Une enquête de Bellingcat révèle que Jim Watkins, l’administrateur du forum 8chan, a fréquemment échangé avec des membres importants de la mouvance QAnon. L’homme d’affaires est depuis longtemps accusé d’être derrière l’essor de ce nouveau mouvement complotiste.
Qui est vraiment « Q », cet internaute anonyme qui poste des prophéties annonçant la victoire prochaine de Trump sur un complot pédosatanique mondial ? L’énigme a encore pris de l’importance avec l’intrusion violente de militants pro-Trump dans le Capitole le 6 janvier dernier. Pour certains, le prophète de la mouvance QAnon, qu’il convient désormais de qualifier de mouvement sectaire planétaire, pourrait être un proche de Donald Trump, voire Donald Trump en personne. Pour d’autres, Q serait plutôt l’œuvre des administrateurs du forum où il s’est développé, 8chan (aujourd’hui 8kun), contrôlé par l’homme d’affaires américain Jim Watkins.
Une enquête du site d’investigation britannique Bellingcat publiée au lendemain de l’assaut du Capitole révèle plusieurs éléments qui poussent un peu plus dans cette direction. Fin 2020, Aubrey Cottle, co-fondateur revendiqué d’Anonymous, a publié une énorme fuite de données provenant des serveurs mails utilisés par Is It Wet Yet (IIWY), maison mère de 8chan, propriété de Jim Watkins. Grâce à ces fuites, Bellingcat a découvert qu’une trentaine d’adresses e-mails appartenant à des entreprises de Jim Watkins avaient envoyé environ 2 600 messages à plus de 660 adresses externes au cours de l’année 2019.
Plus de 1 000 de ces e-mails provenaient de ce qui semble être l’adresse personnelle du businessman. On y trouve des correspondances avec ses partenaires commerciaux ou des forces de l’ordre, mais aussi et surtout avec des suiveurs et des influenceurs de la mouvance QAnon présents sur 8chan.
Des bas-fonds du web jusqu’au Capitole
C’est sur le forum 4chan que Q a fait ses premières apparitions en 2017, mais c’est bien sur 8chan, devenu 8kun après sa fermeture forcée en 2019, qu’il a finalement trouvé refuge. Fondé en 2013 comme une alternative à 4chan dont la modération était jugée trop forte, ce forum s’est invité dans la réalité politique américaine bien avant l’envahissement du Capitole.
En 2016, 8chan faisait partie des 10 sites générant le plus de trafic vers la campagne de Donald Trump, certains de ses utilisateurs s’imaginant ainsi avoir contribué à sa victoire. C’est surtout sur cette plateforme ultra-libertarienne, caractérisée par son absence totale de modération, qu’ont été revendiquées certaines des pires tueries de masse de ces dernières années, les assassins y publiant leurs manifestes et les vidéos de leurs atrocités pour inspirer leurs camarades de clavier.
Brenton Tarrant, qui a assassiné 51 fidèles musulmans à Christchurch en Nouvelle-Zélande en mars 2019, avait ouvert la voie, suivi par John Earnest qui a abattu une femme juive à la synagogue de Poway en Californie en avril de la même année, puis par Patrick Wood Crusius qui fera 23 morts dans un centre commercial d’El Paso au Texas en août. Stephan Balliet, qui assassinera 2 personnes à Halle en Allemagne en octobre, avait lui aussi fait de nombreuses références à la sous-culture de 8chan.
Le co-fondateur du forum, Fredrick Brennan, avait alors publiquement demandé à son ancien associé Jim Watkins de fermer le site, sans succès, ce dernier continuant à s’abriter derrière le combat pour la liberté d’expression. Lors de l’assaut du Capitole, de nombreux adeptes et figures de la mouvance QAnon ont joué un rôle majeur, révélant à ceux qui l’ignoraient encore l’évidente menace sécuritaire posée par ce mouvement conspirationniste qui s’abrite sur 8chan et qui entend abattre de supposés réseaux pédophiles. Watkins est pourtant lui-même accusé d’héberger plusieurs plateformes diffusant des contenus pédopornographiques.
