Le 22 décembre dernier, une décision du juge des référés du Conseil d’Etat affirme que l’attestation de déplacement dérogatoire, dont les Français ont dû se munir pour sortir de leur domicile pendant les confinements acte I au printemps et acte II à l’automne, n’avait aucun caractère obligatoire.
La Haute juridiction a rejeté la demande d’annulation du décret, cependant le Conseil d’Etat affirme dans le paragraphe 6 que la sortie dérogatoire pouvait être justifiée par tout document comme une attestation d’employeur.
Rappelons que les forces de l’ordre ont procédé à 20,7 millions de contrôles et dressé 1,1 million de contraventions, a indiqué le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner en mai 2020.
La majorité d’entre elles ont sanctionné un défaut d’attestation de déplacement. A 135 euros l’amende, ce serait plus de 135 millions qui serait tombés dans les caisses de l’Etat sans une once de caractère obligatoire.
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ANNEXE : DECISION CONSEIL D’ETAT statuant au contentieux 439956 le 22 décembre 2020
Par une requête enregistrée le 3 avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. Vincent Jonquières demande au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.
Vu les autres pièces du dossier ; Vu :
– la Constitution ;
– le code de la santé publique ;
– la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
– le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;
– le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Réda Wadjinny-Green, auditeur,
Considérant ce qui suit :
I. L’émergence d’un nouveau coronavirus (covid-19), de caractère pathogène et particulièrement contagieux, et sa propagation sur le territoire français ont conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, par plusieurs arrêtés à compter du 4 mars 2020, des mesures sur le fondement des dispositions de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique. Par un décret du 16 mars 2020 motivé par les circonstances exceptionnelles découlant de l’épidémie de covid-19, modifié par un décret du 19 mars 2020, le Premier ministre a interdit le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve d’exceptions limitativement énumérées et devant être dûment justifiées, à compter du 17 mars à 12h, sans préjudice de mesures plus strictes susceptibles d’être arrêtées par le représentant de l’Etat dans le département. Le législateur, par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, a déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020. Par un décret du 23 mars 2020 pris sur le fondement de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique issu de la loi du 23 mars 2020, le Premier ministre a réitéré les mesures précédemment édictées tout en leur apportant des précisions ou restrictions complémentaires. M. Jonquières demande l’annulation pour excès de pouvoir de l’article 3 de ce décret.
II. Aux termes de l’article 3 du décret du 23 mars 2020 :
« I. – Jusqu’au 31 mars 2020, tout déplacement de personne hors de son domicile est interdit à l’exception des déplacements pour les motifs suivants en évitant tout regroupement de personnes :
1° Trajets entre le domicile et le ou les lieux d’exercice de l’activité professionnelle et déplacements professionnels insusceptibles d’être différés ;
2° Déplacements pour effectuer des achats de fournitures nécessaires à l’activité professionnelle et des achats de première nécessité dans des établissements dont les activités demeurent autorisées par l’article 8 du présent décret ;
3° Déplacements pour motifs de santé à l’exception des consultations et soins pouvant être assurés à distance et, sauf pour les patients atteints d’une affection de longue durée, de ceux qui peuvent être différés ;
4° Déplacements pour motif familial impérieux, pour l’assistance des personnes vulnérables et pour la garde d’enfants ;
5° Déplacements brefs, dans la limite d’une heure quotidienne et dans un rayon maximal d’un kilomètre autour du domicile, liés soit à l’activité physique individuelle des personnes, à l’exclusion de toute pratique sportive collective et de toute proximité avec d’autres personnes, soit à la promenade avec les seules personnes regroupées dans un même domicile, soit aux besoins des animaux de compagnie ;
6° Déplacements résultant d’une obligation de présentation aux services de police ou de gendarmerie nationales ou à tout autre service ou professionnel, imposée par l’autorité de police administrative ou l’autorité judiciaire ;
7° Déplacements résultant d’une convocation émanant d’une juridiction administrative ou de l’autorité judiciaire ;
8° Déplacements aux seules fins de participer à des missions d’intérêt général sur demande de l’autorité administrative et dans les conditions qu’elle précise. / II. – Les personnes souhaitant bénéficier de l’une de ces exceptions doivent se munir, lors de leurs déplacements hors de leur domicile, d’un document leur permettant de justifier que le déplacement considéré entre dans le champ de l’une de ces exceptions ».
