Jamais l’Irak n’a vendu autant de pétrole à l’Inde et à la Chine comme en l’an 2020. Paradoxalement, ce pays dont le territoire englobe l’ancienne Mésopotamie et une partie de l’ancien empire Perse (Achéménide et Sassanide) est aujourd’huin en banqueroute. Sauf miracle ou une probable aide financière internationale, Bagdad se trouve dans l’impossibilité de payer les salaires des fonctionnaires de l’Etat irakien pour pour le courant de l’année 2021. Où sont passés les revenus issus de la vente de prsque deux milliards de barils de brut? Perdus dans les méandres d’une corruption ayant atteint des proportions bibliques. Sans surprise, le Fonds Monétaire International s’ingère sans aucun répit dans la politique économique et monétaire de ce pays en poussant à l’abandon des services publics et à une privatisation tous azimuts. L’impact social de ces mesures néolibérales est catastrophique.
La situation en Irak est fort paradoxale. D’un côté, le réarmement de l’armée irakienne a permis d’assurer une certaine continuité des circuits de corruption crées durant la période du « pro-consulat US ». D’un autre côté, le pouvoir irakien est sous l’influence prédominante des chiites irakiens, lesquels ne sont pas toujours en accord avec Téhéran mais qui néanmoins s’y alignent symboliquement pour revendiquer un accès aux immenses prébendes de la corruption mais se concertent à la première occasion avec les Américains pour obtenir des dividendes. Cet opportunisme flagrant de la classe politique irakienne cohabite tant bien que mal avec l’existence de cellules armées ciblant les bases et les intérêts US dans le pays à coups de roquettes Grad et Katioucha. Une partie de ces groupes sont liés au renseignement iranien mais une autre partie est une pure création de la CIA avec le soutien effectif des services spéciaux jordaniens et arabes du Golfe. C’est un jeu à plusieurs échelles et de différents niveaux. Les attaques contre les intérêts US en Irak justifient le renforcement des capacités militaires US en Irak ( et depuis trois semaine, son débordement fort visible en Syrie).
De ce fait, l’Irak semble vaciller entre Téhéran et Washington. Cependant la réalité de ce dilemme est bien plus complexe. L’Irak demeure un pays profondément divisé par de nombreux clivages réels ou imposés. La majorité sunnite semble avoir abandonné tout intérêt dans la chose publique et vit comme si elle disposait d’une autonomie de fait. Les kurdes poursuivent le développement du Kurdistan irakien sous la houlette de deux clans plus omniprésents que ne l’était Saddam Hussein. Le reste est dans une confusion politique inextricable. D’où la multiplication des milices armées, la démultiplication des forces spéciales et des escadrons de la mort, le renforcement des autorités tribales dans ceraines zones, le florilège de chaînes d’information par satellite créant une cacophonie informationnelle jamais vue ailleurs dans la région et enfin, une anarchie politique ressemblant à celle ayant affecté l’Italie au lendemain de la Seconde guerre mondiale. L’Iran, pays voisin de l’Irak et ex-bélligérant d’une guerre terrible durant les années 80, est naturellement à la manoeuvre. Les Etats-Unis également tout comme les pays arabes du Golfe, Israël et la Turquie. Au milieu de cet enchevêtrement d’intérêts et d’influences, la société irakienne est devenue totalement autiste et dispose de sa propre dynamique découplée de l’Etat-Nation: si la pauvreté et les fléaux sociaux font des ravages, il n’y jamais eu autant de milliardaires en Irak et les jeunes vivent carrément dans un monde virtuel crée par les réseaux sociaux. Fait notable: une bonne proportion de jeunes irakiens a applaudi l’élection de Joe Biden à la présidence des Etats-Unis et approuvent ce qu’ils perçoivent comme le retour de l’Amérique sur la scène mondiale. Une autre partie, plus jeune, se construit autour d’une fierté nationale hypertrophiée fondée sur les « exploits » quotidiens de la pléthore de forces antiterroristes relayés par les médias et réseaux sociaux irakiens. Ces derniers semblent dépourvus de toute perspective historique concernant leur pays et sont en train de forger les contours d’un phénomène semblable à celui des ultras des clubs de football dans d’autres pays à forte tradition footballistique.
A bien des égards, la situation en Irak ressemble beaucoup à celle en cours au Liban. Les deux pays sont en banqueroute plus ou moins déclarée. Les espaces aériens de ces deux pays sont ouverts aux quatre vents et font régulièrement l’objet d’intrusions d’aéronefs de guerre et de drones étrangers menant des opérations de reconnaissance et de combat. Enfin, les deux pays sont tiraillés et demeurent un champ d’affrontement entre les influences de l’Iran et celles de ses adversaires.
Une partie des élites au pouvoir en Irak a néanmoins amorcé un rapprochement militaire avec la Russie et demeure tenté de se tourner vers la Chine. Dans les faits, Beijing et Moscou multiplient les Accords économiques et commerciaux avec un pays disposant d’une des plus grandes réserves d’hydrocarbures au monde et savent que le pétrole a encore de l’avenir en dépit de l’émergence de ce que l’on appelle les énergies renouvelables/propres/alternatives dont le coût demeure non seulement prohibitif par rapport à celui, très bas, du pétrole mais génèrent encore davantage de pollution. Ce tropisme vers l’Est s’est traduit par un intérêt irakien à joindre l’initiative économique chinoise (la Nouvelle Route de la Soie). En parallèle, d’autres faction du pouvoir irakien accordent toujours plus de facilités en termes de bases militaires aux Etats-Unis et à d’autres pays de l’OTAN sur le territoire irakien tandis que le Kurdistan irakien coopère étroitement avec Israël, lequel y dispose de la plus grande antenne du Mossad au monde (Erbil). Une partie de ce redéploiement vise la reprise des efforts de guerre contre la Syrie, une priorité absolue non déclarée de l’administration Biden. Une autre partie alimente un immense circuit de corruption constituant une source d’enrichissement rapide d’une proportion non négligeables de responsables et de chefs communautaires irakiens.
Par dessus tout, l’Irak semble dépourvue de toute stratégie propre. Il est désormais un terrain d’affrontement entre le chemin de Damas et la route vers Téhéran. Pays très riche et en banqueroute, il sera de plus en plus le théâtre d’une lutte géostratégique à mort entre deux blocs régionaux distincts mais lesquels continuent une vieille rivalité historique sans autre issue qu’une coexistence pacifique qui n’arrange les intérêts stratégques d’aucun protagoniste.
Source: Lire l'article complet de Strategika 51