En septembre dernier, Gabriel et son épouse Florence ont tous deux publié un texte (« Spin Doctor » et « Tu n’auras jamais à être parfait ») dans lequel ils réagissaient à l’annonce de la venue de Cyrille, leur dernier enfant auquel on a diagnostiqué un spinabifida. Voici le compte rendu des derniers évènements.
Observer n’est pas un geste passif. Le regard porte un jugement, il agit sur le sujet auquel il s’intéresse. Fixez d’un air neutre une personne dans l’autobus pour voir.
Les premiers moments de notre vie se passent dans l’obscurité. À l’intérieur du ventre de notre mère. Hors de portée du regard des autres. Ce n’est peut-être pas pour rien.
Notre fils Cyrille, lui, a eu un début de vie mouvementé, placé sous les projecteurs. On lui a diagnostiqué un spinabifida à 20 semaines de grossesse. Il s’est donc mérité un suivi médical serré, avec plusieurs spécialistes penchés en permanence sur les images de ses échographies et sur sa résonnance magnétique existentielle. À peu près rien, jusqu’au liquide céphalorachidien coulant à l’intérieur de ses vertèbres, n’avait de secret pour personne. On pourrait qualifier sa cachette d’éventrée.
Nous avions un peu peur de son état […]. Des complications qui pouvaient survenir. Du temps qu’il faudrait passer à l’hôpital. Mais ces choses étaient secondaires. Nous avions hâte de le voir, lui, de poser nos yeux de parents sur ce petit étranger déjà fouillé par d’innombrables regards.
Avec tant de regards braqués sur lui, il est juste que sa naissance soit arrivée comme une surprise. Les membranes se sont rompues vers 3h du matin, quelques jours avant la date prévue de déclenchement. Il nous a provoqués, peut-être las d’être toujours le dindon de la farce.
Le temps de la latence
Dans la chambre d’hôpital, toutefois, ça a été long.
L’utérus ne semblait pas d’humeur à prendre sur lui le bluff de la poche des eaux. Ça a pris un bon 24h, montre en main et masque au visage. Nos impatiences et nos appréhensions ont été accompagnées de visites plus ou moins fréquentes du docteur, d’une infirmière surprenante et d’une amie sagefemme en congé.
Faut pas avoir peur des temps morts pour être sagefemme. Ni avoir l’épiderme sensible à l’élasticité du temps. Je n’ai jamais vu une sagefemme qui trouvait que ça n’allait pas assez vite. C’est peut-être parce qu’elles se doutent qu’il n’y a rien de jamais vraiment mort dans le temps qui passe. Dans la latence.
Le corps se prépare. Le bébé se prépare. L’esprit des parents se prépare.
Il n’y a pas que l’enfant qui vient au monde.
Lucidité et amour
La naissance rend visible ce qui était invisible, dans l’âme comme dans le corps. Je me suis rappelé que j’avais hâte de voir Cyrille, de le connaitre. Nous avions un peu peur de son état, aussi. Des complications qui pouvaient survenir. Du temps qu’il faudrait passer à l’hôpital. Mais ces choses étaient secondaires. Nous avions hâte de le voir, lui, de poser nos yeux de parents sur ce petit étranger déjà fouillé par d’innombrables regards.
J’ai souvent réalisé, pendant la grossesse, que si nous, ses parents, ne le protégions pas, personne n’allait le faire.
Bien sûr, ça touche à un nerf paternel particulièrement sensible. Faut savoir que 99 fois sur 100, ces grossesses sont interrompues. Rien de surprenant, étant donné la froideur de croquemort qui transpire de certains augures doctorisés. On n’a pas l’optimisme contagieux, disons, probablement pour ne pas susciter trop d’espoirs infondés. Reste que la lucidité n’est pas l’amour, et qu’on était dus pour passer à une autre étape.
Une vigueur étonnante
Ça a eu l’effet d’une secousse. Il est né dans la nuit, au milieu de douze personnes, blessé au dos, les pieds bizarrement repliés, mais vivant comme un cheval. On a eu l’attention de le donner à sa mère, le temps que je lui coupe le cordon, puis on l’a emmené dans l’unité néonatale, où il a reçu les soins dont il avait besoin.
Sa vigueur m’étonnait. Sa vie répondait à mon désir de le voir vivant. C’était un dialogue entre lui et moi, en dehors du champ d’action de la logique et de l’incertitude. Il est vivant, voilà ce qui est certain.
Le personnel du CHUL a été formidable, attentif et soucieux.
Pour l’instant, Cyrille déjoue les pronostics. Presque tous ses organes fonctionnent bien. La lésion étant assez basse dans la colonne vertébrale, seul ce qui est en dessous des genoux est paralysé. On nous dit toutefois qu’avec des prothèses adaptées et de la physio, il est raisonnable de penser qu’il pourra marcher. On doit garder à l’œil certains éléments de sa santé, mais il est déjà revenu à la maison, parmi ses semblables.
Chaque jour, sa vue nous rend joyeux. On se surprend parfois à l’observer. Immobiles, passifs, contemplatifs. Sans idée précise derrière la tête.
Heureux que Le Verbe existe ? Notre équipe vit d’amour, d’eau fraiche… et de café. Merci de nous aider en nous offrant l’équivalent du prix d’un café par jour !
Source: Lire l'article complet de Le Verbe