« Démagogue: celui qui prêche des doctrines qu’il sait être fausses à des hommes qu’il sait être des idiots. », H.L. Mencken (1880-1956), journaliste et essayiste américain, (dans ‘Minority Report’, 1956, p. 207).
« Le fascisme: une forme d’ultranationalisme autoritaire d’extrême droite, qui se caractérise par un pouvoir dictatorial, une forte répression de l’opposition et une grande régulation de la société et de l’économie. », Robert O. Paxton, ‘L’anatomie du fascisme’, 2005, p. 32.
[Démocratie:] « … et ce gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple, ne périra pas de la Terre. ». Abraham Lincoln (1809-1865), 16è président des États-Unis, 1861-1865, dans son discours de Gettysburg, le 19 novembre 1863.
Ce mercredi 6 janvier 2021, le monde a pu observer, dans la capitale américaine de Washington DC, le laid visage du fascisme totalitaire en action quand une foule de voyous pro-Trump, excitée et enflammée par un discours colérique du président sortant Donald Trump, a pris d’assaut et saccagé le Capitole américain, dans une tentative évidente de provoquer un coup d’État. C’est sans doute le moment le plus scandaleux de la présidence chaotique de M. Trump, une présidence qui se termine par une tentative d’attiser les feux d’une insurrection dans un vain espoir de s’accrocher à tout prix au pouvoir.
Il faut cependant mettre cet évènement inédit aux États-Unis en perspective. En effet, c’est l’ensemble du mandat de Donald Trump qui a mené à ce désastre.
À peine quelques semaines après son investiture, voici ce que j’écrivais sur M. Donald Trump et sur ce à quoi on devait s’attendre de sa présidence, dans un article intitulé : « Le gouvernement impérial américain de Donald Trump : une menace pour la démocratie américaine et un facteur de chaos pour le monde ? » :
« Le 8 novembre 2016, 46,1% des électeurs Américains votèrent en faveur d’un magnat de l’immobilier, Donald Trump (1946- ), pour devenir président des États-Unis. Ce faisant, ils ne savaient pas exactement ce à quoi ils s’engageaient,… Les Américains ne s’attendaient certainement pas à ce que le « changement » promis par le candidat républicain à la présidence soit si chaotique. »
Comme l’avenir l’a amplement révélé, le président Donald Trump a effectivement été une menace pour la démocratie américaine et une source de chaos pour le monde.
En 2019-2020, le Sénat américain sous la houlette du parti républicain aurait pu condamner Donald Trump pour ses abus de pouvoir, après que la Chambre des Représentants l’eut officiellement destitué. Le rapport complet du procureur spécial Robert Mueller avait mis en évidence de nombreux exemples d’abus de pouvoir et d’obstruction à la justice de la part de M. Trump. Mais, par opportunisme partisan évident, le Sénat à majorité républicaine a plutôt choisi de l’acquitter, en février 2020. Ce faisant, ces sénateurs républicains ont manqué à leur devoir en plaçant les intérêts de leur parti au-dessus des intérêts de leur patrie. C’est finalement aux électeurs américains qu’a échoué la tâche de destituer Donald Trump, et c’est exactement ce qu’ils ont fait par leurs suffrages, le 3 novembre 2020.
Depuis le 3 novembre dernier, le comportement du mégalomane qu’est Donald Trump est aussi odieux et déstabilisant qu’il l’a été depuis qu’il est entré inopinément à la Maison Blanche. Cela fait, en effet, plusieurs semaines, après sa défaite aux urnes, qu’il s’emploie, par tous les moyens, à contester l’élection du vice-président Joe Biden, en invoquant de fausses allégations de fraude électorale, toutes rejetées par les autorités des cinquante états américains et par les tribunaux. Rappelons que M. Biden a remporté le vote populaire par plus de sept millions de voix et ceux du Collège électoral américain avec une marge de 306-232 grands électeurs, soit une majorité de 56,9 pourcent. Maintenant, cette mise en scène disgracieuse heureusement tire à sa fin et Joe Biden sera le 46e président des États-Unis.
Au cours de son mandat, Donald Trump n’a pas fait la preuve qu’il pouvait être un dirigeant compétent. Il a plutôt tenté d’introduire une règle autocratique dans la politique américaine. S’il avait été réélu pour un second mandat, il y a fort à parier qu’il aurait été impossible de l’empêcher de gouverner en autocrate, ce qui aurait sérieusement mis à l’épreuve les institutions démocratiques américaines. Le fait qu’il n’ait pas réussi dans son projet est de nature à réjouir toute personne qui valorise la démocratie.
On est en droit de s’interroger sur le bilan politique global de Donald Trump.
