Le procès Sarkozy dans l’affaire dite « Bismuth » s’est achevé courant décembre après une quinzaine de jours d’audience. Pour la première fois, un ancien Président de la République Française comparaissait sur le banc des prévenus pour être jugé du chef de corruption. De quoi, se dit-on naïvement, accaparer le débat public plusieurs semaines durant…
Sur le papier, rien de moins qu’un procès historique. Que l’on mesure la gravité de l’accusation : un ancien Président de la République, un ancien magistrat parmi les plus hauts placés de France, et un avocat, autrement dit trois piliers symboliques de la démocratie, accusés d’avoir, ensemble, porté atteinte à la probité des institutions dont ils sont pourtant censés être les garants. Même en période de populisme rampant, d’extrêmes menaçants et de séparatismes à l’affût, on imagine peu d’événements plus graves pour la bonne santé démocratique du pays.
Ajoutons là-dessus des conversations privées de l’ancien Président, des voyages à Monaco avec Carla Bruni, des portables de guerre et des agendas mystérieux, bref, tous les ingrédients croustillants propres à ce qu’éditorialistes et journalistes de tous poils sortent l’artillerie lourde à l’occasion de ces débats pour l’Histoire. On attendait donc, à tout le moins, flashs spéciaux, émissions exclusives 24h/24h, débriefs et analyses, nuits des experts etc., etc., comme cela à d’ailleurs été si bien fait, et avec une justesse jamais démentie, lors de la si capitale « affaire Daval ».
Pourtant, sur les près de trois semaines qu’a duré ce procès « Sarkozy-Bismuth », les médias de masse ont semblé avoir rangé tambours et trompettes pour leur préférer un chuchotement parcimonieux. Traitement feutré à fleuret moucheté. Sarkozy ? Un procès vous dites ? Autant les théories fumeuses sur la psychologie de Jonathann Daval devaient nécessairement passionner les français, autant se questionner sur le niveau et la répression de la corruption en France — classée, rappelons le, à un brillant 23e rang mondial selon l’indice de perception de la corruption établi par l’ONG Transparency International — quelle barbe !
Dans le même temps, en plein procès donc, on apprenait pourtant que les fameux agendas de Nicolas Sarkozy, réclamés par les juges dans l’affaire du financement libyen et dont il était également beaucoup question dans l’affaire Bismuth, avaient mystérieusement disparus. Mais là encore, comme le remarquait le facétieux Edwy Plenel, la grande presse montrait un empressement tout relatif à relayer l’information.
Un autre exemple de ce traitement médiatique on ne peut plus prudent. Le Canard enchainé rapportait que le jour de l’ouverture du procès, le reportage diffusé au journal de 20h de TF1 devait initialement être lancé par ces mots : « C’est la première fois qu’un ancien président de la République est jugé pour corruption ». Mais juste avant la diffusion, la hiérarchie de la chaine appartenant au groupe Bouygues tousse un peu, et l’introduction du reportage est transformée en : « Il avait promis qu’il ferait face à ses juges. Il a tenu parole ».
Mais ce traitement médiatique inhabituel répondait peut-être à de justes motifs. Peut-être s’agissait-il de ne pas perturber la sérénité des débats, perturbations si souvent constatées à l’intérieur même des prétoires où l’influence néfaste de l’opinion s’insinue à grand renfort de sensationnalisme journalistique.
Ou peut-être pas. Car cette bizarre aphonie a partiellement cessé le soir des réquisitions du parquet, qui ne demande pas moins de quatre ans de prison, dont deux fermes, pour chacun des trois prévenus. Les médias de référence, phares de la liberté de la presse, CNEWS et BFM TV en tête, sont alors sortis de leur réserve. BFM a dégainé son éditorialiste de référence, l’indécrottable Christophe Barbier, toujours prompt à partager son talent.
Et là, stupeur : tour à tour, chacun des intervenants – allant de l’enrhumé à son aîné Alain Duhamel en passant par la garantie objectivité du débat, le biographe de Nicolas Sarkozy Hubert Coudurier – ne trouvait pas de mot assez dur pour dénoncer un procès politique, une atteinte à la Constitution, un détournement de procédure et même, un acharnement judiciaire fondé sur « des écoutes illégales ». Mesurons le courage qu’il faut pour aller jusqu’à qualifier ces écoutes « d’illégales », en sachant pertinemment qu’elles ont au contraire été jugées légales par la justice. Le fait de chercher à jeter le discrédit sur une décision de justice constitue en effet rien de moins qu’un délit, dont Henri Guaino avait d’ailleurs fait les frais (avant d’être finalement relaxé) au sujet… d’une mise en examen de Nicolas Sarkozy.
Si l’on s’étonnera (ou pas) que ce brusque réveil intervienne si tardivement face à un tel scandale, on ne pourra que se féliciter d’entendre d’aussi farouches prises de position, sur des médias aussi exposés que BFM, s’insurger contre des atteintes aux droits aussi scandaleuses. Car il est en effet intolérable que les conversations d’un avocat avec son client puissent être écoutées, au même titre qu’il serait intolérable qu’un journaliste et sa source soient écoutés.
Aussi, on se réjouit déjà d’entendre les mêmes pourfendre avec la même énergie vindicative la dérive autoritaire d’un gouvernement qui multiplie les atteintes aux droits fondamentaux, de la récente « loi contre la haine en ligne », retoquée par le Conseil Constitutionnel, à l’ordonnance encore plus récente autorisant la comparution d’un accusé en visioconférence, suspendue par le Conseil d’Etat, sans parler des lois « anti-casseurs » ou de la très actuelle loi « sécurité globale », pour n’en citer que quelques unes.
Naturellement, on n’osera penser que ce curieux silence suivi d’un si radical engagement soit le fruit d’une quelconque connivence entre les grands groupes de presse et les gens de pouvoir, ni même qu’il soit le témoin d’une sorte de réflexe pavlovien des nouveaux chiens de garde, toujours prêts à mordre quiconque s’attaque à ceux qui leur donnent la pâtée.
Nos Desserts :
L’article de Télérama, ainsi que la tribune d’un avocat sur les critiques juridiques pouvant être élevées dans cette affaire.
Au Comptoir, le sociologue Alain Accardo analyse les ressorts de la presse bourgeoise et aux ordres.
Lire aussi notre papier sur Christophe Barbier, bouffon des plateaux, chien de garde des salauds.
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir