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YSENGRIMUS — Nous sommes au sein d’un de ces innombrables dispositifs d’existence de la littérature de type fantasy. Le monde est peuplé de formes des vies diverses aux contours gorgés d’implicites luminescents, purulents, ordinaires et ni chauds ni froids. Des fées, des harpies, des gnomes, des farfadets, un dieu, des géants, des mort-vivants, des mutants cycliques, des anges, des humains, des gorgones et un tas d’autres figures indéfinies co-existent, pour le meilleur et le bien pire. La violence est omniprésente. Violence belliqueuse, violence des passions, violence de la vulgarité, violence de la magie, violence des poussées de rationalité, même. Et c’est la tonitruante continuation d’un grand conflit intercontinental. Dans le premier tome, (Le chevalier à la canne à pêche) un puissant Archange œuvra avec ses fantassins innombrables et ses angelots kamikazes à envahir le continent sur lequel notre œil se pose. Un Oracle œuvra à le défendre. Un groupe d’hirsutes compagnons et compagnes est en quête. Et roule roule le tonnerre de la vie et du cycle de la guerre, ni bon, ni méchant, juste… étant. Or, parmi ces hardis olibrius de choc figure une modeste adolescente avec des couettes, Sélène…
Sélène n’était guère qu’une adolescente humaine de douze ans, arrachée à sa Réserve. Et malgré sa force intérieure, elle avait vu tout son univers s’écrouler en quelques semaines. Du courage, ses compagnons lui en avaient donné. Ils s’étaient remis plus vite qu’elle des évènements traumatisants. La sagesse conférée par l’âge accélérait le processus. Ce n’était pas leur première guerre. Ces créatures, qui vivaient sous le même toit qu’elle, étaient effrayantes en apparence. Elles possédaient cependant de grandes qualités d’âme, au point d’avoir risqué leurs vies pour la sauver. Pour elle, ses compagnons avaient osé affronter une des deux entités les plus dangereuses au monde: l’Archange, alors que celui-ci se déchainait sur elle et le garçon dont elle était éperdument amoureuse.
Tout se poursuit donc, pour nous lecteurs, en ce second tome de L’ANTEVERS, autour de cette jeune roussette de douze printemps, vivant, au cœur de la tourmente guerrière, au milieu de ses hardis compagnons et compagnes éclectiques, grognards et dépareillés. Apparait alors un nouveau venu, hautement incongru, du nom de Pierre. Pierre est une pierre, tout simplement, une pierre vivante, soigneusement drapée dans la dense nuée de tous les calembours irrésistibles de caillasses, de rocailles et de galets. Le peuple des pierres, d’où émane Pierre, vit un grave schisme dont Sélène est l’involontaire épicentre. Une faction de l’omniprésent et pugnace peuple minéral considère que la jeune adolescente aux couettes est l’Annihilatrice et cette phalange, hautement remontée, entend promptement ratatiner la frêle demoiselle, avant que son action perturbatrice et destructrice ne s’engage, dans le torrent des mondes. Le susnommé Pierre et ses partisans jugent eux, pour leur part, en conscience, que cette petite chose nubile n’est pas du tout un danger pour les mondes mais qu’elle est, au contraire, une bonne pâte magique en croissance, qu’il faut préserver et protéger. Ils s’y engagent et s’y emploient, en grande. D’où fracture lancinante et cuisante au sein de la gent caillouteuse.
Annihilatrice ou salvatrice, Sélène est, pour l’instant, engagée dans la tourmente d’un vaste enjeu magique qui lui échappe. Elle n’y pense pas spécialement d’ailleurs. Elle aspire surtout à retrouver Lupin, le chevalier (un petit peu déchu, dans les coins) à la canne à pêche, son grand objet d’amour. Ce dernier bourlingue, bien malgré lui, en des océans agités et cryptiques, en compagnie de Pêcheur, son vieux maitre conjoncturel et gourou intempestif. Rien ne va plus, donc. Engagés dans des quêtes distinctes, divergentes, et d’une complication quasi-cauchemardesque, leur imposant l’ajournement morbide de leurs retrouvailles, Sélène et Lupin sont plus ardemment dominés par des missions salvatrices qui les dépassent que par les ressorts mutuels de leurs simples espoirs privés.
Ambiance de tempête, de tumulte, de guerre des mondes. Il y a toujours un dense et épique conflit intercontinental qui fait rage. Les immenses scènes de combat y sont d’un grandiose picaresque et riche en surprises qui ne se démentiront pas, tout au long de l’opus. Dans le cadre solide et complexe d’un scénario superbement dominé, les choses vont hyperboliquement se compliquer, en ces batailles ambivalentes et turlupinées, peuplées d’espions, de traitres, de héros polymorphes, et de magistrats incompétents, infantiles, paniqués, improbables. Le tout va amener notre Sélène à découvrir, sur le tas et malgré elle, l’ampleur cosmologique de ses énigmatiques pouvoirs. Il faudrait pouvoir tout en dire tout en n’en disant rien.
L’écriture de Guilhem est un triomphe du genre qu’il aspire légitimement à maitriser. Savoureusement imaginatif et d’une qualité d’évocation remarquable, le récit nous emporte dans cette mascarade lumineuse où tout est possible et où la surprise de lecture, atterrée et joyeuse, est omniprésente. On s’attache viscéralement à la bande d’olibrius qui encadrent Sélène et même à ceux et celles qui la houspillent ou la combattent. L’imagination débordante de cette rocambolade titanesque pousse, comme irrésistiblement, à en jubiler le déploiement torve, imprévisible, fascinant, crucial, au fil d’une lecture dévoratrice.
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Source: Lire l'article complet de Les 7 du Québec