• Au cours des mois qui ont suivi l’élection, le président Donald Trump a négligé son rôle de chef d’État
À titre d’exemple, à la veille de Noël 2020, le président sortant décida de jouer au grincheux. Vexé que des sénateurs tant républicains que démocrates se soient entendus sur un projet de loi d’assistance de 900 milliards de dollars à l’économie, le président Trump refusa d’entériner l’entente. Ce faisant, il mettait en péril 14 millions de familles américaines dont les prestations d’assurance chômage venaient à échéance, et il plongeait son pays dans une importante crise humanitaire. Puis, brusquement, quelques jours après Noël, Trump se ravisa et il signa le projet de loi, mettant fin à une crise qu’il avait lui-même créée de toute pièce.
De la même manière, Donald Trump se mit à gracier une foule de personnes de son entourage, condamnées par les tribunaux. En date du 25 décembre, 94 personnes avaient déjà profité du pardon présidentiel. Le hic c’est que parmi celles-ci se trouvaient des meurtriers, ce qu’aucun autre président américain n’avait fait auparavant.
• Donald Trump a fait plus que quiconque pour diviser le peuple américain au cours du dernier siècle et demi
Sous le règne de Donald Trump, les États-Unis se sont affaiblis et sont plus polarisés qu’ils ne l’ont été depuis des décennies. Il faut dire que les nouvelles technologies de l’information favorisent une telle division, (et cela dans tous les pays), car elles permettent aux gens de s’isoler dans leurs propres univers informatique. Cependant, par ses discours enflammés et ses mensonges, Donald Trump a monté les groupes les uns contre les autres, et il a nourri cette polarisation et cette désintégration.
• Donald Trump a corrompue la justice américaine à l’extrême en nommant des centaines de juges d’extrême droite
On a observé que les personnes nommées par Donald Trump à la magistrature se distinguent des autres juges en poste par leurs opinions ultra conservatrices, même par rapport à celles de juges nommés par d’autres présidents républicains. Cela pourrait avoir un effet durable et corrosif sur le système judiciaire pendant des générations à venir.
• Loin de réduire la corruption dans l’espace public comme il l’avait promis, Donald Trump l’a intensifiée
En 2016, le candidat Trump avait promis de « drainer le marais » de la corruption dans la politique américaine. Non seulement il n’a pas tenu parole, mais il a empiré les choses. Certains analystes concluent même qu’il a été le président « le plus corrompu » de l’histoire des États-Unis.
• Confronté à la pire pandémie depuis un siècle, Donald Trump a échoué
Concernant la gestion de la crise de la pandémie du Covid-19, Donald Trump n’a pas été à la hauteur. On peut même dire qu’il a échoué. Le président a commencé par nier qu’il y avait même une crise. À ses dires, ce n’était qu’une « grippe ordinaire ». Puis, lorsqu’il est devenu impossible de nier la réalité, M. Trump a déclaré que la crise pandémique était un « coup monté » par ses adversaires démocrates. Même après qu’un vaccin fut disponible, le programme public de vaccination aux États-Unis a été un échec et a fait l’objet de nombreuses critiques.
• Donald Trump a accentué les inégalités de revenu et de richesse aux États-Unis et les a poussés à des niveaux records
Le gouvernement de Donald Trump, en déréglementant à gauche et à droite et en octroyant d’énormes réductions d’impôts aux contribuables les plus riches, a beaucoup fait pour exacerber les inégalités de revenus et de richesse aux États-Unis. Les données officielles indiquent que l’inégalité des revenus est la plus élevée jamais enregistrée. C’est également la plus prononcée par rapport à ce que l’on observe dans les autres économies avancées.
Ainsi, les États-Unis enregistrent des disparités de richesse les plus importantes entre riches et pauvres que tout autre grand pays développé. Aujourd’hui, la richesse aux États-Unis est aussi fortement concentrée entre les mains d’une petite minorité de la population qu’elle ne l’a jamais été.
• Le dossier des politiques de l’administration Trump en matière d’environnement a été tout simplement lamentable
Le 1er juin 2017, lorsque Donald Trump a officiellement retiré les États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat de 2015, il a carrément placé son gouvernement du mauvais côté de l’histoire. Cela pourrait être la décision la plus irresponsable que Trump ait prise au cours de son mandat. En contrepartie, le président élu Joe Biden a promis de rejoindre l’Accord de Paris au premier jour de son mandat.
M. Trump a adopté une foule d’autres mesures dommageables à l’environnement. Ainsi, en date du milieu de l’année 2020, le gouvernement Trump avait annulé 64 règles et réglementations de nature environnementale.
• La politique étrangère américaine sous Trump a été isolationniste, militariste, destructrice et une source de division
Le président Trump a unilatéralement retiré les États-Unis des principaux traités négociés par les administrations américaines précédentes, le plus souvent sans consulter le Congrès, ni ses alliés.
Outre la sortie du traité de Paris sur le changement climatique mentionnée ci-haut, l’administration Trump s’est aussi retirée de l’Accord sur le nucléaire iranien. Elle s’est également retirée du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FIN) avec la Russie. M. Trump a aussi souvent ignoré les Nations unies, affaiblissant ainsi le rôle de cette institution dans le maintien de la paix dans le monde.
