Votre serviteur partant se faire un petit « 3000 » pour préparer l’éminent sommet qui l’attend bientôt, la deuxième partie du billet sur l’inexorable montée en puissance sino-russe devra attendre quelques jours. Patience, chers lecteurs…
Aujourd’hui, un sujet sans doute moins dense mais tout aussi intéressant. L’arrivée, très vraisemblable maintenant, de Biden à la Maison Blanche pourrait en effet avoir d’intéressantes conséquences sur les BRICS et leur redonner un second souffle.
On sait qu’après l’âge d’or de la mi-décennie, l’organisation a connu quelques vicissitudes, comme nous l’expliquions fin 2016 :
Aujourd’hui à Goa s’est ouvert le sommet annuel des BRICS. Des décisions considérables, des changements tectoniques s’y font habituellement jour, mais le sommet de cette année est quelque peu particulier et pose autant de questions qu’il n’apporte de réponses. Dans sa tentative désespérée (et, à terme, vaine) de conserver son hégémonie, l’empire semble avoir en l’occurrence réussi à partiellement casser la dynamique de développement des BRICS. L’une des rares victoires dont peut se prévaloir Washington ces derniers temps…
Le Brésil a été retourné par un coup d’Etat constitutionnel et la multipolaire Dilma a été poignardée dans le dos par son Brutus à elle, l’informateur de l’ambassade US Michel Temer. Il sera d’ailleurs amusant de voir ce bon petit pion du système impérial côtoyer Poutine ou Xi Jinping, même si une surprise n’est pas impossible. D’autre part, l’aigle essaie depuis des années et avec abnégation de détacher l’Inde du camp eurasien et de la placer sous l’égide de la pax americana. Aussi attend-on moins de ce sommet que de ceux qui l’ont précédé.
Le débarquement en fanfares du Donald n’a évidemment rien fait pour arranger les choses, brouillant sérieusement les pistes :
A l’instar de ce qu’il a fait sur la scène américaine où il a transcendé les habituels clivages politiques, le Donald risque de faire la même chose sur le plan international. Ses prises de position n’entrent en effet dans aucun schéma actuel (…) et l’on pourrait assister à une nouvelle donne internationale assez complexe.
Ainsi, l’élection du trumpophile (plus qu’américanophile) Bolsonaro au Brésil et l’excellente relation personnelle entre la Houppette blonde et Modi ont quelque peu mis à mal l’unité des BRICS. Pour le plus grand plaisir du Deep State, qui détestait si ouvertement son président mais le trouvait quand même parfois bien utile…
Paradoxalement, une présidence Biden, pourtant chouchou de l’Etat profond, pourrait changer la donne. C’est particulièrement vrai pour le Brésil, comme nous le prédisions en octobre :
Les élections de 2022, encore lointaines certes, pourraient ne pas voir de grand changement. Lula a indiqué qu’il ne se représenterait pas et l’on ne voit aucun leader apparaître au sein du Parti des travailleurs. De son côté, malgré sa gestion quelque peu folklorique de la pandémie, Bolsonaro n’a rien perdu de sa popularité et est déjà en tête des sondages.
Toutefois, la trajectoire que prendra Brasilia dépendra également en partie du résultat des élections états-uniennes. Entre Biden et Bolsonaro, ça n’a jamais été le grand amour et une victoire du Démocrate pourrait, mécaniquement, pousser le géant sud-américain à s’aligner un peu plus sur ses voisins.
On sait que le sieur Jair, malgré son tropisme trumpien, a parfois eu de bien curieux comportements par rapport à ce que Washington serait en droit d’attendre d’un allié. L’arrivée d’un Biden à la Maison Blanche pourrait accentuer la tangente.
Nous sommes aujourd’hui rejoints dans notre constat par une analyse qui entrevoit des relations assez sportives entre les géants des deux Amériques. Le mois dernier, Bolsonaro a mis les pieds dans le plat en évoquant ouvertement la fraude Démocrate et en parlant d’accueillir Biden avec de la « poudre à canon ». Ambiance ambiance…
De son côté, Joe l’Indien menace régulièrement Brasilia de sanctions sur le dossier amazonien alors qu’il laisse l’Australie, grande défricheuse devant l’éternel, absolument tranquille, ce qui semble indiquer que le futur occupant de la Maison Blanche est plus occupé à cibler Bolsonaro qu’à protéger les arbres. Toujours est-il que ces bisbilles pourraient conduire le Brésil à revenir prendre sa place de manière plus affirmée dans la grande maison en BRICS.
Le cas de l’Inde est différent. Contrairement à son homologue brésilien, Modi a, malgré sa bonne relation avec le Donald, très vite félicité Biden et appelé à renforcer les liens entre les deux pays. On sait que New Delhi joue une partition toute personnelle sur la scène internationale, ne souhaitant s’aligner sur personne et restant une subtile inconnue dans l’équation du Grand jeu, bien que les tensions avec la Chine poussent régulièrement l’Inde à regarder vers Washington.
Mais justement, dans cet éternel jeu des vases communicants, la pierre d’achoppement chinoise continue de dicter la relation entre l’empire et le sous-continent. Pour New Delhi, le calcul est en réalité assez simple : plus une administration américaine est hostile envers Pékin et Islamabad, plus l’Inde est proche des Etats-Unis. Et vice-versa !
Or, la traditionnelle stratégie « brzezinskienne » des Démocrates – se concentrer contre le Heartland russe et tenter d’en détacher le Rimland (donc, mécaniquement, être plus soft envers la Chine) – n’est pas la plus charmante qui soit aux oreilles indiennes, qui lui préfèrent largement un bon gros Républicain sinophobe à la Maison Blanche (Bush Jr. et surtout Trump).
De même, New Delhi a beaucoup apprécié la position tranchée du Donald sur le Pakistan, notamment la suppression de l’aide militaire. Moins critique, Biden, qui devrait d’ailleurs poursuivre le retrait US d’Afghanistan et donc s’appuyer sur Islamabad, est là encore considéré avec méfiance.
Ainsi, la nouvelle direction américaine pourrait, ô ironie de l’histoire, pousser l’Inde à reprendre bouche avec ses frères ennemis sur les grandes plateformes de la multipolarité (BRICS, OCS) pour y régler enfin leurs différends.
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