Cinq ans après leur arrivée à Québec, près de la moitié des réfugiés syriens se sont réinstallés ailleurs au Canada, essentiellement en Ontario.
C’est ce qu’on apprend à la lecture des données compilées par le Centre multiethnique de Québec (CMQ), organisme communautaire autonome chargé de l’accueil et de l’installation des réfugiés.
Au total, la Capitale-Nationale a reçu 104 familles de réfugiés syriens depuis le 1er janvier 2016. De ce nombre, 41 familles ont déjà plié bagage et trois autres s’apprêtent à leur emboîter le pas. En chiffres absolus, cela donne 288 départs sur un total de 598 personnes.
Pour Natacha Battisti, directrice générale du CMQ, ces chiffres n’ont rien d’étonnant.
«Pas nécessairement surpris»
«On n’est pas nécessairement surpris du taux de rétention, a-t-elle assuré. Quand il y a des arrivées massives où on est à la recherche d’un placement de survie, certaines communautés ou ethnies vont possiblement partir», dit-elle.
En comparaison, plus de la moitié des réfugiés de l’ex-Yougoslavie, venus à Québec dans les années 1990, ont également quitté Québec.
Ce n’est toutefois pas le cas des réfugiés vietnamiens arrivés dans les années 1980 et qui sont restés ici en grande majorité.
«Les Vietnamiens sont arrivés et se sont créé leur petite communauté à Québec. La rétention est plus forte quand la communauté d’origine est mieux établie», a avancé Mme Battisti.
L’attrait de l’Ontario
La grande région de Toronto et la région d’Ottawa sont les deux destinations les plus prisées par l’écrasante majorité des réfugiés syriens, dont le passage à Québec n’aura finalement été que transitoire.
La présence d’une importante communauté syrienne (et arabo-musulmane) en Ontario, l’attrait irrésistible de la langue anglaise et l’enjeu des salaires sont régulièrement énumérés pour expliquer les raisons du départ.
«De prime abord, c’est vraiment le contact de leur communauté qu’ils recherchent. C’est comme ça que les gens vont demeurer plus longtemps dans une région ou qu’ils vont s’établir ailleurs», croit la dirigeante du CMQ.
De son côté, François Moisan, attaché de presse du maire Labeaume, a rappelé que «les Syriens parlent surtout anglais et les familles syriennes sont éclatées un peu partout».
Selon lui, «après tout ce qu’ils ont vécu, les Syriens, n’ayant pas ‘d’attache’ à Québec, peuvent décider de déménager à nouveau pour un endroit où ils pourront s’intégrer plus facilement, soit en raison de la langue, soit pour retrouver des membres de leur famille».
Au pays depuis cinq ans
Aussitôt arrivés, aussitôt partis!
Premiers réfugiés syriens à s’installer à Québec en janvier 2016, les Al-Mashhadani ont été également une des premières familles à quitter la Capitale-Nationale à peine quelques mois plus tard.
Dès août 2016, cette famille a déménagé à Mississauga, dans la grande région de Toronto. Abdallah, le père de famille, y travaille comme camionneur depuis quelques années.
«Les enfants avaient déjà étudié l’anglais au Liban. Et là, on arrivait à Québec sans connaître un mot de français. C’était difficile, particulièrement pour moi», se souvient le père de six enfants, dont le dernier est né au Canada.
Malgré les cours accélérés de français, Abdallah trouvait que les choses n’allaient pas assez vite à son goût. Son ignorance de la langue retardait son émancipation, y compris pour ses besoins familiaux les plus élémentaires.
«Je voulais acheter une voiture pour pouvoir faire l’épicerie. Mais j’ai échoué à l’examen théorique de la SAAQ à cinq reprises, car je ne comprenais pas le français. Sans permis de conduire, j’étais toujours dépendant des autres», a-t-il détaillé.
Outre l’enjeu de la langue, Abdallah a également évoqué le fait que les chances d’emploi lui semblaient plus restreintes à Québec. La présence de membres de sa famille en Ontario, dont son frère, a achevé de le convaincre de déménager.
Regard hostile
Abdallah Al-Mashhadani relate par ailleurs une mauvaise expérience vécue dans un bus du Réseau de transport de la Capitale. Il affirme qu’un homme invectivait son épouse à cause de son foulard islamique.
«Je ne comprenais pas tout ce qu’il disait, mais c’est clair que c’était un commentaire raciste, a-t-il décrit. De façon générale, j’ai aussi senti un regard hostile de la société envers les musulmans et j’ai eu des craintes pour ma femme et mes filles.»
Coût de la vie différent
Aujourd’hui, l’homme de 41 ans ne regrette pas d’avoir déménagé en Ontario. «Ici, c’est vrai que tout est plus cher qu’à Québec. Le loyer de la maison est plus cher. Les assurances de la voiture aussi. Si ça avait été juste une question d’argent, je serais resté à Québec».
Abdallah se dit encore plus confiant dans l’avenir depuis que toute sa famille a obtenu la citoyenneté canadienne, au début de 2020. «Je suis plus tranquille pour mes enfants», glisse-t-il, reconnaissant.
Une famille conquise par la tranquillité et la sécurité de Québec
Dès qu’ils ont mis les pieds à Québec, au début de 2016, Ahmed Mustafa et Hanan Abdelkarim voulaient rapidement trouver du travail pour ne pas dépendre des aides gouvernementales.
Ces parents de sept enfants – âgés de 2 à 21 ans – désiraient ainsi donner l’exemple à suivre à leur progéniture.
«J’ai suivi des cours de français pendant un peu plus d’un an. Mais je voulais travailler rapidement. Il faut être utile à la société», soutient fièrement Ahmed, 52 ans. Ce dernier travaille pour la compagnie de construction Novik, située à Saint-Augustin-de-Desmaures.
Heureux
Son épouse Hanen a occupé deux emplois au cours des dernières années. Elle se spécialise dans la cuisine, plus particulièrement dans la confection de pâtisseries. «J’aime beaucoup ce que je fais. Ce n’est pas évident avec sept enfants, mais je m’en sors. Je ne voulais pas seulement rester à la maison», indique-t-elle.
Heureux de leur vie « tranquille » et « sécuritaire » à Québec, Ahmed et Hanan s’inquiètent toutefois de constater que leurs enfants – surtout les plus âgés – ont encore beaucoup de difficulté à maîtriser le français écrit. Cela nuit fortement à la progression scolaire des adolescents et les empêche d’intégrer les classes d’études régulières, déplorent-ils.
La tentation ontarienne
Les enfants les plus âgés oscillent donc entre des études de français qui s’éternisent et des emplois à temps partiel, surtout dans le domaine de la restauration.
«L’intégration a été beaucoup plus facile pour mes enfants les plus jeunes, ajoute Hanan. Pour les adolescents, c’est quand même plus dur.»
Le couple est bien au fait que plusieurs de leurs amis syriens sont partis pour l’Ontario au fil des années. Tous les six mois, Ahmed et Hanan reconnaissent avoir une discussion animée au sujet d’un possible déménagement.
Le père de famille dit préférer rester à Québec, tandis que la mère semble plus hésitante. Chose certaine, à leurs yeux, seule la maîtrise de l’anglais pourrait assurer l’avenir de leurs enfants.
Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec