Didier Lallement est un personnage très particulier de la vie publique française, mais le contenu de ses vœux a choqué encore plus à cause d’une référence à Léon Trotski, figure de la Révolution russe de 1917 et fondateur de l’Armée rouge.
Le préfet de police de Paris Didier Lallement – déjà tristement médiatique en raison de sa répression féroce vis-à-vis des manifestations sociales parisiennes depuis 2019 – a cru bon de souhaiter une bonne année en citant, dans sa carte de vœux officielle, Léon Trotsky, figure de la Révolution russe de 1917 et fondateur de l’Armée rouge… mais aussi inventeur du premier camp de concentration soviétique et responsable de dizaines de milliers de mort à la suite d’arrestations et d’exécutions durant la Révolution russe.
Pour ces voeux 2021 le préfet de police Didier Lallement cite… Léon Trotski
« Je suis profondément convaincu, et les corbeaux auront beau croasser, que nous créerons par nos efforts communs l’ordre nécessaire. (…) Sans cela, la faillite et le naufrage sont inévitables » pic.twitter.com/Fk6bhhBOpR
— David Perrotin (@davidperrotin) December 30, 2020
Pas choquant pour Marlène Schiappa, visiblement plus calée sur la légalité des plans à trois que sur l’histoire de l’URSS, qui a apporté son soutien à M. Lallement, pourtant vivement critiqué sur les réseaux sociaux.
Marlène Schiappa : « Je crois que Trotsky a écrit beaucoup de choses qui sont très inspirantes et donc chacun a le droit de le citer, de s’en inspirer » pic.twitter.com/efO9Z7PwdN
— CNEWS (@CNEWS) December 31, 2020
Trotski et le premier système concentrationnaire d’URSS
Si les communistes se dédouanent très souvent de leur idéologie sanglante (voir Le Livre noir du communisme de Stéphane Courtois) en faisant porter le chapeau criminel à Staline ou à Mao, Lev Bronstein dit Trotski n’était pas un ange, lui non plus : avant le Goulag de 1934, le premier camp de concentration soviétique est voulu par Léon Trotski, alors commissaire du peuple à la Guerre, ordonnant le 4 juin 1918 l’internement de prisonniers de guerre tchèques dans un camp sous tutelle de la Tchéka.
Peu de temps après, il reprend l’idée en pensant placer en camp les ressortissants de la bourgeoisie « pour accomplir des tâches subalternes ».
Au cours de l’été 1918, les camps de prisonniers de la Première Guerre mondiale, vidés à la suite de la paix de Brest-Litovsk, passent sous le contrôle de la Tchéka. Le 9 août 1918, Lénine ordonne par télégramme au comité bolchévique de la province de Penza d’enfermer dans un « camp de concentration les koulaks, les prêtres, les gardes blancs et autres éléments douteux ». L’organisation de ces camps, qui existent sans assise juridique à l’été 1918, est règlementée en avril 1919 par un décret du Commissariat à l’Intérieur qui les différencie des « camps de travail coercitif » pour condamnés de droit commun. Cependant, la distinction entre « camp de concentration » et « camp de travail coercitif » reste alors purement théorique. En effet, une instruction du 17 mai 1919 ordonne d’emprisonner, toutes catégories confondues, dans le même type de camp les soldats prisonniers, les déserteurs, les condamnés pour « parasitisme, proxénétisme et prostitution », tout comme les « otages issus de la haute bourgeoisie », les « fonctionnaires de l’ancien régime », etc., ces derniers groupes arrêtés à titre de « mesure prophylactique » par la Tchéka et enfermés sans jugement.
Voici ce que l’on peut lire également au sujet de Léon Trotski, sur la page Wikipédia qui lui est consacrée :
L’usage de la terreur comme système de gouvernement, après la Révolution russe, est légitimé par Trotski, la violence étant nécessaire pour « terrifier l’adversaire ». Il ne se distingue pas sur ce point des autres dirigeants. Mais Trotski est un des bolchéviks allant le plus loin dans la théorisation et la justification de la violence politique et de la terreur. Il expose notamment ses vues dans son livre Terrorisme et communisme.