Il est vrai qu’une guerre majeure contre l’Iran, le Venezuela ou la Chine a été évitée. Mais par ses provocations et par sa politique agressive envers plusieurs pays, Donald Trump a semé les graines d’une guerre importante à l’avenir, en particulier avec la Chine à propos de Taiwan et d’autres frictions.
• Le départ chaotique et scandaleux de Donald Trump de la Maison Blanche est une tentative de sabotage de la future présidence de Joe Biden
Au cours des semaines qui ont suivi sa défaite électorale, en adoptant un comportement digne d’une république bananière et en violation de son serment d’office de faire respecter la Constitution américaine, le président Donald Trump a carrément refusé de concéder publiquement l’élection de l’ancien vice-président Joe Biden. Ce faisant, Donald Trump a montré à quel point il pouvait être mesquin et un mauvais perdant.
Cela a été amplement démontré le 2 janvier dernier, lorsqu’à la surprise générale, le président étasunien a téléphoné au secrétaire d’État géorgien, le républicain Brad Raffensperger, pour l‘exhorter, en le menaçant, de « lui trouver les 11 780 voix » qu’il lui manquait pour faire annuler le résultat électoral officiel dans cet État. (N.B. : M. Trump a initialement perdu la course présidentielle en Géorgie face au président élu Joe Biden par 11779 voix; cependant, le résultat, après un dernier recomptage, est qu’il a perdu par 12 670 voix.)
Le Washington Post a publié l’enregistrement de cet appel, lequel a été reprit par tous les journaux. Il montre un Donald Trump en train de faire ouvertement pression sur un fonctionnaire en exercice afin qu’il triche et invente des votes pour lui faire plaisir. Ce fut là, en effet, une tentative désespérée, et peut-être même illégale, de la part du président américain pour invalider le processus électoral et faire renverser le résultat des élections du 3 novembre. Heureusement, M. Raffensperger ne s’est pas rendu à sa demande.
Et, qui plus est, les tribunaux américains ont catégoriquement rejeté presque toutes les contestations juridiques de Trump contre les résultats des élections de novembre. Sa dernière tentative dans l’État de Géorgie a même été considérée absurde et rien d’autre qu’une crise fabriquée de toute pièce.
Si Donald Trump avait intentionnellement voulu saboter et saper la présidence de Biden en refusant de reconnaître les résultats officiels des élections de novembre, il n’aurait pas agi autrement. Ce faisant, cependant, M. Trump a créé un dangereux précédent. Ses crises de colère et ses nombreuses contestations judiciaires ont fait beaucoup pour délégitimer le processus électoral américain. Tout cela a porté atteinte à la réputation des États-Unis dans le monde et a jeté du discrédit sur la démocratie américaine.
Le lundi 28 décembre 2020, même un fervent partisan de Donald Trump, le journal New York Post, a titré un éditorial avec un message à Donald Trump des plus clair: « Monsieur le Président … ARRÊTEZ CETTE FOLIE ».
Cela dit tout!
Conclusion
La conclusion est incontournable. L’héritage politique du président Donald Trump est un tas de gravats.
Le peuple américain était plus que justifié de voter contre M. Trump en novembre 2020. En 2016, il ne méritait pas vraiment d’être élu en premier lieu, puisqu’il a obtenu 3 millions de voix de moins que sa rivale démocrate, Mme Hillary Clinton.
L’affichage pathétique dont Donald Trump a fait preuve après sa défaite électorale, en s’accrochant ouvertement au pouvoir, montre bien qu’il est entré en politique non pas pour servir mais simplement pour plaire à son énorme ego. Ce n’est pas le genre de politicien dont une démocratie a besoin. Le pire crime politique de Donald Trump aura été d’avoir introduit la violence dans la politique américaine, et cela pour son seul avantage personnel.
Si M. Trump connaissait un peu d’histoire, il aurait pu imiter le président sortant Grover Cleveland (1837-1908). Ce dernier, après avoir remporté le vote populaire lors des élections de 1888, mais perdu le collège électoral aux mains du sénateur républicain Benjamin Harrison (1833-1901) écrivit néanmoins une lettre personnelle au président élu Harrison « pour vous assurer de ma volonté de tout faire en mon pouvoir de rendre votre accession à la fonction facile et agréable. »
Mais aujourd’hui, le mal est fait. Le nom de Donald Trump sera à jamais associé à la démagogie, à la violence et à l’anarchie.
Prof. Rodrigue Tremblay
Le Prof. Rodrigue Tremblay est professeur émérite d’économie à l’Université de Montréal et lauréat du Prix Richard-Arès pour le meilleur essai en 2018 « La régression tranquille du Québec, 1980-2018 », (Fides). Il est titulaire d’un doctorat en finance internationale de l’Université Stanford.
On peut le contacter à l’adresse suivante : [email protected].
Il est l’auteur du livre du livre « Le nouvel empire américain » et du livre « Le Code pour une éthique globale », de même que de son dernier livre publié par les Éditions Fides et intitulé « La régression tranquille du Québec, 1980-2018 ».
Site Internet de l’auteur : http://rodriguetremblay.blogspot.com/
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