Les échecs c’est fascinant, élégant et même violent. Comme la vie. Et comme la série la plus populaire sur Netflix ces derniers temps : Le jeu de la dame (V.O. The Queen’s Gambit). Analyse d’un phénomène que personne n’a vu venir, mais que tout le monde a fini par regarder.
Il aura fallu plus de 30 ans au scénariste Scott Frank pour que cette minisérie en sept épisodes voie finalement le jour. Durant des années, tous les studios qu’il contactait rejetaient son manuscrit, prétextant que personne ne s’intéressait assez aux échecs. Cette longue attente lui permettra de réécrire 9 fois l’histoire adaptée d’un roman éponyme de Walter Tevis, de telle manière qu’il réussira l’exploit de rendre captivant un jeu, convenons-en, plutôt ennuyant visuellement.
C’est finalement la plateforme Netflix qui prendra le pari de la produire. Ironiquement, elle est devenue, l’automne dernier, leur série la plus regardée, attirant plus de 62 millions de sériephiles dans le monde entier un mois seulement après sa sortie.
Tout l’intérêt de la série réside justement en ces nombreux parallèles entre le monde idéaliste des échecs et le monde réaliste de la vie.
Cette fiction, construite à s’y méprendre comme une histoire vraie, suit la jeunesse d’Élisabeth (Beth) Harmon, une orpheline introvertie prodige d’échecs. De 8 à 22 ans, on assiste à sa quête pour devenir championne du monde, tout en luttant contre des problèmes émotionnels et une dépendance aux médicaments et à l’alcool. C’est finalement au jeu de la vie qu’elle apprendra à jouer durant ces 14 années où elle passera de l’enfance à l’âge adulte.
« Je peux le contrôler »
Tout l’intérêt de la série réside justement en ces nombreux parallèles entre le monde idéaliste des échecs et le monde réaliste de la vie.
Beth avoue qu’elle se sent en sécurité sur un jeu clos où toutes les possibilités sont prévisibles : « C’est un monde entier de seulement 64 cases. Je me sens en sécurité. Je peux le contrôler, je peux le dominer. Et c’est prévisible. Donc, si je me blesse, je n’ai que moi-même à blâmer. »
À l’inverse, le monde réel est ouvert et dangereusement indomptable.
L’univers des relations humaines est si complexe qu’il est par nature hors de notre contrôle. Décidément, Beth s’y sent moins à l’aise. Impensable de contrôler ne serait-ce que ses propres émotions. Impossible surtout de prévoir les réactions des autres. Du coup, elle fuit cette réalité chaotique pour se réfugier dans les mondes parallèles du jeu et de l’alcool.
Et pourtant, un proverbe chinois l’affirme : « La vie est comme une partie d’échecs, elle change à chaque coup. » Beth devra apprendre à jouer au jeu de la vie et consentir à entrer dans un monde d’imprévisibilité.
Le sacrifice de la reine
Le titre original (The Queen’s Gambit) évoque une ouverture célèbre aux échecs. Le mot « gambit » vient d’une expression italienne (« dare il gambetto ») signifiant faire un croc-en-jambe, une « jambette ». Il s’agit en fait d’un sacrifice volontaire d’un pion dans le but d’obtenir un avantage stratégique.
Le sacrifice de Beth, la reine des échecs, est de prime à bord celui de son enfance. Orpheline, elle sacrifiera sa jeunesse pour s’évader d’un monde dont elle n’arrive pas à comprendre les codes et plutôt gagner au jeu qu’elle maitrise. Mais ce sacrifice de sa jeunesse pour sa réussite aux échecs risque de se mater à l’échec de sa vie.
Une fois couronné au début de la vingtaine, qu’est-ce qu’on fait du reste de sa vie ? Beth elle-même avertit un jeune prodige russe de treize ans : « Si vous êtes champion du monde à seize ans, vous ferez quoi du reste de votre vie ensuite ? » Ce n’est pas tant la performance qui fait de nous des bienheureux que notre disposition à la vulnérabilité dans nos relations.
Qu’est-ce qu’une vie réussie ?
Si la vie est comparable à un jeu, alors quel est son but et quelle stratégie faut-il adopter pour remporter la victoire ?
À ces questions, c’est Alma, la mère adoptive d’Élisabeth, qui semble apporter les meilleures réponses : « Ce que vous savez n’est pas toujours ce qui est important. » « Il y a plus que les échecs dans la vie. » Sous-entendu : il y a l’amour… parental, amical et sponsal.
« L’intuition est introuvable dans les livres », rappelle-t-elle à sa fille obsédée par la préparation de ses matchs. Si les champions d’échecs ont l’intelligence pour calculer les coups à jouer et éviter, les champions de la vie ont la sagesse pour nouer (et parfois dénouer) les liens humains.
Au final, comme aux échecs et dans la vie, Le jeu de la dame fait toutes sortes de mouvements inattendus. D’ailleurs, cette série nous avertit que la possibilité de tout prévoir et de tout contrôler est toujours une illusion. Une série à écouter pour s’interroger sur le sens de la vie dans un monde où l’imprévisible a souvent un coup d’avance sur nous !
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Source : Lire l'article complet par Le Verbe
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