Jim Watkins, centre de gravité de la galaxie QAnon
L’administrateur de 8chan a toujours nié être lié au développement du QAnon. Mais si les données examinées par Bellingcat ne permettent pas de connaître le contenu exact de ses échanges, ni de lever le mystère sur l’identité de Q, elles montrent bien des contacts réguliers entre les acteurs de la mouvance QAnon et Jim Watkins lui-même. Des connexions qui n’ont rien d’anecdotiques. Fredrick Brennan l’a d’ailleurs publiquement accusé d’être aux manettes du compte de Q depuis fin 2017.
Selon Bellingcat, c’est avec une certaine Priscilla Adams DuMont que Jim Watkins aurait le plus discuté, pour un total de 126 messages. En utilisant son adresse e-mail, le site d’investigation a pu la relier à un compte Twitter propageant de nombreuses théories QAnon et discutant avec plusieurs figures de la mouvance. En visitant son profil Linkedin, Bellingcat a également découvert que cette adepte de QAnon est une contractuelle de l’armée américaine.
Pourrait-il s’agir de Q, qui prétend avoir de nombreux accès dans les cercles militaires américains ? Impossible à dire. « S’il est notable qu’une personne qui semble être une contractuelle de l’armée américaine ainsi qu’une fervente adepte de QAnon soit en contact avec le propriétaire du site Web qui héberge les messages de Q, rien dans l’activité en ligne de DuMont ne suggère qu’elle est un rouage important dans l’histoire de la mouvance. Il n’est pas non plus possible de savoir si Watkins sait quelque chose de son statut professionnel », nuance Bellingcat.
Reste que DuMont et Watkins apparaissent tout deux dans d’autres échanges avec des influenceurs majeurs de la galaxie QAnon (Blessed to Teach ; Citizen’s Ireport ; The Patriot Hour ; The Black Conservative ; QtheMoreYouKnow ; In Pursuit of Truth ). Toujours selon Bellingcat, Jim Watkins était également en contact direct avec Neon Revolt, un prêcheur extrêmement influent qui dirige la plus grande communauté QAnon sur Gab (plus de 192 000 abonnés), réseau social devenu le principal refuge des internautes d’extrême droite. Il y a quelques jours, une enquête de l’entreprise américaine de fact-checking Logically a révélé que derrière Neon Revolt se cachait en fait un certain Robert Cornero Jr., un scénariste raté fâché avec l’industrie hollywoodienne, accusée par les QAnon d’être partie prenante du complot pédosatanique et de participer à une cabale contre Donald Trump.
La négation et la promotion
« Je ne suis pas un adepte du QAnon et je ne m’y identifie pas. Ce n’est qu’un mot-clé sur Twitter. Je ne suis pas non plus Q », a assuré Jim Watkins à Bellingcat. L’homme d’affaires ne se donne pourtant pas vraiment la peine de se désolidariser du mouvement. Dans une vidéo qu’il a publiée peu après avoir été contacté par le site d’investigation britannique où il assure que la fuite des données de ses serveurs e-mails ne contient aucune information significative, on peut voir une publicité pour un masque anti-Covid… floqué du Q de QAnon.
En octobre dernier, Brennan avait aussi révélé que le site Qmap, alors l’un des principaux propagateurs de contenus QAnon, appartenait en fait à Jim Watkins. En novembre, c’était encore lui qui était derrière la création d’un « QAnon Super PAC », un organisme visant à lever des fonds pour les campagnes de plusieurs candidats républicains sensibles aux thèses QAnon. Suite à la fermeture d’8chan, Q était réapparu sur 8kun, le forum de secours créé par Watkins. Pour Brennan, Watkins avait tout simplement besoin de la présence de Q pour faire vivre sa nouvelle plateforme.
Dans une deuxième enquête sur les origines de la mouvance et sur les liens manquant entre les thèses du Pizzagate et les thèses du QAnon, Bellingcat s’interroge sur le succès rencontré par les posts de Q. « Répondre à cette question reviendrait à raconter l’histoire des fissures les plus profondes de la société américaine à travers ce catalyseur qu’est le conspirationnisme », conclut le site d’investigation. Quelle que soit l’identité réelle de Q, le rôle et la responsabilité de Jim Watkins, qui aura su s’infiltrer avec une efficacité redoutable dans chacune de ces fissures pour amplifier le message de Q, ne font plus aucun doute.
Voir aussi :
Petit guide à l’usage des plateformes qui veulent endiguer la théorie du complot sur QAnon
Les théories du complot, une menace prise très au sérieux par le FBI
Source: Lire l'article complet de Conspiracy Watch