La souveraineté, c’est arracher pièce par pièce nos compétences à Ottawa
Le Québec peut « traduire, modifier et adopter » un pan de la Constitution du Canada sans avoir à demander préalablement la bénédiction d’autres membres de la fédération, avance le professeur de droit public Patrick Taillon dans un ouvrage à paraître.
Selon lui, le Parlement québécois a tout le loisir de réécrire dans ses propres mots des parties du chapitre sur « les constitutions provinciales » de la Loi constitutionnelle de 1867 à condition que les modifications qu’il effectue « se rapport[ent], pour l’essentiel [à ses] institutions et à [sa] manière de les nommer ».
Par exemple, il peut y définir le Québec « comme un “État membre de la fédération” plutôt que comme l’une des “provinces” du “dominion” » et, au passage, « affirmer constitutionnellement l’autonomie [de ses] institutions ».
Le Québec a aussi les coudées franches pour inscrire dans la loi fondamentale du Canada « l’existence de son “Parlement” — et non d’une “législature” —, dans lequel figure évidemment son Assemblée nationale », dont « le devoir » consiste à « défendre le caractère démocratique, la tradition de droit civil et le français comme langue officielle de [ses] institutions », explique Patrick Taillon.
Chemin faisant, le Parlement québécois peut aussi proclamer le caractère « laïque » des institutions québécoises dans la loi constitutionnelle canadienne, poursuit le constitutionnaliste, tout en rappelant qu’aucune version officielle de la Loi constitutionnelle de 1867 n’existe en français.
« Souveraineté partagée »
Le professeur de droit public à l’Université Laval invite les législateurs québécois à remédier à la situation en puisant dans « un vocabulaire très puissant sur le plan symbolique, politique et juridique » et en insérant des expressions correspondant au « Québec réel » comme « État membre », « souveraineté partagée » ou « peuple du Québec » dans la Constitution canadienne.
Pour ajouter ses mots à la Constitution, le Parlement québécois n’a qu’à adopter une loi modifiant explicitement le texte de la Loi constitutionnelle de 1867, selon le professeur Taillon. Nul besoin d’attendre le mûrissement du fruit constitutionnel et de participer à des négociations constitutionnelles douloureuses s’il légifère à l’intérieur de sa « compétence exclusive », soutient-il, tout en évoquant l’article 45 de la Loi constitutionnelle de 1982. Celui-ci stipule qu’« une législature a compétence exclusive pour modifier la constitution de sa province », sauf pour y revoir la charge du lieutenant-gouverneur ou encore l’usage du français ou de l’anglais, entre autres choses.
La Charte canadienne des droits et libertés et le partage des compétences législatives entre le fédéral et les provinces sont aussi hors de portée de l’Assemblée nationale et du lieutenant-gouverneur québécois. Cela dit, ces derniers pourraient donner du panache à la doctrine Gérin-Lajoie en écrivant au cœur de la Constitution canadienne : « ce qui est de la compétence du Québec sur son territoire est de sa compétence partout », suggère Patrick Taillon.
Une loi « au-dessus des lois »
La portée juridique de modifications constitutionnelles unilatérales du Parlement québécois dépendrait de l’interprétation des tribunaux, explique Patrick Taillon. Elles pourraient être considérées comme subordonnées aux normes constitutionnelles dites « rigides », qui ne peuvent être modifiées qu’avec l’appui de toutes les provinces ou de sept d’entre elles pourvu qu’elles représentent au moins 50 % de la population, par exemple.
Du moment où le Québec inscrirait ces changements directement dans le texte de la Constitution de 1867, ces dispositions devraient être considérées comme « supralégislatives », ce qui les placerait au-dessus des lois ordinaires, argue Patrick Taillon. Le Québec pourrait alors « soutenir que les règles constitutives de ses institutions sont au sommet de la hiérarchie des normes — à l’égal des autres règles de la Constitution canadienne — et qu’elles échappent donc au contrôle de conformité par les juges fédéraux ».
À ce jour, aucune province n’a tenté de modifier directement la loi fondamentale du pays. Par conséquent, une telle démarche « pourrait surprendre l’opinion dans le reste du Canada, et, plus spécifiquement, les autorités fédérales qui croient détenir un monopole ou un veto sur le texte de la Constitution commune à la Fédération », signale le professeur Taillon.
En revanche, des provinces, y compris le Québec et l’Ontario, ont adopté des lois ordinaires devant lesquelles des dispositions de la Constitution de 1867 sont devenues implicitement caduques. Le Parlement québécois a aboli de cette façon sa chambre haute, le Conseil législatif, en 1968. Les articles sur le « conseil législatif » du Québec apparaissent toujours dans la Loi constitutionnelle de 1867. Ils sont « périmés », précise l’éditeur.
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Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec