par Bertrand Hartemann.
Face aux ambitions des géants du numérique, les banques centrales explorent activement le potentiel des crypto-monnaies souveraines. La Chine teste un yuan numérique tandis que les États-Unis, l’Europe et le Japon sont en phase d’exploration. Cette indispensable reconquête du bien commun monétaire pourrait être le prochain terrain d’affrontement entre Washington et Pékin.
La plupart des banques centrales ont réagi à la montée des crypto-actifs, dont le Bitcoin, avec un mélange de scepticisme et de curiosité. L’ambition affichée par Facebook, en 2019, de créer sa propre crypto-monnaie marque un point de rupture. Elle s’inscrit dans une stratégie de monétisation systématique des échanges de biens informationnels. Dans ce contexte, les projets de monnaies digitales des banques centrales (MDBC) se multiplient. Il s’agit pour les États de reconquérir la monnaie comme matrice de valeur totale structurant le lien social. Le yuan numérique, déjà testé dans plusieurs grandes villes de Chine, pourrait être lancé à grande échelle lors des Jeux Olympiques d’hiver de Pékin en 2022.
Une reprise en main de l’outil monétaire
De prime abord, la digitalisation de la monnaie fiduciaire est de nature à conjuguer le caractère innovant des crypto-monnaies avec la stabilité d’une monnaie d’État. Les MDBC de détail promettent un accès universel et une transmission de pair-à-pair sans intermédiation bancaire. La monnaie numérique chinoise participe d’une volonté de contenir le pouvoir de marché des géants du numérique. Billets et pièces ont déserté les porte-monnaie des ménages chinois au profit des applications de paiement en ligne AliPay et Wechat Pay. Elles se sont construites comme de simples intermédiaires entre les banques et les utilisateurs, placées en dehors des règles prudentielles. Mais le volume de transactions traitées atteint désormais des niveaux systémiques.
La diffusion du crypto-yuan se fera en deux temps. La Banque centrale chinoise émettra d’abord de la monnaie numérique aux banques commerciales, qui la rendront ensuite disponible aux particuliers. Au moins dans un premier temps, les institutions financières seront tenues de maintenir un ratio de réserve de 100% sur la monnaie, empêchant tout risque de spéculation. Conçu comme une monnaie fiduciaire, le yuan numérique ne produira pas d’intérêt et ne se substituera pas aux dépôts bancaires.
Sur le plan de la politique monétaire, l’impact de la Banque centrale s’en trouvera renforcé. À la suite de la crise de 2008, la masse monétaire nouvellement créée est restée dans le système financier alimentant des bulles spéculatives plutôt que de relancer l’économie réelle. Le yuan numérique permettra au contraire d’alimenter directement l’économie réelle et de répercuter les changements de taux directeurs sans intermédiation bancaire. Des taux d’intérêts négatifs pourront même être appliqués pour décourager la thésaurisation et relancer la consommation. Devenue programmable, la monnaie numérique permettra de relancer de manière ciblée certains secteurs économiques au moyen de taux d’emprunt modulables. Il est cependant à craindre qu’elle ne participe d’une omni-surveillance. Ce contrôle financier ne manquera pas de renforcer le système de crédit social visant à identifier et sanctionner les citoyens et entreprises ne respectant pas les normes.
Un soutien à l’internationalisation du yuan
L’innovation financière présente une dimension géopolitique. En 1944, les accords de Bretton Woods consacrent l’hégémonie du dollar. Le billet vert intervient encore aujourd’hui dans plus de la moitié des transactions internationales. Il constitue un point d’ancrage pour les politiques monétaires de nombre de pays, obligeant les banques centrales à disposer de réserves abondantes en dollars.
Washington domine aussi largement le système de paiement interbancaire SWIFT, facilitant les virements à l’international. Cette infrastructure permet aux autorités américaines de contrôler les flux et d’imposer si besoin des sanctions.
De son côté, les efforts de la Chine pour donner au yuan une dimension internationale ont eu jusqu’à présent des résultats limités. Sa croissance économique, depuis son adhésion à l’OMC en 2001, lui a permis d’atteindre le statut de puissance exportatrice, sans pour autant remettre en cause le règne du dollar. En 2016, la monnaie chinoise entre dans le panier de devises détenue par le Fonds monétaire international. Mais le yuan ne représente encore qu’une part marginale des réserves de change mondiales.
Vu sous cet angle, le développement du crypto-yuan revêt une importance géopolitique certaine. Couplé à l’infrastructure logistique des « nouvelles Routes de la Soie », il permettra à Pékin d’étendre son influence en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie du Sud-Est. Le lancement à grande échelle de ce projet marquera une nouvelle montée en puissance de la Chine dans la globalisation. Indépendant du système financier actuel, il pourrait permettre à certains gouvernements de contourner la puissance coercitive des États-Unis. On peut ainsi imaginer l’Iran échapper aux sanctions commerciales américaines en transférant ses avoirs via le yuan numérique. Programmable et traçable, il sera un outil de surveillance et de contrôle des capitaux. Alors que le bras de fer entre la Chine et les États-Unis monte toujours plus en régime, un nouveau point de crispation se fera certainement un jour.
source : https://asialyst.com/fr/
Source : Lire l'article complet par Réseau International
Source: Lire l'article complet de Réseau International