La présidence états-unienne de Donald Trump et la pandémie qui a émaillé sa dernière année en fonction ont été l’occasion d’un florilège sur le thème du complot. En gros, Trump serait le chevalier qui défendrait le petit contre une cabale de puissants réunis en secret pour assujettir le peuple. Participeraient à cette machination des partis politiques, de grands médias, des pans entiers de la magistrature, des économistes, de grands fonctionnaires, des multimilliardaires, philanthropes de surcroit. Bref, cette fine fleur formerait une internationale avide qui agirait au détriment des peuples qu’elle est censée défendre.
Bien évidemment, la covid-19 serait le dernier épisode d’une prise de contrôle total : le virus aurait été inventé quelque part, les gouvernements et les médias relayent la terrible nouvelle, détaillant goulument le nombre de cas et de morts, les laboratoires pharmaceutiques empocheraient des milliards publics, donc du contribuable, pour trouver un vaccin.
La paranoïa complotiste est à la fois fondée et injustifiée. Ses partisans ont raison et tort.
Entretemps, les malheureuses ouailles, méthodiquement terrorisées, se terreraient chez elles dans l’attente du remède qui signerait leur reddition finale. Ou, à l’inverse, se rassembleraient en foule sans masque ni savon ni distanciation, dans une attitude de bravade frontale envers les gardiens du goulag sanitaire. Pour finir, ces brebis déboussolées opposeraient un niet retentissant à toute velléité de vaccination, potentiellement plus nocive qu’on nous le fait croire.
En somme, non au totalitarisme, oui à la liberté.
Complexité du monde
Tout cela cadre très bien avec le monde d’Orwell ou de Kafka. Mais le monde réel, pour sa part, est infiniment plus complexe. Là est le problème. Or, qui dit complexe, dit forcément mélange de bien et de mal, de bon grain et d’ivraie. De vrai et de faux.
Dans un monde complexe, il est difficile de distinguer les bons des méchants. Écoutons Alexandre Soljenitsyne : « Ah ! Si les choses étaient si simples, s’il y avait quelque part des hommes à l’âme noire se livrant perfidement à de noires actions et s’il s’agissait seulement de les distinguer des autres et de les supprimer ! Mais la ligne de partage entre le bien et le mal passe par le cœur de chaque homme. Et qui ira détruire un morceau de son propre cœur ? »
Pour cette raison, la paranoïa complotiste est à la fois fondée et injustifiée. Ses partisans ont raison et tort.
Mais revenons à la conspiration et faisons un petit tour du côté de l’étymologie.
Le mot « conspiration » a certes une connotation moderne très péjorative. Il est synonyme de complot. Qui plus est, personne n’a jamais entendu parler d’un complot de la vertu ou de l’amour. À la limite, on pourra toujours dire que des éléments conspirent au succès d’une entreprise. Mais en général, le terme est négativement chargé. C’est le sens moral et politique.
Littéralement, quand des gens conspirent, ils respirent ensemble, comme une chorale.
Seulement, l’étymologie nous dit qu’il est formé du préfixe cum (avec) et du verbe spirare (respirer, souffler, voire être inspiré, au sens poétique). Littéralement, quand des gens conspirent, ils respirent, ils soufflent ensemble, il y a une inspiration commune. Il n’y a ici aucune idée de complot ourdi, on ne fait que vibrer à une commune respiration, comme une chorale ou une communion. À la limite, quand des chrétiens partagent l’Eucharistie, ils conspirent. Il y a accord, unité.
Entre étymologie et politique
On comprend que dans le monde complexe qui est le nôtre ici-bas, les sens étymologique et politique se brouillent facilement. Ceux qui respirent ensemble peuvent très bien, progressivement et sans s’en rendre compte, former un groupe uni autour d’une idée qui lui servira graduellement de faire-valoir ou de talisman qui le séparera progressivement du monde ordinaire, grossier, non initié. C’est le sort, presque fatal, de bien des minorités. La séparation peut fort bien mener à la domination ou à un sentiment d’élection, d’où est tiré le mot « élite ».
Cette élite a le choix de servir ou de dominer.
Le choix entre le modèle du Christ lavant les pieds de ses disciples, s’offrant en nourriture et mourant sur la croix, et sa caricature inverse. Grisée du sentiment du devoir, de supériorité, de séparation du monde, elle peut devenir arrogante, menteuse, secrète, dissimulée. Sous couvert, comme il arrive presque toujours, de charité, de responsabilité, de devoir.
Ce dernier modèle d’élite s’est, lui aussi, séparé du monde et de sa complexité. Ses discours sont clairs, aussi clairs que ceux de la population générale. Deux simplismes s’affrontent.
À l’inverse, le Christ personnifie l’élite, cette fine fleur autour de qui le monde conspire au sens étymologique. Il n’est pas séparé. Il est le ferment.
Le Christ n’est pas complexe. Il n’est pas simpliste non plus. Il est simple ; il se situe plus exactement en deçà ou au-delà du mélange. Parole de Dieu, lui seul peut nommer et dissocier le bon gain de l’ivraie. Ôtez le Christ et on retombe dans le complexe, la confusion ou le simplisme. C’est la demeure du diable, du diviseur (du grec dia-ballein, jeter en travers). Le vrai s’y effiloche en paillettes au chatoiement séduisant.
Une élite qui manque à ses devoirs
Concrètement, dans un contexte de mondialisation outrancière, de fonte des frontières culturelles, d’obligation d’inclusivité tous azimuts, d’utopie planétaire dont ne profite qu’une minorité, la tentation pour une élite est alléchante : si la possibilité s’offre à moi de voyager, de m’enrichir, de donner des conférences aux quatre coins du globe, d’influencer des lecteurs à 15 000 km de chez moi par une simple publication virtuelle, de quelle étoffe morale suis-je fait pour résister à cette grisante dilatation du moi ?
Et puis, pour maintenir ce mirifique manège dont les places sont limitées, quoi de mieux que de lancer à la plèbe quelques théories bâclées, quelques slogans, quelques anathèmes, quelques épouvantails ?
La pandémie n’a fait qu’accentuer cette tendance.
Si la colère populaire se trompe de cible, elle n’en est pas moins fondée.
Pour sa part, Joe Six-Pack aime les choses simples, car sa vie est déjà assez difficile avec les restrictions liées à la crise sanitaire.
Il est fatal que Six-Pack, qui n’est ni théologien ni psychologue, qui ne connait ni Orwell ni Kafka, réduise la complexité du monde selon les quelques pauvres catégories qui sont les siennes. Après tout, quidquid recipitur ad modum recipientis recipitur, disait saint Thomas d’Aquin (tout ce qui est reçu l’est sur le mode du récepteur). Ne comprenant pas la complexité, il dit souvent des âneries qui peuvent passer pour une expression de fascisme.
L’élite est mieux à même de comprendre le complexe et les multiples insinuations diaboliques qui s’y infiltrent. Si elle ne s’obsède que d’elle-même, ce qui est souvent le cas depuis longtemps, le peuple suppléera au vide avec toute sa maladresse et ses approximations, occupé qu’il est à tenter de vivre le plus honnêtement possible dans un monde qui lui échappe.
Une colère fondée
Comment alors ne pas soupçonner les gâtés du système et ne pas voir dans les admonestations politiques, morales, sanitaires et médiatiques, une variation supplémentaire sur le thème de la spoliation du peuple sous de faux prétextes ?
Le complotisme est une idée simpliste, mais son apparition a un sens.
Si la colère populaire se trompe de cible, elle n’en est pas moins fondée. Il est méprisant et contreproductif d’imaginer pouvoir se débarrasser de cette paranoïa d’intensité croissante par une simple moquerie ou un simple dénigrement dont les esprits élitistes, dans les médias notamment, ont le secret. Il faut au contraire prendre acte du fait que le monde est un mélange, de par sa nature déchue, qui en fait le terrain de jeu du mal et du bien.
C’est la fonction d’une élite d’embrasser et d’assumer celle-ci pour faire apparaitre la simplicité, au profit du peuple.
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Source: Lire l'article complet de Le Verbe