La guérison de Natshin Rousselot

La guérison de Natshin Rousselot

Natshin Rousselot n’a pas passé sa jeunesse à jouer aux Barbies. Innue de sang, de cœur et d’esprit, la petite accompagnait plutôt ses grands-parents à la chasse au petit gibier et à la cueillette de petits fruits ou de plantes médicinales. Avec eux, elle a appris à vivre sous une tente, à maitriser l’art du sapinage, à connaitre la forêt comme le fond de sa poche.

D’aussi loin qu’elle se souvienne, à la fin de la saison estivale, les ainés barricadaient les fenêtres et chargeaient leurs canots pour repartir dans leur territoire au cœur de la forêt boréale. C’est sous le signe d’une grande procession à la Vierge Marie le 15 aout que s’amorçaient le départ et la saison de chasse, une tradition chère au peuple de Pessamit.

Entre deux mondes

Ce sont ces souvenirs d’enfance que Natshin me partage d’emblée avec un brin de fierté. Si les pensionnats amérindiens ont tenté de chasser l’Innu de chez lui, Natshin est la preuve qu’il en subsiste toujours quelque chose.

Quand elle vient au monde en 1969, sa mère n’a que 16 ans. L’expérience des pensionnats est encore trop fraiche pour cette jeune mère affligée : elle doit confier la petite Natshin à ses propres parents, étant trop fragile pour s’occuper d’elle. Élevée par ses grands-parents, qui n’ont pas subi le génocide culturel qu’a connu sa mère, elle est tributaire d’une éducation qui la situe entre deux mondes.

« Depuis mon enfance, j’ai toujours été dans un balancier, j’ai toujours connu les deux côtés : la vie nomade versus la vie sédentaire, la tradition versus la modernité, la religion catholique versus la spiritualité des Premières Nations, ma mère qui a mal vécu le pensionnat, mon père qui l’a bien vécu. »

Rupture d’équilibre

Ce clivage de sa jeunesse s’accentue à l’âge adulte lorsqu’elle entame des études de cycle supérieur à Chicoutimi. Son sens critique se développe, elle fait la rencontre d’autres étudiantes militantes, mais surtout, c’est la période où les scandales liés aux pensionnats éclatent au grand jour.

« Nos parents étaient hypothéqués par leurs blessures, à cause des coupures avec leurs parents, avec la culture, avec la langue. Les gens de plus de 50 ans ont subi plusieurs sévices. Tous les enfants de cette époque ont passé par les pensionnats. Et quand ils sont devenus adultes, c’est eux qui nous ont éduqués. Ils nous éduquaient dans la peur, parce qu’ils étaient blessés. On se demandait pourquoi ça allait si mal dans nos communautés.

« Quand j’ai vu les témoignages apparaitre dans les médias, je ne voulais plus rien savoir de la religion catholique et je me disais : “Qu’est-ce que vous avez fait à ma mère, à mes oncles et mes tantes, à mon peuple ?” J’étais très fâchée et révoltée. »

Et Natshin met une croix sur la croix.

D’un sweat lodge à l’autre

Elle se tourne alors vers la spiritualité autochtone, qu’elle connait très peu. Chez les Cris, les Attikameks ou les Innus, elle participe aux sweat lodges (tentes à sudation). « Par ces cérémonies de purification et de guérison, l’esprit de nos ancêtres venait nous aider à avoir la force dont nous avions besoin pour poursuivre notre chemin sur la Terre du créateur, Tshishe Manitu, le grand Manitou. »

Dans cette quête, Natshin découvre dans la spiritualité des Premières Nations un mode de vie où l’Esprit de Dieu, Milu Manitu, est continuellement quémandé. « Il y avait tout le temps des prières, tout le temps, tout le temps. Dans ma langue, on dit Aiamieun, qui veut dire : communiquons avec quelqu’un. J’apprenais que la prière est une communication. »

« J’avais comme un trou et je n’étais pas capable de le remplir. J’avais beau lire des livres, me faire coacher, me faire accompagner par un psychologue, il n’y a rien qui fonctionnait. Je mettais de l’argent partout, il n’y a rien que je n’ai pas essayé. »

Chemin faisant, Natshin évolue au gré de ces pratiques qui enrichissent sa pratique spirituelle. Si elle en tire des principes qu’elle juge complémentaires à la foi chrétienne de son enfance, un vide subsiste, un manque viscéral demeure.

« J’avais comme un trou et je n’étais pas capable de le remplir. J’avais beau lire des livres, me faire coacher, me faire accompagner par un psychologue, il n’y a rien qui fonctionnait. Je mettais de l’argent partout, il n’y a rien que je n’ai pas essayé. »

Un Noël différent

En 2017, un de ses fils de 30 ans traverse une période creuse dans sa vie. Troubles de toxicomanie, instabilité émotionnelle, lassitude de vivre. Rien pour rassurer Natshin, qui n’a plus de signe de lui à l’approche des fêtes de Noël.

« Cette année-là, j’ai décidé d’aller aux messes de l’avent. Je ne sais pas pourquoi. J’étais attirée par les chants de Noël. Je me disais que ça me ferait un Noël différent de ceux que j’ai connus. J’étais surtout habituée à faire la course aux jouets plutôt que d’aller à l’église. »

Quand arrive le Noël tant attendu, elle n’a toujours pas de nouvelles de son fils. Tout le monde le cherche. Son cœur de mère est rongé d’inquiétude. Elle imagine les pires scénarios.

« Le Premier de l’an 2018, je retourne à la messe. Ça fait presque deux semaines que je ne dors pas. Je me mets à genoux devant la statue de la Vierge Marie à l’église de ma communauté et je dis à Dieu : “Mon fils, il est où ? Ton fils à toi, qu’est-ce qu’il se passe avec lui ? Est-il retourné avec toi ? Est-ce que mon travail est fini avec lui ? J’aimerais beaucoup que tu me donnes une réponse aujourd’hui, si tu es vivant. Si j’ai ma réponse aujourd’hui, je te promets que je vais venir à la messe tous les dimanches.” »

Et le soir même, elle reçoit un message sur son téléphone : « Salut, maman, bonne année. Désolé, je te réécris. »

Sortir du sommeil

Natshin se trouve maintenant face à sa promesse : aller à la messe. Même si elle est consolée de savoir que son fils est vivant, que Dieu a entendu ses prières, elle n’est pas pour autant enchantée par sa nouvelle résolution.

« J’en voulais toujours à l’Église. J’étais encore en conflit intérieur total. J’allais à la messe, mais je ne ressentais rien. Je m’endormais plus qu’autre chose. J’arrivais même en retard. Mais je ne voulais pas faire une promesse à moitié. »

« Pour guérir, il faut vraiment que j’apprenne à concilier ma culture avec ma religion. »

Natshin fixe le crucifix au-dessus de sa porte, installé en dépit de sa révolte, aux côtés d’une foule d’autres accessoires sacrés et se met à lui parler : « Comment je vais faire ? »

Dans la semaine, une amie lui parle d’une messe pour les jeunes tenue en soirée à l’église Saint-Thomas-d’Aquin, à Québec. Ça tombe bien, dimanche prochain sera célébrée une messe pour la guérison. Les yeux de Natshin s’écarquillent.

« Je n’avais plus l’habitude de me lever le matin, alors le soir, c’était parfait. En plus, j’étais familiarisée avec des rituels de guérison dans ma spiritualité. »

Natshin s’y rend sans hésitation. Durant la célébration, on demande aux gens qui veulent recevoir une prière de lever la main.

« Ma main s’est levée toute seule, tout de suite. Deux ou trois mains se sont posées sur moi. J’ai tellement pleuré, pleuré et pleuré. »

Pour déplacer des montagnes

À la fin de la messe, le célébrant invite l’assemblée à un parcours d’approfondissement de la foi. Natshin s’inscrit, mais toujours avec un fond de scepticisme.

Dans le parcours Alpha, on propose aux participants de faire une lecture personnelle de la Bible. Elle entame l’évangile de Marc, mais son attention achoppe sur un passage : la foi qui peut déplacer des montagnes. Incapable de poursuivre sans trop savoir pourquoi, elle interrompt sa lecture jusqu’à la fin de semaine spirituelle du parcours.

« J’essayais de me concentrer pour prier, mais je m’endormais. J’ai essayé de relire la Bible, mais j’étais toujours bloquée au même endroit, même verset. Je me suis dit que je devais être fatiguée. Le soir, on a prié pour moi. Une personne me dit qu’un passage de la Bible lui revient : Mc 11, 23. Je regarde le verset et je réalise que c’est exactement là où je suis rendue. Ça disait que, quand la foi est grande, on peut déplacer les montagnes. Tout a fondu. »

Le trait d’union

Depuis, les messes sont devenues trop courtes pour Natshin, qui y assiste maintenant avec son conjoint et son fils. Un vrai retournement pour celle qui n’arrivait pas à suivre. Qui plus est, Natshin ne cesse d’approfondir la guérison et la réconciliation avec elle-même, avec son histoire, et aussi avec l’Église.

« Pour guérir, il faut vraiment que j’apprenne à concilier ma culture avec ma religion. Je retourne souvent dans ma communauté. Un prêtre de Pessamit m’avait dit que c’était difficile de concilier la culture innue avec la religion catholique et j’ai dit non. On croit en un créateur, en un Dieu puissant, en un Esprit… il ne manque que Jésus. »


Le récit de Natshin Rousselot est d’abord paru dans le numéro de janvier du magazine Le Verbe. Cliquez ici pour consulter la version originale.


En revenant à la foi de son enfance, Natshin réalise qu’elle avait fermé les yeux sur ce fait : la majorité des habitants de Pessamit sont catholiques. « Dans notre communauté, nous sommes tous très catholiques. On se fait parfois juger. On dit de nous : “Pourquoi ils prient, eux, ils sont les premiers à avoir été massacrés par la religion.” »

« Il faut apprendre l’art du discernement. Il faut apprendre à faire la part des choses. Oui, il y en a eu, des êtres humains méchants. Le mal est présent. Mais ce sont des gens qui ne croient pas, qui n’ont pas la lumière. »

Celle qui toute sa vie a expérimenté la dualité parle aujourd’hui d’union, de communion. Venant du peuple « de ceux qui aiment rire » — le surnom donné aux Innus —, Natshin a dans sa voix un sourire lorsqu’elle me répond : « Tshima it » (« amen ») en guise de conclusion.


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