Serge Halimi s’étonne du pouvoir acquis par les réseaux sociaux (“ Taisez-vous ”) : « Ce 9 janvier 2021, onze jours avant la fin du mandat de M. Donald Trump, et alors que même une partie de ses féaux républicains l’avaient lâché, Twitter a décidé de fermer son compte, et Facebook de le suspendre. Les méfaits de l’ancien président n’étaient pourtant pas plus meurtriers que ceux de la CIA ou d’autres chefs d’État dont les comptes n’ont jamais été menacés ; prétendre (à tort) que sa défaite électorale avait été obtenue par la fraude n’était pas plus pendable que d’avoir menacé (sur Twitter) la Corée du Nord du feu nucléaire. Et les « discours de haine » que les plates-formes électroniques reprochent aujourd’hui à M. Trump, après en avoir énormément profité, n’égalent pas la gravité extrême de ceux que ces mêmes réseaux « sociaux » ont diffusés en Birmanie ou en Inde contre les minorités musulmanes. Mais Twitter et Facebook ne se caractérisent ni par leur cohérence, ni par leur courage. Enhardis par l’incroyable mansuétude avec laquelle gouvernements et individus les ont laissés agir et grandir, ils en ont déduit que tout leur était permis. Qu’ils puissent clouer le bec au président des États-Unis donne la mesure vertigineuse du pouvoir qu’ils ont acquis. »
Qui veut la mort d’EDF, demandent Anne Débrégeas et David Garcia : « Plus que jamais, la menace du dérèglement climatique commande d’investir dans l’efficacité énergétique et le renouvelable. Mais, à Paris et à Bruxelles, la priorité reste de démanteler le service public. Dernier avatar d’une obstination à favoriser artificiellement les prestataires privés dans la fourniture d’électricité, le projet Hercule cristallise les inquiétudes. »
Pour Thomas Frank, les « paranoïas américaines » ne s’arrangent pas : « Ainsi, l’ère de M. Donald Trump est arrivée à sa conclusion, dans une apothéose d’égotisme, d’incompétence et de violence. Le président milliardaire avait gardé le pire pour la fin. Après avoir perdu l’élection du 3 novembre 2020, il a refusé de reconnaître sa défaite et engorgé les tribunaux de dizaines de recours – tous rejetés, y compris par les juges qu’il avait nommés, prétendant que la victoire lui revenait et qu’elle lui avait été volée selon une méthode non spécifiée. Cette théorie absurde est devenue parole d’évangile pour les élus républicains, notamment les plus jeunes et les plus ambitieux, qui se sont hâtés de la colporter. Le point culminant a été atteint le 6 janvier, lorsque M. Trump a appelé ses partisans à se diriger vers le Capitole, à Washington, où les parlementaires étaient en train de certifier le résultat du scrutin. »
Leigh Phillips s’interroge sur les “ mirages de la décroissance ” : « D’un côté, les partisans d’une frugalité volontaire, renvoyés à la « lampe à huile » par le président français Emmanuel Macron. De l’autre, des dirigeants d’entreprises polluantes débitant des gadgets destinés à alimenter l’aliénation par la consommation. Les caricatures qui structurent les débats sur la croissance ne nous privent-elles pas d’une réflexion sur les finalités potentielles de l’activité économique ? »
Philippe Descamps et Ana Otašević dénoncent le clientélisme et les vertiges identitaires au Monténégro : « Pour la première fois de son histoire, le Monténégro connaît un changement de pouvoir par les urnes. Sous la férule de M. Milo Ðukanović, l’équipe sortante a été successivement communiste, nationaliste panserbe et russophile ; indépendantiste, puis atlantiste et proeuropéenne… La nouvelle majorité n’échappe ni aux logiques identitaires ni aux pressions extérieures qui imposent un cadre étroit au renouveau attendu. »
Laura Diab et Guillaume Ptak évoquent le sort des petits épargnants ruinés en Ukraine : « Depuis 2014, l’Ukraine a purgé son système bancaire de plus d’une centaine d’établissements. Passée relativement inaperçue en raison des affrontements armés dans le Donbass, cette guerre économique a été menée au nom de la lutte contre la corruption. Mais elle a ruiné des milliers d’épargnants et a simplement rebattu les cartes à l’intérieur de l’oligarchie – sans la faire vaciller. »
Rory Scothorne est sûr que l’Écosse crève d’indépendance : « Si le Covid-19 ne perturbe pas le calendrier électoral, à l’approche du 6 mai 2021 l’Écosse se retrouvera sous les feux de la rampe dans le drame constitutionnel interminable que le Royaume-Uni offre au monde depuis quelques années. Le scénario est déjà écrit : en dépit de la pandémie, les sixièmes élections générales écossaises se joueront, plus encore qu’auparavant, autour de la question de l’indépendance. Non seulement le Parti national écossais (SNP) est promis à une quatrième victoire d’affilée, mais l’indépendance est arrivée en tête dans une série inédite de dix-sept sondages. Si, comme en 2011, le SNP emporte la majorité, il exigera la tenue d’un référendum sur la question ; dans le cas contraire, il s’appuiera sur les Verts écossais pour l’obtenir.
Selon Guillaume Long, il existe trois projets pour l’Équateur : « La dernière campagne présidentielle équatorienne avait été marquée par un projet : la continuité que M. Lenín Moreno promettait de mettre en œuvre avec le mandat de M. Rafael Correa – avant de trahir son bilan en tous points. Quatre ans plus tard, tous les candidats à la magistrature suprême s’entendent sur une urgence : rompre avec M. Moreno, qui ne se représente pas. C’est que l’Équateur va mal. La pandémie de Covid-19 y a été particulièrement sévère. Le gouvernement a recensé 13 932 victimes de la maladie en 2020. mais l’excès de mortalité par rapport aux années précédentes s’élève à près de 40 000 personnes, dans un pays de 17 millions d’habitants. Bien que l’on ne puisse pas affirmer avec certitude que toutes ces disparitions sont une conséquence du coronavirus, elles résultent néanmoins de la crise sanitaire provoquée par la pandémie.
José Natanson explique pour quoi, en Argentine, le maté survit malgré le Covid : « Si le Covid-19 tue, il transforme également le quotidien. De trop faibles capacités hospitalières face à la pandémie ont en effet imposé de rompre avec certaines habitudes. En Argentine, la journée est scandée par le partage – en famille, au travail, entre amis – d’une infusion, le maté, dans un rituel que la maladie a menacé. Un temps seulement… »
Akram Belkaïd estime que Le Caire est toujours en quête d’influence : « Tout en multipliant les violations des droits humains, le président Abdel Fattah Al-Sissi tente de replacer l’Égypte au cœur du jeu diplomatique régional. Il veut renforcer ses relations avec l’Arabie saoudite et éviter les tensions avec la nouvelle administration américaine. Le Caire n’exclut pas d’intervenir en Libye et cherche des alliés pour contrecarrer le projet de barrage éthiopien aux sources du Nil. »
Pour Maëlle Mariette, la course des producteurs de lait devient infernale : « Dans un gigantesque bâtiment de cinq mille mètres carrés, des centaines de vaches qui ne fouleront jamais l’herbe déambulent sous de grands ventilateurs-brumisateurs qui tournent silencieusement. À intervalles réguliers, de petits wagonnets parcourent le corps de ferme sur leurs rails, circulant d’un silo de stockage à l’autre, mélangeant les aliments et distribuant les rations. Dans l’étable, rebaptisée « stabulation », les vaches vont et viennent autour de quatre imposantes machines rouges. Ce sont des robots de traite. Attirées par une ration de granulés, elles viennent s’y placer à tout moment du jour et de la nuit, laissant les portes se refermer le long de leurs flancs. Le processus est entièrement automatisé : le robot commence par identifier la vache grâce à son collier électronique, puis il détecte l’emplacement de ses pis au moyen d’une caméra intégrée. Débarrassés de leurs saletés par un rouleau nettoyeur, ceux-ci sont ensuite scannés par un laser 3D rouge qui détermine la localisation des mamelles au millimètre près. La machine y place alors ses gobelets trayeurs : la traite peut commencer. »
Joël Cabalion et Delphine Thivet analyse un événement considérable dont nos médias dominants ont peu parlé, la révolte des paysans indiens : « Depuis fin novembre 2020, des centaines de milliers de paysans se sont installés aux portes de la capitale indienne, New Delhi, bien décidés à faire plier le gouvernement. Ce n’est pas la première fois que les agriculteurs occupent le devant de la scène médiatique et politique en Inde : parfois en raison de drames, comme des suicides en nombre ; parfois en raison de leurs combats contre les organismes génétiquement modifiés (OGM) ou encore contre les expropriations. Cette fois, cependant, leur nombre, leur détermination, leurs modes d’action et le ralliement d’une large partie de la société opposée à la politique du premier ministre Narendra Modi concourent à donner à ces rassemblements un caractère inédit. L’adoption de trois lois, proposées par le gouvernement début juin et votées par le Parlement à la mi-septembre, a mis le feu aux poudres dans un secteur déjà largement laminé. Sa part dans la population active est passée de 70 % en 1951 à 48 % en 2011. Si, pour Ashok Gulati, expert indien reconnu et soutien de ces réformes, il s’agit de poser les « fondations de la modernisation de l’agriculture » du pays. pour les premiers concernés ces lois marquent le début d’un démantèlement de la politique agricole et alimentaire mise en place dans les années 1960-1970. »
Peter Bengtsen évoque la condition des paysans malais qui ont du sang et des larmes sur leurs gants : « Alors que l’utilisation des gants en latex ou en nitrile explose avec la pandémie de Covid-19, les industriels de Malaisie, premiers producteurs mondiaux, profitent d’une main-d’œuvre à bon marché en provenance des pays pauvres voisins. Le piège de la dette se referme alors sur les immigrés, contraints d’emprunter pour avoir le droit de travailler. »
Philippe Leymarie demande si l’armée française doit quitter le Sahel : « Malgré huit ans de perfusion militaire et économique, les attaques se sont multipliées et étendues du nord au centre du Mali, puis dans le nord du Burkina Faso et du Niger. On a dénombré plus de quatre mille morts en 2019, soit cinq fois plus qu’en 2016, selon le Bureau des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (Unowas). Mobiles, flexibles, profitant du « vide d’État ». les groupes armés fuient les agglomérations, préférant s’établir dans les confins, les zones frontières, voies de passage des denrées, des trafiquants d’armes et de drogues, des combattants, des migrants. Les forces déployées au Sahel depuis l’opération française « Serval », en 2013, n’ont pu venir à bout des quelques centaines ou milliers de combattants de ces katiba (bataillons), qui évitent les affrontements directs et ont su développer une stratégie d’ancrage au sein des populations sans avoir à assumer de souveraineté officielle. »
Rendant compte du dernier livre de Jean-Pierre Chevènement, Serge Halimi estime que François Mitterrand a laissé un héritage empoisonné : « Il y a un peu plus de quinze ans, M. Jean-Pierre Chevènement analysait déjà l’histoire de la gauche française et sa propre expérience au gouvernement dans les postes les plus divers : industrie, éducation, défense, intérieur. Depuis, il n’est pas redevenu ministre, ni candidat à l’élection présidentielle, mais son premier livre de Mémoires n’avait apparemment pas épuisé le sujet. L’ouvrage qui paraît aujourd’hui, un peu moins solennel et davantage rédigé sur le mode du récit, complète utilement le précédent. Le personnage de François Mitterrand y occupe une place centrale. Cela se comprend : l’homme résida quatorze ans à l’Élysée et fut tout à la fois celui qui arracha les socialistes à leurs alliances avec le centre, leur permettant ainsi d’arriver au pouvoir, puis celui qui en fit les cousins des libéraux proeuropéens incarnés par Valéry Giscard d’Estaing, que Mitterrand avait empêché d’effectuer un second septennat. M. Chevènement analyse brillamment ce retournement. Parfois, il affecte de ne pas en avoir été surpris. Ébauchant dès 1967 l’alliance de sa petite bande d’amis et de Mitterrand, il signale le peu d’enthousiasme que celui-ci leur inspirait alors : « Il avait à nos yeux quelques lacunes : il ne connaissait pas grand-chose au socialisme (…). En matière de gauche, sa rhétorique en était restée à Lamartine. (…) Sa culture économique était malheureusement nulle. » M. Chevènement fit néanmoins le pari d’aider son nouvel allié « à combler ou à tout le moins dissimuler ses lacunes ». Il admet aujourd’hui avoir péché par orgueil : « En politique, j’avais tout à apprendre, et j’ai beaucoup appris de François Mitterrand. » »
Jean-Yves Dormagen et Geoffrey Pion expliquent pourquoi les statistiques concernant les Gilets jaunes étaient fausses : « « 287 710 » : c’est, d’après le ministère de l’intérieur, le nombre de participants à la première journée d’action des « gilets jaunes », le 17 novembre 2018. Un chiffre repris en boucle dans les médias. Mais comment comptabiliser un mouvement aussi polymorphe ? Grâce à une méthodologie originale, des chercheurs sont parvenus à des résultats bien supérieurs aux données officielles. »
Lucie Tourette observe la situation des parents isolés dans le marché du travail : « En 2008, l’allocation parent isolé a basculé dans le champ du revenu de solidarité active (RSA). Depuis cette réforme, l’administration pousse avec insistance les femmes élevant seules des enfants vers le marché du travail. Alors que le nombre d’emplois aidés s’effondre, ces allocataires subissent une injonction à laquelle elles ne peuvent répondre, sans pour autant être libérées de l’obligation d’être de « bonnes mères ». »
Thierry Discepolo estime que la légende de la Pléiade est trop dorée pour être honnête : « Sur quoi l’éminence des éditions Gallimard est-elle bâtie ? Très certainement sur la « Bibliothèque de la Pléiade ». Au début des années 1930, André Gide dut « insister près de deux ans » pour que Gallimard la rachète à son fondateur, Jacques Schiffrin, car personne alors n’y trouvait quoi que ce soit de « remarquable ». Dix ans plus tard, à l’incompétence succédera la rapine. Né en 1892 à Bakou, héritier d’un docker ayant fait fortune dans l’industrie pétrolière, Schiffrin s’installe à Florence après que l’entreprise familiale a été nationalisée par l’État soviétique. Il y travaille pour l’historien Bernard Berenson, se forme à l’édition d’art, puis s’installe dans les années 1920 à Paris, où il crée les éditions de La Pléiade (en référence à un groupe de poètes du temps d’Alexandre Pouchkine). Son idée est simple : rendre disponibles les fondamentaux de la littérature mondiale dans un « format élégant et maniable », en rassemblant une « énorme quantité de texte sous une reliure souple en pleine peau » et sur papier bible. Soit une collection populaire mais de grande qualité, « quelque chose de commode, de pratique » et de relativement bon marché. »
Anthony Galuzzo évoque le redoutable neveu de Freud, Edward Bernays, publicitaire de lui-même, l’homme qui fit fumer les femmes et qui en fut fier : « Depuis sa disparition, à 103 ans, en 1995, le publicitaire américain Edward Bernays a suscité l’essor d’un mythe : celui d’un propagandiste d’entreprise tout-puissant, capable d’induire des changements de société et de retourner l’opinion au moyen de la publicité. Sa carrière, entamée au sein du Committee on Public Information (CPI), une commission mise en place en 1917 par le président démocrate Woodrow Wilson pour légitimer l’entrée en guerre des États-Unis, se poursuit dans un secteur encore en friche : le métier de consultant en relations publiques, qu’il exerce dans sa propre agence. Grâce notamment à la parution de ses livres Crystallizing Public Opinion (1923) et Propaganda (1928), il accède entre les deux guerres à une certaine notoriété. Mais lorsque, au crépuscule de sa vie, il accorde un entretien au chercheur Stuart Ewen. personne, ou presque, ne se souvient de lui. Or voici près de vingt ans que la figure de Bernays fait un retour progressif dans nos imaginaires. Le publiciste est régulièrement désigné – ou plutôt dénoncé – comme l’inventeur des techniques nouvelles de manipulation de masse, le père de la propagande moderne et du marketing. Un portrait lui est tout d’abord consacré dans le documentaire d’Adam Curtis The Century of the Self, diffusé en 2002 par la British Broadcasting Corporation (BBC) et dont des extraits circulent depuis sur divers plates-formes et médias sociaux. En 2007, La Découverte traduit et republie son ouvrage Propaganda. Plus récemment, Arte a diffusé un documentaire de Jimmy Leipold lui aussi en bonne partie consacré à Bernays. ce qui a entraîné la publication de multiples billets et chroniques consacrés au personnage (Brut, France Inter, Télérama…). »
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir