dont l’optimisme en matière linguistique s’exprimait ainsi : 

« … le Québec est le seul endroit au Canada où la proportion des gens qui vivent en français ne diminue pas. De plus l’utilisation du français comme langue seconde parmi les nouveaux arrivants n’est plus une exception, mais la norme. C’est ainsi que 93% de tous les Québécois ont maintenant une connaissance du français. Nous sommes très fiers de ce résultat. (4) »

Cet étalage d’autosatisfaction avait été sévèrement repris par le renommé mathématicien et spécialiste des transferts linguistiques, Charles Castonguay : 

« Le gouvernement continue de dissimuler des faits inquiétants. Toutefois, son jeu est devenu clair: il faut être rassurant quant à la situation du français, sans quoi les francophones réclameront une politique plus ferme, ce qui ferait pousser les hauts cris aux anglophones et nuirait à la sympathie internationale envers l’éventualité d’un Québec indépendant. La réalisation de l’indépendance passerait par un Québec moins français. Calcul débilitant, sinon débile.(5) »

En fait, oui, un calcul débile, débilitant et même cynique. Si Castonguay est juste, et le temps semble le confirmer, le gouvernement Bouchard et son ministre-vedette n’ont absolument rien fait pour la langue française durant leur mandat. Pourquoi ? Par crainte de déplaire aux anglophones, ce qui serait nuisible à l’indépendance. Or aujourd’hui, M. Facal nous sert une chronique pour nous avertir que « la chaloupe prend l’eau ». Il ajoute que la chaloupe prendra toujours l’eau : « la seule solution c’est l’indépendance ». Ah oui ! M. Facal est-il en train d’admettre qu’il ne croyait pas à l’action législative en faveur du français, ne croyant qu’à l’indépendance ? Mais il y en aurait aussi long à dire sur le gouvernement auquel appartenait M. Facal en ce qui concerne l’indépendance, en commençant par sa passivité coupable face à l’odieux programme fédéral des commandites. 

François Legault à la bonne école 

Pour qui ne s’en souviendrait pas, l’actuel premier ministre du Québec François Legault a fait ses premières armes en politique avec le Parti québécois. Dès son arrivée, en septembre 1998, Lucien Bouchard lui confie un important ministère économique. Collègue de Joseph Facal, il sera de toutes les étapes qui conduiront à l’adoption de la loi 99 (2000). En accordant aujourd’hui un pactole de 750 millions de dollars à des institutions anglophones, tout en se disant nationaliste, mais sans portefeuille ! serait-il en train de mettre en pratique ce qu’il a compris des « droits consacrés » ? À sa décharge, il a la décence de ne plus appeler à l’indépendance. Généreux envers les anglophones, il ne monnaye pas sa générosité contre un hypothétique OUI référendaire… 

Tout compte fait, l’appel de M. Facal et compagnie, l’appel à l’indépendance de tous ceux qui ont été aux manettes, ne peut que faire sourire, bien que tristement. L’indépendance en question n’aura été depuis longtemps qu’un leurre lancé à la face de francophones de trop bonne foi.

Précisons. Depuis Claude Morin, en 1974 (6), l’indépendance n’est désormais accessible que par voie référendaire. Les autres formules sont entièrement ignorées par la loi 99, qui retient et confirme de nouveau le seul processus référendaire. L’indépendantisme dans la doctrine du Parti québécois a cessé de mettre en son centre l’émancipation politique des Canadiens-Français. Référendiste et plurinational de fait, il représente une rupture radicale avec le nationalisme antérieur. Cet indépendantisme ne peut donc pas se qualifier en vertu du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ce que n’évoquent d’ailleurs ni Québec ni le PQ, en toute logique. En revanche, l’indépendance s’est laissée encadrée par le droit canadien, et, à l’interne, s’est mise à la merci des anglophones et des immigrants anglicisés, dont il ne resterait plus qu’à gagner l’appui. Le référendum étant la seule avenue qu’on peut qualifier de statutaire, le réalisme politique commande de s’en tenir aux nombres. Mais le problème se révèle aussi impossible à résoudre que la quadrature du cercle, hormis de monnayer l’appui de ceux qui ont toujours été les farouches adversaires du projet.

Le PQ en est très conscient. Il ne peut renoncer à faire une percée chez les anglophones. «La tâche des souverainistes est d’augmenter le nombre d’anglophones souverainistes…» (7) arguait Lucien Bouchard au Centaur.  La loi 99 – parfaitement civique, dénationalisée et aguichante pour les anglophones – fait partie des manœuvres en ce sens. En d’autres mots, des gages sont et seront offerts sur un plateau d’argent pour rendre attrayant un séparatisme qui ne concerne plus que la superstructure étatique, comme le choix des filières énergétiques : énergie verte ou énergie pétrolière, etc. L’argumentaire se compare à celui du Wexit de l’Alberta, à la différence que, à terme, chez nous, pour les Canadiens-Français, Québec jouerait le rôle que joue aujourd’hui Ottawa, au sein d’un Québec bientôt de majorité anglophone. Maintenant qu’est écartée l’émancipation nationale des Canadiens-Français, tout l’enjeu devient une sorte de Québexit : une manipulation du sentiment national se poursuit, mais au profit d’une découpe mondialiste des territoires.

Disparaître ?

Le leurre de l’indépendance faussaire a son revers. Parallèlement au grand soir d’une indépendance « facaliste », d’autres offrent l’espoir d’une action législative vigoureuse. Elle viendrait un jour rétablir l’évolution linguistique en faveur du français. Ceux qui s’en réclament, d’apparence plus pragmatique, se recrutent notamment chez ceux qui entretiennent l’espoir qu’un prétendu nationalisme de la CAQ vienne changer la donne. C’est la cohorte de ceux qui alimentent l’espoir qu’un État qui nous a toujours ignorés depuis la création du PQ, on passera sur l’exception, serve soudainement nos intérêts nationaux à la faveur d’un virage, qui, comme un mirage, recule à mesure qu’on s’en approche. 

En 2019, Jacques Houle, dans sa plaquette Disparaître consacrée au déclin du français, faisait d’excellents constats en matière linguistique et des effets de l’immigration de masse. Malheureusement, il s’égare joliment de son propos à partir du chapitre cinq. L’auteur, ancien conseiller fédéral en immigration, se métamorphose en meneur de claque du Parti québécois. 

Hors sujet, Jacques Houle fera l’éloge des réalisations de Pauline Marois, comme s’il y avait là quelque rapport. Il écrit : 

« Parmi les réalisations du gouvernement de Pauline Marois, mentionnons l’adoption de la Loi sur les élections à date fixe, l’augmentation et la pérennisation des investissements dans les soins palliatifs, le débat sur la charte de la laïcité ainsi que le dépôt d’une ambitieuse politique de relance du secteur industriel québécois.»

On a beau chercher en quoi ce petit bilan pourrait freiner notre disparition, on ne trouve pas. Jacques Houle y viendra tout de même dans la phrase suivante pour excuser Mme Marois : 

« N’ayant été au pouvoir qu’à peine dix-neuf mois, elle n’a pas eu naturellement le temps nécessaire pour infléchir les pratiques déraisonnables du gouvernement précédent en matière de gestion des flux migratoires. » (8)

Dix-neuf mois c’est quand même 585 jours. Que faisait Madame Marois les premiers jours face à l’urgence de notre disparition. Pauline Marois est de ce groupe qui favorise ces mesures législatives qui finissent en tout petits pas, ou rien du tout. Apparemment, on aurait encore du temps devant nous avant de disparaître… Mais pourquoi Jacques Houle ne nous dit-il pas tout simplement, et avec plus de vérité, que Pauline Marois avait d’autres priorités que la langue française et l’immigration ? Avec une telle analyse du PQ-Marois, on se prend à douter. Jacques Houle est-il vraiment si inquiet de notre éventuelle disparition ?

L’actualité immédiate n’annonce rien de nouveau. Nous voyons les mêmes réformes avortées des péquistes et des libéraux se reproduire chez la CAQ, qui ajourne tant qu’elle le peut sa promesse d’une refonte de la loi 101. C’est l’aimable Simon Jolin-Barrette qui est aujourd’hui appelé à jongler avec la patate chaude. Et, déjà, on peut présumer avec un certain aplomb qu’il fera un péquiste de lui-même. C’est-à-dire qu’il se montrera incapable d’accoucher de mesures significatives en faveur d’un redressement du français. En stratégie politicienne, le gouvernement Legault n’a aucun intérêt à risquer une controverse sur le français alors qu’il a déjà les mains pleines avec la Covid. Jolin-Barrette décevra avec certes un scénario retravaillé, mais nous savons que la fin est toujours la même. 

Rappelons que ces infinies précautions quand vient le temps de défendre notre langue étaient déjà là au temps de la loi 101. Adoptée par un Parti québécois en pleine capacité, ce n’est qu’à force de temps et à l’usure que les plus déterminés vaincront les hésitations d’un René Lévesque. Ces constantes tergiversations au sommet montrent involontairement l’inexistence d’une nation québécoise. Modifier le statu quo linguistique ne plaît pas à nos maîtres historiques, Québécois et anglophones, ils l’empêcheront. Pour J-Thomas Delos, « La nation est une communauté de conscience qui cherche à vaincre le temps et à s’affirmer dans la durée ».9Elle ne peut inclure à la fois ceux qui veulent sa prospérité et ceux qui veulent sa disparition. Si les francophones entretiennent encore une idée positive de l’identité québécoise, c’est parce qu’ils refusent de voir la catastrophe de son application politique. Ils se pensent souvent, à tort, comme les seuls Québécois, sous-estimant le décrochage de l’État du Québec à leur égard. 

Pour une reconstitution politique des Canadiens-Français

Entre une indépendance faussaire, du moins pour ce qui concerne la nation canadienne-française, et des mesures législatives toujours ajournées ou insuffisantes; entre deux leurres, une élite, issue d’un néonationalisme devenu institutionnel, nous ballotte entre l’une et l’autre. Cette élite, mollement indépendantiste et généralement hostile à notre tradition nationaliste, excelle pour agiter de faux drapeaux et garder son électorat captif. Mais elle prend surtout bien soin de garder les Canadiens-Français (dits d’une autre époque !) à l’écart d’une reconstitution. C’est pourtant grâce à un tel sursaut que ces derniers pourraient de nouveau s’affirmer dans le jeu politique avec une complète indépendance. 

Pour l’empêcher, on prétend que les Canadiens-Français sont devenus des Québécois. C’est un gros mensonge des cinquante dernières années. L’identité québécoise, plurinationale, contractuelle, libérale a rompu les ponts. Elle s’est constituée pour en finir avec notre héritage canadien et français, soudé dans l’identité canadienne-française. 

Il aura fallu 150 ans aux Anglais pour nous vaincre, en 1760, et un autre 150 ans pour venir à bout de notre résistance. L’identité québécoise représente une défaite de la résistance par l’imposition d’un destin commun entre deux entités historiques aux intérêts opposés. La signification géopolitique de cette malheureuse affaire se solde par un gain net pour l’anglosphère, et, plus fondamentalement, par un gain pour le monde judéoprotestant et un mondialisme qui s’attaquent, notamment par la doxa immigrationniste, à la pérennité des nations réelles. Que les Canadiens-Français aient baissé la garde par un consentement hâtif et mal avisé à leur effacement, c’est une mauvaise nouvelle pour la civilisation occidentale et la diversité du monde.

Et malheureusement, en bout de ligne, il ne fait aucun doute que ceux qui se disent « Québécois francophones » se retrouvent avec rien devant eux, sinon une identité diminuée et le spectre de leur disparition, contre laquelle ils ne peuvent rien, Québexit ou pas.

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1 https://www.journaldemontreal.com/…/francais-au-quebec…

2 Loi sur l’avenir du Québec, art. 8 « garantir à la communauté anglophone la préservation de son identité et de ses institutions » https://biblio.republiquelibre.org/Loi_sur_l%27avenir_du_Québec. La loi 99 reconnaît une « communauté québécoise d’expression anglaise jouissant de droits consacrés ».

3 Communiqué du 7 décembre 2020 Appel à la reconnaissance de la nation canadienne-française https://gilles-verrier.blogspot.com/2020/12/communique-la-federation-des-canadiens.html

4 Lucien Bouchard, le 18 mai 1998. https://www.journaldemontreal.com/2018/09/09/langue-francaise-couillard-cite-lucien-bouchard-pour-ecorcher-lisee-et-legault

5 https://www.erudit.org/…/1900-v1-n1-bhp04832/1063599ar.pdf

6 Qu’est-ce que l’étapisme https://gilles-verrier.blogspot.com/2019/11/conclusions-du-forum-les-45-ans-de.html

7 La Presse, 13 mars 1996

8 Jacques Houle, Disparaître ? Afflux migratoires et avenir du Québec, éd. Liber, p.101

9 Thomas Delos, La Nation, T 2, éd. de l’arbre, Montréal, 1944

Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec

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