III. En premier lieu, l’article L. 3131-15 du code de la santé publique dispose, dans sa rédaction applicable au litige, que : « I.- Dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : / 1° Restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par décret ; / 2° Interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé (…) / Les mesures prescrites en application des 1° à 10° du présent article sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires ». Aux termes des troisième et quatrième alinéas de l’article L. 3136-1 du même code : « La violation des autres interdictions ou obligations édictées en application des articles L. 3131-1 et L. 3131-15 à L. 3131-17 est punie de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe. Cette contravention peut faire l’objet de la procédure de l’amende forfaitaire prévue à l’article 529 du code de procédure pénale. Si cette violation est constatée à nouveau dans un délai de quinze jours, l’amende est celle prévue pour les contraventions de la cinquième classe. / Si les violations prévues au troisième alinéa du présent article sont verbalisées à plus de trois reprises dans un délai de trente jours, les faits sont punis de six mois d’emprisonnement et de 3 750 € d’amende »
IV. Il résulte des dispositions du 1° et du 2° du I de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique précitées que le Premier ministre pouvait, dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire était déclaré à la date du décret attaqué, sur le fondement des pouvoirs qui lui étaient reconnus dans le cadre de ce régime, à la fois interdire aux personnes de sortir de leur domicile sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé et réglementer les conditions de leur circulation. L’obligation pour les personnes souhaitant bénéficier des exceptions à l’interdiction de sortir de se munir d’un document leur permettant de justifier que leur déplacement relevait de ces exceptions était au nombre des mesures qu’il pouvait édicter à ce titre. Dès lors, si en application des dispositions précitées de l’article L. 3136-1 du code de la santé publique, la violation des interdictions et obligations édictées en application des articles L. 3131-1 et L. 3131-15 à L.
3131-17 du même code peut être sanctionnée, en cas de réitération dans les conditions qu’elles prévoient, par une peine délictuelle, M. Jonquières n’est pas fondé à soutenir que le Premier ministre aurait excédé sa compétence en édictant sans base légale une obligation dont la méconnaissance était susceptible d’être sanctionnée par une peine délictuelle.
V. En deuxième lieu, aux termes du III de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique : « Les mesures prescrites en application du présent article sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires. ». Eu égard, d’une part, aux circonstances exceptionnelles dans lesquelles a été adopté le décret attaqué, caractérisées par une augmentation rapide de la circulation du virus, une possible saturation, à brève échéance, des structures hospitalières à l’échelle nationale, qui a conduit au transfert de patients entre régions et vers des pays voisins ainsi qu’à la déprogrammation d’hospitalisations non urgentes, des difficultés dans le traitement des chaines de contamination et pour le respect des gestes barrières en raison de l’insuffisance du nombre de tests, qui ne permettait pas d’identifier les personnes asymptomatiques, et de la pénurie de masques chirurgicaux et FFP2 et, d’autre part, aux dérogations prévues pour les déplacements répondant à des besoins de première nécessité ainsi qu’au caractère strictement circonscrit dans le temps de l’interdiction de sortir, une telle interdiction comme l’obligation de se munir, pour tout déplacement, d’un document justifiant que celui-ci relevait des exceptions prévues ne présentaient pas, à la date à laquelle elles ont été édictées et au regard de l’objectif de protection de la santé publique poursuivi, un caractère disproportionné, malgré la gravité de l’atteinte ainsi portée à la liberté d’aller et venir.
VI. En dernier lieu, l’obligation, pour les personnes souhaitant bénéficier des exceptions à l’interdiction de sortir, de se munir d’un document leur permettant de justifier que leur déplacement entrait bien dans le champ de ces exceptions ne prévoit aucun formalisme particulier, de sorte que tout document apportant des justifications équivalentes peut être produit à cette fin. L’obligation de se munir d’un tel document, qui est dépourvue d’ambigüité et contribue à garantir le respect des mesures de confinement, ne conduit donc pas, contrairement à ce qui est soutenu, à méconnaître les principes de légalité des délits et des peines et de nécessité des peines.
VII. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de M. Jonquières doit être rejetée
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D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. Jonquières est rejetée
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Jonquières et au ministre des solidarités et de la santé. Copie en sera adressée au Premier ministre et au ministre de l’intérieur.
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