La parution d’un recueil d’entretiens avec le journaliste André Ducharme permet à l’homme de théâtre de revenir sur son parcours prolifique des quatre dernières décennies.
En 1980, sortait de l’École nationale de théâtre un comédien de 21 ans au physique maigrelet, mais intellectuellement boulimique. 40 ans plus tard, René Richard Cyr a démontré une perceptible polyvalence. De l’opéra à la coréalisation de la nouvelle mouture télévisée de Caméra Café, il cherche toujours à rendre les pulsions qui habitent les êtres vivants, comme en témoigne l’une des phrases qu’il se plait à citer : « Je suis un homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger », du poète latin Térence.
Peu de créneaux lui sont étrangers à celui qui a orchestré des créations québécoises dont la quasi-totalité des pièces de théâtre de Serge Boucher (Motel Hélène, Après), Bob de René-Daniel Dubois, Contre le temps de Geneviève Billette (l’une de ses meilleures réalisations). En plus de relectures du répertoire d’ici (dont Un simple soldat de Marcel Dubé et Les Muses orphelines de Michel-Marc Bouchard), Cyr a démontré la force de la parole de Michel Tremblay (À toi, pour toujours, ta Marie-Lou, Le Vrai Monde, Le Chant de Sainte Carmen de la Main).
Adaptées en version musicale, Belles-Sœurs ont été reprises au Brésil par Ariane Mnouchkine (qui a qualifié de « parfaite » sa mise en scène). Il s’est aussi aventuré, entre autres, dans les univers de Shakespeare, d’Albert Camus et de Jean Genet, en plus de revisiter des incontournables de la comédie musicale (Demain matin, Montréal m’attend de Michel Tremblay, L’Homme de la Mancha, Les Parapluies de Cherbourg). Ses collaborations comprennent le conteur Fred Pellerin (pour qui il a signé des paroles chansons), l’Opéra de Montréal, les chanteuses Joe Bocan (« la plus brave avec Janine Sutto ») et Céline Dion pour sa première tournée mondiale…
« Spectacles accessibles et concrets, dans lesquels on entend le bruit de la vie », soutient l’intervieweur Ducharme en amorce du livre. Pour René Richard Cyr qui s’est longtemps considéré comme un « communicateur », la scène doit refléter les préoccupations de la société, même lorsque le propos s’inscrit dans un contexte sociohistorique différent. L’art doit ainsi « désembrouiller l’air du temps », comme lorsqu’il a monté, en 1990, L’École des femmes de Molière, quelques mois après deux événements féministes qui ont secoué le Québec : l’affaire Chantal Daigle et la tragédie de Polytechnique. L’enjeu du pouvoir masculin « sur le corps des femmes » s’avérait à ses yeux « d’une percutante actualité ».
Le 7 mars 1971, un premier choc théâtral surgit grâce à Michel Tremblay, l’un de ses futurs complices. L’adolescent de 12 ans sirote un ginger ale et regarde avec ses parents le téléthéâtre En pièces détachées. Les personnages parlent comme ses proches. 16 ans plus tard, René Richard Cyr s’attaque à Bonjour, là, bonjour avec notamment Guy Provost, « son popa théâtral, acteur d’une autorité naturelle », et incarne plus tard, en virtuose, le travesti Hosanna dans l’œuvre du même nom.
En 1994, il transpose au TNM le téléthéâtre de sa jeunesse et sollicite l’une de ses interprètes, Hélène Loiselle, « mon idole pour son audace et sa générosité rares. Personne ne jouait comme elle », souligne-t-il avec ferveur. La distribution comprenait aussi deux autres « courageuses », soit Sylvie Drapeau et Janine Sutto. « Toute l’essence du monde de Tremblay y était avec la famille, les serveuses, les balcons, les bars de la Main … »
Malgré les nombreuses accolades, l’acteur diplômé a essuyé des refus en début de carrière. Jean-Louis Roux, alors directeur artistique du Théâtre du Nouveau Monde (institution où Cyr dirigera bien des productions après son remarqué Bonjour, là, bonjour de Tremblay en 1987) lui recommande de parfaire son jeu s’il désire joindre les ligues professionnelles. Les commentaires n’ont rien d’encourageants : « Voix rêche et parfois nasillarde, dictions et articulation lourdes… ».
De telles rebuffades l’incitent à concevoir, en 1981 Dépêche-toé, j’ai envie, sa première œuvre scénique à l’Ex-Tasse, un défunt café-théâtre situé sur la rue Ontario. Cyr dirige trois actrices dont deux consœurs de l’École nationale, Suzanne Champagne et Frédérike Bédard, en plus de diriger la partition qu’il a écrite. « Enfant de Tremblay », le « toé » du titre revendique déjà la signature d’un artiste « soucieux de la véracité de l’oralité ».
La même année, René Richard Cyr reçoit l’invitation de Claude Poissant, directeur artistique de la compagnie Théâtre Petit à Petit (aujourd’hui Théâtre PÀP) pour jouer dans sa pièce Tournez la plage au café-théâtre Les Fleurs du mal. « Ce fut ma deuxième école. J’ai trouvé ma gang et un espace de liberté incroyable », raconte-t-il en évoquant du même souffle sa participation à Où est-ce qu’elle est ma gang?, une création innovatrice pour le public adolescent. La plume du dramaturge Louis-Dominique Lavigne osait des thèmes dérangeants (sexualité, drogue). « La Commission des écoles catholiques de Montréal a censuré le spectacle et l’a interdite dans les écoles de la métropole. Nous l’avons joué partout au Québec et à la salle Fred-Barry (à Montréal) avec beaucoup de succès ».
C’est en 1984 au Théâtre de Quat’Sous que René Richard Cyr devient un metteur en scène « professionnel ». La nouvelle directrice artistique du lieu, Louise Latraverse, souhaite marquer les esprits avec une réactualisation de l’œuvre la plus jouée de notre histoire théâtrale, le mélodrame Aurore l’enfant martyre. Le nouvel arrangeur de ce classique se donne un défi : humaniser la marâtre (incarnée par la comédienne Louison Danis) et « aller à la racine du mal. Je voulais montrer que la réalité des enfants battus existait toujours, comme nous pouvions en voir à Sainte-Justine et ailleurs. »
Le créateur me parle de Serge Boucher (qui l’a secoué par « la force des personnages, la véracité de la langue, son humour »), signataire de la préface du livre. Il revient sur les enseignements de l’un de ses maîtres, le metteur en scène André Brassard, le « grand professeur qui a enseigné au petit élève la nécessité de savoir ce qui te touche comme artiste et de trouver un sens dans ton travail ».
Loin de songer à une retraite tranquille, René Richard Cyr dévoile des noms d’auteurs qu’il rêve de porter à la scène : « Marivaux, Brecht, Claudel. La liste est longue. »
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