La fabrique de l’opinion

La fabrique de l’opinion

ALLAN ERWAN BERGER  — Je recycle ici divers éléments textuels semés un peu partout, et remis en forme d’une manière plus cohérente. J’utilise aussi quelques phrases ayant été écrites par d’autres, phrases que je ne mets pas toujours entre guillemets, que je remanie sans honte, et dont je ne nomme pas les auteurs. Car oui, moi aussi je sais faire le grand journaliste écrivain télégénique. Si vous avez la tête au jeu, essayez donc de retrouver ces phrases et les noms des personnes qui les écrivirent.

Pendant la dernière semaine de 2012 de la campagne du premier tour des élections présidentielles, les éléments de langage PS destinés à foutre la pilée à Nicolas Sarkozy, vampire, furent apparemment propulsés par un pistolet à tirer dans les coins : « Mélenchon a fricoté avec Dassault, Guéant, Buisson, Bachar al Assad, mon dieu comme c’est dommage une si brave bête qui l’eût cru ». Quand à son Altesse sautillante, elle ne fut pas plus assassinée ces jours-là qu’auparavant.

Élément de calomnie anti-FdG : notez la profusion des hashtags, destinée à diffuser l’image le plus rapidement possible dans tous les secteurs. La présence du #Syrie n’est pas innocente, ici : d’une image présentée brute, et comme honteuse, « qu’on voudrait vraiment oublier », Abd Rabbo fait un missile destiné, en recontextualisant implicitement la rencontre dans l’environnement médiatique présent – où la Syrie est l’empire du mal – à exploser à la figure de sa cible. Tout, dans cette image, montre la volonté de blesser profondément.

L’attaque d’ Amar Abd Rabbo vint en clôture d’une semaine secouée de calomnies, à raison d’une par jour, lancée tantôt depuis Libération, tantôt depuis le Nouvel Observateur (deux vantardises en un seul titre), et alimentée en continu par le bruit de fond de la médisance qui, de couvertures en éditoriaux, sans jamais apporter un semblant de preuve, et ne faisant que lâchement « poser la question » de la nocivité du candidat, y répondait. Ardisson, Ruquier, Onfray, Apathie, Patrick Cohen, Plantu, Christophe Barbier, Yves Calvi : partout agit la propagande délétère. Socialistes militants, j’ai vu la honte de tels procédés vous monter au front lorsque vous découvrîtes que, venus parfois de la Droite, ils étaient recyclés par vos propres cadres ; et ce fut bien pire quand vos journaux s’y mirent. Oh, je ne vous accuse certes pas ; ce sont les Julliard, les Demorand, les Joffrin, qui ont accepté de se faire les instruments de cette tactique. Ces calomniateurs, dont personne ne peut imaginer qu’ils ont spontanément, dans un si bel ensemble, décidé de lancer des missiles sans avoir été organisés pour cela, avaient tout à gagner à détruire la vitalité du Front de Gauche en s’attaquant à la réputation du candidat : que l’électeur dégoûté se détourne alors de cette formation, et voici Marine le Pen de nouveau en état de faire peur. Les résultats ont été au-delà de toutes leurs espérances, à tel point que c’est elle, Le Pen, qui mena la danse dans les médias d’entre deux tours, lesquels furent tout contents, Libération en tête, de la santé insolente de ce bel épouvantail face auquel toute idée de gauche ne serait-ce qu’un peu mitterrandienne s’abolit, décrétée irréaliste en ces sombres heures, et balayable d’une moue méprisante.

