Le quartier Saint-Michel, ou Quartier latin (en référence au « pays latin » qu’était l’université au XVIIe siècle), à cheval sur les Ve et VIe parisiens, est en 1978 un croisement entre une Histoire millénaire et une faune de voyous de souche, de zonards de banlieue et de hippies de partout. S’y retrouvent les routards qui partent ou qui reviennent de loin. Dans ces rues étroites et sur ces places historiques, on y drague l’étudiante (en Lettres) de bonne famille, mais on n’oublie pas la rombière qui cherche du jeune mec.
Saint-Michel, le quartier « jeune » depuis les manifs de Mai 68 – alors le cœur de l’agitation étudiante avec Nanterre –, vire dans les années 80 en zone de bas tourisme, avec ses faux restaurants grecs et ses racoleurs. Les cinémas indépendants fermeront les uns après les autres. Il ne reste plus rien de typique, même Gibert Jeune et Joseph Gibert fusionneront…
En 1978, les derniers survivants de la route vers l’Inde ou le Népal sont revenus, certains sont restés là-bas, pour toujours ; les enfants de bourgeois qui avaient les moyens sont eux revenus en avion, pour rentrer dans la banque ou l’entreprise de papa. Les prolos qui ont cru au grand rêve de liberté ont coché les cases HP et galère. Ils ont fini par zoner dans les rues pavées qui avaient servi à édifier les barricades, pour vendre de l’héro archi-coupée ou du thé vert en guise d’herbe.
La génération suivante, dite des années 80, sera celle des habitants furtifs des Halles, des nouvelles halles qui remplaceront Le Ventre de Paris décrit par Zola. Des Halles mal famées (punks français en attente de concert, racailles défoncées à la colle, rockers alcoolos, putes de Saint-Denis) mais en avance sur leur temps, avec les premiers danseurs de hip-hop, les grapheurs et autres lanceurs de tendances.
La mode version Gaultier s’inspirera de la rue et habillera jusqu’aux stars du disco. Ensuite, la branchitude se déplacera vers le Marais, avec l’explosion du Paris gay. Entre-temps, les punks auront fait leur percée, mais ils étaient trop peu pour marquer tout un quartier de leur empreinte. Comme les skinheads qui se rassemblaient entre le XIIIe ou les Halles, ce centre du Paris jeune, que les zoulous et autres « black dragons » (on n’en a pas croisés beaucoup) faisaient semblant de pourchasser.
La ville-lumière, quatre décennies plus tard, s’est muée en ville morte, avec à sa tête une femme de paille qui multiplie les monuments hideux, les pissotières pour exhibs et les incendies d’églises pour promoteurs. Il ne reste plus que l’hyperclasse volage et ses esclaves, le personnel de service, comme au Moyen-âge, avec rien au milieu ou presque, sinon les commerçants, les hôteliers et les restaurateurs.
La vie nocturne se concentre dans les boîtes du VIIIe, en haut des Champs, là où les racailles enrichies dans la came ramènent leurs gazelles pour faire du rab de fric dans la prostitution. Les pauvres (mecs) n’y entrent quasiment plus, l’esprit Palace est terminé, seuls les riches peuvent encore s’amuser. Paris est verrouillé à triple tour, les jeunes y sont persona non grata, sauf pour faire les boutiques.
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