par Christelle Néant
Le 28 janvier 2021, Donetsk accueillait le forum d’intégration « Donbass russe », lors duquel la doctrine du même nom a été officiellement présentée aux officiels des Républiques Populaires de Donetsk et de Lougansk (RPD et RPL), mais aussi à une délégation venant de Russie, comprenant deux députés de la Douma, et la rédactrice en chef de RT, Margarita Simonian.
Analyse de la doctrine du « Donbass russe »
L’occasion de revenir sur l’histoire du Donbass, ancienne (Moyen Âge, empire russe, puis URSS) et récente, et de rappeler pourquoi la région s’est soulevée en 2014 : parce que ses habitants voulaient pouvoir continuer à parler la langue russe, parce qu’ils se sentent Russes ! Une identité profondément ancrée que la doctrine du « Donbass russe » ne fait qu’officialiser dans un document de presque 50 pages, qui a été distribué aux participants du forum.
La doctrine du « Donbass russe » expose d’abord pourquoi sa formulation est nécessaire, ses buts et objectifs, ainsi que ses principes. Le document rappelle les grandes lignes de l’histoire de la région, et surtout son appartenance historique à la Russie. Dans la doctrine du « Donbass russe », la RPD et la RPL se revendiquent comme étant les successeurs historiques de la République Soviétique de Donetsk-Krivoï Rog.
Voici les objectifs de la doctrine « Donbass russe », exposés dans le document :
– Promouvoir la formation d’une image du monde des habitants du Donbass basée sur la vérité historique, qui s’appuie sur les idéaux et les valeurs de la civilisation russe ;
– Promouvoir la conscience nationale russe, le patriotisme, la fierté du peuple du Donbass pour sa patrie et la responsabilité de son avenir ;
– Définir des lignes directrices pour le développement des principales orientations de la politique publique – historique, culturelle, de la jeunesse, nationale, économique, informationnelle, notamment dans le domaine de la lutte contre le néo-nazisme et le nationalisme ukrainien ;
– Témoigner du fait que le Donbass a des points communs historiques, spirituels, culturels et socio-économiques avec la Russie sur la base d’une analyse approfondie des étapes de l’évolution de la région ;
– Actualiser la place des liens économiques inséparables et mutuellement bénéfiques entre le Donbass et la Russie ;
– Identifier l’héritage spirituel du Donbass comme une partie originale et intégrante de la culture russe
– Ramener le Donbass dans la sphère de l’espace historique russe.
La doctrine du « Donbass russe » est le point de vue officiellement adopté par la RPD et la RPL, qui détermine leur idéologie, et leur vecteur de développement sociopolitique. Voici les principes qui sont au cœur de la doctrine :
– Le droit du peuple du Donbass à l’autodétermination, la création d’un État national russe ;
– L’urgence de l’adaptation et du développement du patrimoine culturel, l’affirmation de la culture comme fondement de la construction de l’État et de sa sécurité ;
– La reconnaissance de l’universalisme et du caractère intégrateur de la langue russe, qui est à la base de la mentalité des habitants du Donbass ;
– Le principe d’harmonisation des intérêts de l’État et des intérêts personnels, collectifs et individuels dans le cadre de l’État de droit et de la démocratie ;
– Le principe de la tolérance religieuse et de l’harmonie confessionnelle.
Si la doctrine rappelle l’histoire et le passé, afin d’ancrer le Donbass dans ses racines russes, elle parle aussi du futur de la région et fixe les priorités de développement suivantes :
– Le bien-être national basé sur l’économie et la culture industrielles et post-industrielles au sein d’un espace économique unique avec la Russie ;
– Le travail en faveur de la prospérité de la terre et de son peuple et en faveur de la justice sociale ;
– Affirmation d’une éthique du travail et d’une vision industrielle du monde élevées, opposition au parasitisme mondial et au néocolonialisme.
Et pour atteindre ces objectifs, la doctrine indique aussi sept étapes qui devront être accomplies dans un futur proche :
1) Cessation des hostilités, élimination de la menace militaire pesant sur la population de la RPD et de la RPL ;
2) Établissement constitutionnel, juridique et politique de la RPD et de la RPL en tant qu’État national russe pour le peuple russe du Donbass ;
3) Renforcer les fondements de l’ordre constitutionnel de la RPD et de la RPL en développant et en soutenant les institutions de la démocratie, de l’État de droit et de la société civile qui s’y trouvent ;
4) Une intégration économique plus profonde avec la Russie, une intégration complète des entreprises du Donbass avec l’industrie russe ;
5) Intensification des liens socioculturels, scientifiques, éducatifs et autres entre la République Populaire de Donetsk, la République Populaire de Lougansk et la fédération de Russie ;
6) Prise de contrôle de la totalité des territoires des anciens oblasts de Donetsk et Lougansk par la RPD et la RPL ;
7) Soutien humanitaire, social, politique, à la défense des droits de l’homme, et autres pour les Russes en Ukraine.
Le 6e point concernant la libération des territoires du Donbass actuellement sous contrôle de l’armée ukrainienne, se reflète d’ailleurs dans la carte montrée un peu partout sur le forum, où les deux zones indiquées en rouge à la frontière avec la Russie, suivent les contours des deux anciens oblasts de Donetsk et de Lougansk, et non celui des frontières actuelles de la RPD et de la RPL.
Margarita Simonian appelle la Russie à ramener le Donbass à la maison
Parmi les participants du forum se trouvaient de nombreux députés et soldats de la RPD, le chef de la République, Denis Pouchiline, une délégation de la RPL, menée par le chef de la République, Léonid Passetchnik, deux députés de la Douma russe, Andreï Kozenko et Kazbek Tassaïev, et la rédactrice en chef de RT (Russia Today), Margarita Simonian.
C’est la déclaration de cette dernière qui a fait couler le plus d’encre. Si les deux chefs d’État, et les deux députés, ainsi que le sénateur russe qui s’est exprimé par vidéo-conférence, ont longuement parlé de l’histoire russe du Donbass, et du fait que c’est cette identité russe qui a poussé la région à se soulever contre le coup d’État du Maïdan et à se défendre les armes à la main, ces discours très officiels n’ont pas eu autant d’impact que celui, plus émotionnel, et personnel de Margarita Simonian.
Pour sa première visite dans le Donbass depuis le début de la guerre, elle a tenu à aller sur la ligne de front, voir la situation de ses propres yeux, et discuter avec les gens qui vivent en permanence sous la menaces des bombardements de l’armée ukrainienne.
Le résultat fut une déclaration choc, où elle expose la douleur qu’elle a ressentie devant ce qu’elle a vu, et qu’elle a conclue par cette phrase qui a déjà fait le tour d’internet, tant russophone, qu’anglophone ou francophone : « Mère Russie, ramène le Donbass à la maison ! »
Une opinion qui bien que personnelle, et ne reflétant pas la « position officielle du Kremlin », aura très certainement un impact sur les citoyens russes. Car sa déclaration, pleine de ses émotions personnelles, vous prend aux tripes. J’ai beau avoir vu beaucoup d’horreurs et de choses terribles en presque cinq ans de travail en tant que journaliste ici dans le Donbass, les paroles de Margarita Simonian m’ont touchée jusqu’à l’âme et m’ont donné envie de pleurer. Parce que ce qu’elle dit est non seulement vrai, non seulement juste et justifié, mais ce sont aussi des paroles d’une profonde et sincère humanité.
Non moins touchant fut le discours retransmis par vidéo, d’un autre journaliste russe, Vladimir Soloviev, qui contrastant avec la position officielle de la Russie qui a enfermé les habitants du Donbass dans une sorte d’attente sans fin, a déclaré : « Je n’ai pas le droit de vous demander d’être patients ».
Là où Moscou réfléchit le conflit du Donbass en termes de géopolitique, sans trop s’appesantir sur l’aspect humain que l’attente actuelle fait vivre aux habitants depuis que les accords de Minsk ont été signés, ces deux journalistes russes ont su trouver les mots pour faire comprendre au peuple russe que leurs concitoyens du Donbass n’en peuvent plus d’attendre et qu’il est temps de les ramener « à la maison », au sein de la fédération de Russie.
Aux questions que chaque journaliste a entendues ici des milliers de fois, « Pour quoi tout ça ? » et « Quand cela prendra-t-il fin, quand referons-nous partie de la Russie ? », il est temps que la Russie apporte une autre réponse que le joker des accords de Minsk. Mais pour cela, il faut que le peuple russe soit prêt à affronter la réponse de l’Occident qui sera à n’en pas douter du même genre que celle qui a suivi la réintégration de la Crimée (à savoir des sanctions).
Mais, après tout, comme l’a dit Soloviev lors de son émission, les sociétés du complexe militaro-industriel, les banques et autres entreprises russes qui sont déjà sous sanctions, qu’est-ce qui les empêche de s’implanter dans le Donbass ? Rien. Elles sont déjà sous sanctions, donc si l’Occident en rajoute suite à leur implantation dans le Donbass, cela ne changera rien pour elles.
Finalement, la politique de sanctions tous azimuts de l’Occident pourrait avoir un effet « pervers ». Car non seulement cette politique n’a pas mis l’économie russe à genoux, et n’a pas fait changer la politique russe d’un iota, non seulement elle a permis à l’économie russe de se diversifier et d’améliorer son autonomie, mais en prime, elle pourrait même accélérer l’intégration du Donbass au sein de la fédération de Russie, puisque l’Occident n’a plus de moyens pour menacer les sociétés déjà sous sanctions. En imposer plus, ne changera strictement rien pour ces sociétés. Alors foutu pour foutu, autant s’installer sur un nouveau marché où tout est à reconstruire.
L’élaboration et l’officialisation de la doctrine du « Donbass russe » est clairement le premier pas concret de la RPD et de la RPL vers l’intégration au sein de la fédération de Russie. La balle est maintenant dans le camp de Moscou et du peuple russe.
Voir le reportage vidéo sous-titré en français :
Christelle Néant
source:http://www.donbass-insider.com/
Source : Lire l'article complet par Réseau International
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