Les derniers mouvements d’intention avant le premier tour le montraient : des électeurs FdG passèrent au PS, et des anciens abstentionnistes fraîchement convertis se retirèrent, profondément dégoûtés par les révélations faites sur leur candidat rouge brique. Par conséquent de nouveau le peuple fut aux Le Pen ; non plus peuple en révolte, éduqué et de gauche, mais con et raciste selon la bonne vieille vision — de quoi faire péter le champagne dans les QG des beaux partis. Un bon exemple de cette boucle qui part de mensonges hallucinogènes pour finir dans de prétendues démonstrations fut l’action sur ce plan du journal Le Monde. Il commença, on s’en souvient, par publier des sondages truqués sur l’influence du Front National dans la jeunesse. Il finit le cycle par un éditorial de pure jubilation, commis par une Françoise Fressoz pétaradante d’allégresse de pouvoir constater que le peuple est « lepéniste » et non pas « d’extrême gauche » (extrême en quoi, vipère ?). D’où tire-t-elle ce droit au déni ? Tel est le bilan du « vote utile ».

Alors, finalement, qui aura nourri le FN ?

Ne perdons jamais de vue que ce sont ces grands journalistes qui installent « le tableau de fond des raisonnements ». Les lecteurs ou les téléspectateurs s’y réfèrent, et réagissent en conséquence. Il faut être un de ces médiacrates inattaquables pour oser nier cette puissance d’incitation qu’ils utilisent sans jamais s’arrêter, pendant des décennies, pour nous manipuler sur tous les canaux. À cet égard, la virulente dénégation de Maurice Szafran, directeur de Marianne, est plutôt cocasse quand, deux minutes plus tard, pensant que la caméra ne tourne plus, il s’abandonne à démontrer que oui, dans les faits, lui et ses confrères font l’opinion : en l’espèce, en « fabriquant » un Hollande présidentiable…

Victimes de ce batelage inextinguible, les plus honnêtes citoyens sont touchés, et finissent par défendre avec indignation les argumentaires mortifères dont ils ont été gavés, coin-coin, pendant des années d’affilée. Ainsi penser autrement que ce que l’on nous dit partout demande-t-il de terribles efforts et expose à l’ostracisme réel ou symbolique.

Bien des abstentionnistes, qui sont des gens qui pensent d’ordinaire que les politiciens sont tous des pourris, et que la démocratie a été confisquée, avaient accepté de voter FdG en voulant croire aux doux chants d’une force politique présentée comme dévouée à l’honnêteté, à la franchise et à la vertu républicaine ; cette belle vision n’aura pas résisté à la dernière semaine. Une de mes amies s’est faite engueuler, traiter de connasse, et trois abstentionnistes qu’elle avait récupérés ont, par dégoût de « Mélenchon ami des dictateurs », décidé de déposer un vote Le Pen avant de s’abstenir pour toujours, convaincus que la politique n’est que mensonge. Des naïfs, direz-vous, ces abstentionnistes-là ? Des nouveaux venus en politique, douchés et donc définitivement refroidis.

Ces coups de poignard dans le dos, organisés de main de maître via les lieutenants de la presse dite de gauche, ont bousillé de nouvelles espérances : autant de voix qui ne voteront pas contre Sarkozy au second tour. Ceci est un crime. Bien des militants voient aujourd’hui leurs prêches pulvérisés par ces racailles imprimées, qui n’ont jamais voulu voir dans le Front de Gauche autre chose que l’ennemi à abattre pour dégager la voie à leur créature.

Et c’est là tout le problème. Car si, par hasard, les militants du Front de Gauche, pleins de rancœur, comme je le constate, à l’encontre du Nouvel Observateur et de ses complices en saloperies, décident, en remontant le cours des responsabilités, d’en faire porter toute la faute au premier bénéficiaire, qui est François Hollande, alors, celui-ci doit s’attendre à combattre seul au second tour. Plutôt crever, n’est-ce pas, que d’apporter docilement sa voix à celui qui aurait orchestré votre déchéance et la destruction de tout votre travail. En conséquence, si vraiment le militant de gauche, comme je l’entends et le lis souvent, du Yeti à Pourrito, refuse, envahi d’amertume ou de mépris, de se déplacer le 6 mai, alors désormais tenu de se débrouiller sans tous les soutiens attendus, Hollande perdra le second tour des élections, et les ténèbres s’installeront.