Durant la guerre civile russe, Trotski était parmi les dirigeants bolchéviques les plus prompts à utiliser la violence politique et la terreur, comme à les justifier au nom de la lutte pour la victoire de la révolution. Son contemporain Boris Souvarine estimait, plus tard, ainsi que « Trotski était persuadé que toute difficulté, toute résistance pouvaient être surmontées par ce seul mot : “fusiller !”. »
Trotski est, avec Lénine, à l’origine d’un appareil de répression inédit en Russie tsariste, le camp de concentration. Afin de protéger les paysans pauvres formés en comités depuis juin 1918 le 8 août 1918, il ordonne la création des deux premiers camps en Russie, à Mourom et à Arzamas, destinés aux « agitateurs louches, officiers contre-révolutionnaires, saboteurs, parasites, spéculateurs. » Il n’est toutefois pas le seul dirigeant bolchévique à avoir cette conception de la violence politique, Lénine enjoignant dès le lendemain d’« enferme[r] les koulaks, les popes, les gardes blancs et autres éléments douteux dans un camp de concentration. » Il fait ainsi partie des dirigeants communistes qui ont engendré ce qui allait devenir le Goulag, qui sera utilisé dans des proportions bien plus massives par Staline durant son règne, bien qu’il ne l’ait pas initié.
Trotski, théoricien du terrorisme moderne, pourfendeur des libertés
En 2001, dans un papier consacré à ce criminel bolchevique, Michel VINCENT (Arts Gazette International) nous en disait un peu plus sur le fond idéologique de celui qui fut par ailleurs le bourreau des anarchistes (à Crondstadt) et des makhnovistes :
En 1936, il a publié Défense du terrorisme. La terreur doit être l’arme principale de la révolution permanente qui doit se transformer en guerre civile permanente. Pour Trotski, « la guerre civile, c’est la lutte pour le pain. » On sait qu’elle fut la cause, en URSS, d’une des plus grandes famines de tous les temps qui fit des millions de morts. (…) Voici, par exemple, l’opinion de l’écrivain Maxime Gorki, qui fut le fondateur de la littérature réaliste et sociale de l’URSS. Ce texte fut publié en novembre 1917 par le journal Novatajizn. Gorki condamne « Lénine, Trotski et leurs compagnons de route, déjà intoxiqués par l’infect poison du pouvoir comme le montre leur honteuse attitude à l’égard de la liberté de parole, de la liberté de la personne et de tous les droits pour lesquels la démocratie a combattu… Les travailleurs ne doivent pas laisser des aventuriers et des fous entasser sur la tête du prolétariat des crimes éhontés, insensés et sanglants, des crimes pour lesquels ce ne sera pas Lénine mais le prolétariat lui-même qui paiera ».
(…) En 1944, l’historien Dimitri Volkogonov examine les rôles respectifs des trois principaux leaders de la révolution d’octobre. Général soviétique, il fut successivement adjoint à la propagande de l’Armée rouge, directeur de l’Institut d’histoire militaire de l’URSS et enfin chargé de superviser l’ensemble des archives du parti et de l’État ( y compris des archives secrètes). Voici son témoignage : « Des trois leaders bolcheviks Lénine, Trotski, et Staline, il a plu à l’Histoire que ce fût Staline, après Lénine, qui ait joué le rôle le plus sinistre dans les événements de ce XXe siècle. Chacun des trois a eu sa partie à tenir. Lénine fut l’inspirateur, Trotski, l’agitateur et Staline l’exécutant… et c’est Staline qui a mené à son terme le projet léniniste de dictature du prolétariat… Trotski rêvait d’étendre le projet au monde entier mais sous une forme perfectionnée. »
Inspirateur des Goulags, fondateur du premier camp de concentration soviétique, Trotski fut aussi un théoricien de la terreur et un ennemi des libertés comme l’indique Michel Vincent :
Or, la révolution permanente et sa transformation en guerre civile permanente fut au cœur de l’idée qui inspira l’action de Trotski. Il publia, en 1936, Défense du terrorisme : « La question de savoir à qui appartiendra le pouvoir dans le pays… se résoudra par le recours à toutes les formes de violence » écrit-il. Et aussi : « La terreur rouge est l’arme employée contre une classe destinée à périr et qui ne s’y résigne pas. » Et encore : « La dictature est indispensable parce qu’il s’agit, non pas de changements partiels mais de l’existence même de la bourgeoisie… la force seule peut décider. Qui veut la fin ne peut répudier les moyens. »
S’adressant, en décembre 1917, aux délégués du comité exécutif central des Soviets, Trotski, commissaire du peuple à la Guerre, prévient : « Dans moins d’un mois, la terreur va prendre des formes très violentes à l’instar de ce qui s’est passé lors de la grande Révolution française. Ce ne sera plus seulement la prison mais la guillotine, cette remarquable invention de la grande Révolution française qui a pour avantage reconnu celui de raccourcir un homme d’une tête, qui sera prête pour nos ennemis. » Le régime communiste ne devait pas se contenter d’utiliser la guillotine qui tue vite et proprement. Les camps de concentration dispensèrent une mort lente infligeant à leurs victimes un interminable martyre.
C’était indispensable, dans l’esprit de Trotski, pour distiller la peur au sein de la population. Car la peur fut l’arme de choix des révolutionnaires : au cours de l’été 1920, Trotski écrivit au camarade Kautsky : « La Révolution exige de la classe révolutionnaire qu’elle atteigne son but par tous les moyens à sa disposition : si nécessaire, par l’insurrection armée, si nécessaire par la terreur. La terreur peut être très efficace… la peur peut être un puissant recours en politique intérieure et aussi étrangère. Comme la révolution, la guerre est fondée sur la peur » (extrait de Terrorisme et Communisme, Œuvres, vol. 12, Moscou p. 59).
Trotski suivait en cela, fidèlement, les consignes de Lénine qui, au lendemain de la révolution, avait proposé aux Bolcheviks d’organiser la terreur. Trotski était considéré comme le « commissaire de fer » de Lénine qui applaudissait sa nature impitoyable, note encore Volkgonov.
Lorsque le commissaire à la justice Steinberg protesta contre le recours à la violence et à la répression comme moyen de régler les problèmes sociaux, Lénine s’exclama : « Tu ne penses quand même pas que nous serons les vainqueurs si nous ne recourons pas à la terreur révolutionnaire la plus dure ? »
La conséquence de cette politique fondée sur la violence et la peur qu’elle inspire, fut une attitude impitoyable à l’égard de ceux qui refusaient le combat révolutionnaire.
Trotski, ancien militant pacifiste, écrit dans son journal : « Nous devons constituer des détachements de sécurité fiables qui n’hésiteront pas à fusiller les déserteurs…, placer un commissaire armé d’un revolver derrière chaque officier, instituer des tribunaux militaires révolutionnaires et créer des décorations pour récompenser la bravoure individuelle au combat. » Lénine et Trotski communiaient dans la conviction que seules la terreur et la violence illimitées sauveraient le régime bolchevique.
La question qui se pose désormais : comment un préfet de Police chargé d’assurer la sécurité des Français au sein même de la capitale du pays peut-il encore être en poste, eu égard de l’ensemble de son œuvre, et de surcroit en citant un des grands assassins du XXe siècle pour souhaiter la bonne année à la population dont il a la charge ? Beaucoup de Français s’interrogent sur une certaine dérive tyrannique des autorités à la tête de la République française, pas certain que la présence d’un admirateur de Trotski (une nostalgie de son engagement politique de jeunesse ?) à l’une des plus hautes fonctions de l’État soit de nature à les rassurer…
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