Nos vaillants calomniateurs pourront alors, dans de nobles éditoriaux bien sentis, accuser le fourbe Mélenchon d’avoir fait perdre la France, tandis qu’eux-mêmes, assurés de cinq années de rente supplémentaire, applaudiront à la reconduction de leur écosystème, même si celle-ci s’est faite par la destruction de l’espoir d’un très grand nombre. Ils retourneront à leurs entreléchouilles, et tout ira pour le mieux.

À lire, de Bernard Stiegler : Télécratie contre démocratie, chez Flammarion, qui montre comment Royal et Sarkozy avaient d’abord été choisis, en 2007, par les médias, contraignant UMP et PS à cette sélection.

Il faut être plus intelligents que ça !

Quel est le but de tout électeur socialiste ? De virer Sarkozy. Quel est le but de toute personne votant pour le Front de Gauche ? L’instauration d’une Sixième République, avec, dans l’horizon, ceci : abolition des privilèges et des passe-droits, extinction des cadeaux fiscaux, chasse aux fraudeurs en grand, réduction pour de vrai de la terrible dette, dont je rappelle qu’elle est constituée, pour 600 milliards, d’évasions fiscales non punies, et pour 500 milliards dit-on, de sarkocadeaux – le reste n’étant que broutilles qu’il s’agira d’étudier de près pour savoir si on rembourse ou pas, car il ne faut pas oublier qu’en toute bonne justice, c’est aux voleurs de rembourser, et non pas aux volés.

Instauration de la démocratie dans les corps constitués comme la Cour des Comptes, le Conseil Constitutionnel, et plus généralement – c’est là que c’est beau – dans les piliers de la République. Que les juges élisent leurs chefs, que les journalistes élisent leurs directoires ; que les gens qui travaillent pour le bien commun n’aient plus à subir les ordres donnés par un parachuté de luxe, nommé par grâce royale à tel poste pour y porter la volonté du monarque. Voilà, je vous le rappelle, votre but ô camarades gauchistes, et ce but est plus grand que n’importe quelle soif de vengeance passagère… En outre, sous la Sixième, nos bons amis les calomniateurs perdront tout. Un vague de feu venue de plus bas qu’eux dispersera leurs braises, et leurs souvenirs serviront de crachoirs. Telle sera votre Hutamah. Ça aussi c’est un joli but !

Alors soyez plus intelligents que ce que les médiacrates espèrent de vous ! Digérez en silence les bols de soupe à la merde qu’on vous a fait avaler, traitez par la dérision et la surenchère loufoque ces calomnies dont on vous inonde encore et, au second tour, votez Hollande puisque c’est par lui que Sarkozy dégage.

Virez le petit monstre de son trône, foutez-le dans une poubelle, mettez-y cinq cadenas, et noyez le tout dans le béton. C’est-à-dire : accompagnez-le jusqu’en prison, qui est son habitat prédestiné. Qu’au lieu de se tenir derrière les juges, il se retrouve devant !

En outre, et je le rappelle, croyez-moi, il y a une nette différence entre un électeur socialiste et un politicien socialiste : celui-ci est prêt à bien des bassesses, tandis que celui-là ne saurait en imaginer une, et son espoir est pur. Les calomnies orchestrées par le Parti n’ont donc aucune espèce d’importance. Raccourcissons la distance qui nous sépare de notre vrai but. Le 6 mai, votons tous ensemble contre Sarkozy. Le Front de Gauche présentera sa facture après.

La fabrique de l’opinion :

Franz-Olivier Giesbert : « Tout propriétaire a des droits sur son journal. D’une certaine manière, il a les pouvoirs. Vous me parlez de mon pouvoir [au Figaro], c’est une vaste rigolade ! Il y a des vrais pouvoirs. Le vrai pouvoir stable, c’est celui du capital. Il est tout à fait normal que le pouvoir s’exerce. Ça se passe dans tous les journaux. Il n’y a pas un journal où cela ne se passe pas » (France Culture, 22 janvier 2005, cité par Acrimed). Nul journal ne vit sans argent : dans le papier, qui a des besoins lourds, ceci s’opère par le financement privé, la publicité, et les services payants. Ces trois tourmenteurs ont leurs exigences qui, fatalement, canalisent le rédactionnel. Le journal se fait ainsi automatiquement le porte-parole du système qui lui permet de survivre.


Actionnaires du journal Libération :
1- Édouard de Rotschild : 39%
2- SC des personnels de Libération : 18,5%
3- Soparic Participation (Groupe Pathé) : 16,75%
4- 3i Gestion : 10,5%
5- Communication et participation : 10%
6- Suez Communication : 2,5%
7- Carlo Caracciolo, Pierre Bergé, André Rousselet, Bernard-Henri Lévy…

Un cinquième du journal est donc entre les mains de ses employés. On prétend que ce cinquième garantit l’indépendance rédactionnelle, grâce à un droit de veto de l’employé sur l’employeur : on admirera la politesse faite à la souris de pouvoir dire non au lion.

Actionnaires du Nouvel Observateur :
Le journal est la créature du Groupe Perdriel. Son directoire est présidé par Denis Olivennes, de Lagardère Active. Voilà pour les gauchistes dirigeants.
1- Claude Perdriel : 93%
2- Groupe La Vie-Le Monde : 6%
3- Société des rédacteurs : 1%.

Le Nouvel Observateur ne peut donc être un hebdomadaire libre ; sa survie est entièrement entre les mains de personnes intimement liées au monde de la finance. Toute expression d’une pensée remettant en cause le jeu de celle-ci en Europe est vouée à être présentée comme une bêtise infantile ou une dangereuse folie.

En première approximation, 100% des articles d’économie et de politique, dans les médias nationaux, véhiculent la pensée dominée actuelle. D’une manière générale, tout le mainstream de la presse, des radios et des chaînes de télévision propage le même enseignement d’un bout à l’autre du spectre : il faut savoir désengager l’État des services publics, il faut s’ouvrir à la concurrence, et un Pôle Public des Services serait une horreur soviétique. Je défie quiconque de trouver, dans les colonnes de Libération, journal jadis fondé par Sartre, une parole prônant le contrôle par l’État des services essentiels de la nation autrement que dans une rarissime « tribune » poliment accordée au gaga qui s’y colle, laquelle tribune sera ensuite conjurée par trente articles sages et raisonnables incitant à la résignation libérale. La seule différence entre un Libération et un Figaro ou un France-Soir est que le premier ne prend pas ses lecteurs tout à fait pour des cons, tandis que les deux autres si ; le premier vous entortille et souplement dirige vos pas, les deux autres vous racontent ouvertement des craques énormes. Mais, si les modalités de cheminement sont fortement dissemblables, plus généreuses et conviviales ici que là, la destination finale reste la même.

Ainsi, la consommation de n’importe quel grand flux d’informations vous incite-t-elle, heure après heure sans jamais se relâcher, à accepter des conditions d’existence proprement délirantes : toute votre vie, vous servirez le système de votre aliénation, vous travaillerez à produire des montagnes d’argent dont vous ne verrez jamais la couleur. Pour finir, après une retraite qu’il vous faudra savoir sagement accepter misérable, vous mourrez, en ayant payé vos propres obsèques à un tarif ruineux. So is human farming.

Voilà pourquoi Internet vous ouvre une liberté telle que vos maîtres en crèvent de trouille. Ici vous êtes face à votre premier média, et le seul en lequel vous saurez avoir confiance, car il est facile dans cet endroit libre d’accès de se détourner d’une source pleine de fariboles quand vingt autres font un travail sérieux, tandis qu’un humain non connecté à Internet n’aura le choix que de passer d’une source toxique à cent autres provenant du même réservoir.

Débranchez-vous de vos tétines, connectez-vous à vos semblables ! Ne dépensez pas de l’argent à vous empoisonner, car vos médias sont somnifères ! Ouvrez les yeux et regardez dans quoi vous êtes assis.

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À propos de l'auteur Les 7 du Québec

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