La mise à l’arrêt des remonte-pentes ne m’a pas remonté le moral. Je fais grise mine car j’ai la conviction d’être gouverné par une férocité bourgeoise, comme l’écrivit Pasolini dans « La rabia », avide de rentes et prête à sacrifier le peuple pour l’Unité d’une Europe libérale alignée sur les lois du marché peu soucieuses des communs qui font la cohésion et l’identité d’un peuple.
Or, Emmanuel Macron, fiévreux ou non, ce qui ne change rien, ne cesse de nous abreuver, jusqu’à la nausée, de segments de sa pensée où, s’il avoue désormais faire parti des gaulois récalcitrants, il montre à quel point il ne supporte pas vraiment la parole des autres. Il craint tout simplement ce qu’il nomme le commentaire permanent au nom d’une hiérarchie de la connaissance et de l’intelligence qu’il confond assez souvent. Pourtant quoi de plus légitime pour un peuple dans sa diversité que de tenter d’y voir clair, de la ramener, quoi ! Avec son entêtement de ne pas chercher à comprendre en dehors de ses choix, une lecture de Spinoza lui ferait le plus grand bien, il montre clairement que son principal souci est de trouver comment taire l’évocation fréquente du doute, le foisonnement des questions qui, au fond, ne sont que les manifestations d’une volonté de comprendre et d’y voir plus clair…
Par exemple, pour faire face à la pandémie il y a eu une augmentation de 84 lits de réanimation en Seine-Saint-Denis, quoi de plus normal ? Mais que penser de l’existence d’un projet de passer de 1049 lits à 744 dans le futur Hôpital du Nord parisien ? Il s’agit tout simplement d’un abandon de 300 lits qui ne peut m’empêcher de penser que le jour d’après s’annonce pire que le jour d’avant, avec l’accroissement de l’aveuglement du productivisme qui, dans sa logique, n’a que faire de l’expérience douloureuse du Corvidé-19. Cultivez-moi pour que je comprenne.
Par ailleurs, le Professeur Jérôme Salomon, Directeur de la Santé (non élu, nommé seulement) vient d’être montré du doigt par la commission d’enquête du Sénat sur le Covid-19 qui le charge clairement car, bien qu’alerté en 2018, précise-t-elle, il a choisi de ne pas reconstituer les stocks de masques, sans en informer la ministre en exercice Agnès Buzyn. Il a aussi fait « modifier a posteriori les conclusions d’un rapport d’expert » qui aurait contredit sa décision. Comment résister à pareille accusation, si elle est fondée, et pourquoi ne pas démissionner si l’honneur est encore une valeur qui fait l’homme politique ? Mais rien de cet ordre-là ne vient ; au contraire, Jérôme Salomon n’a jamais autant parlé dans les radios, les télés, comme pour masquer la petite musique critique de son autoritarisme. Serait-il devenu intouchable ?
En tout cas, il ose tout, soutenu sans doute, mais il ose tout comme un Calife adjoint, jusqu’à nous imposer le nombre de convives autour de la table de Noël, avec le port du masque entre les plats, avant peut-être, de nous imposer le menu et de nous conseiller vivement le catalogue homologué des cadeaux conformes aux consignes des scientifiques sans lumière et des politiques sans âme qui ont toujours à notre disposition un mode d’emploi de la vie, sans la vie. Vous voyez Monsieur le Président jusqu’où l’absence de transparence peut conduire un citoyen ordinaire soucieux de vérité que vous pourrez qualifier de complotiste, en vain, car désormais ce genre d’insulte lancée à tors à travers, est vidée de son contenu. Je n’attends que des arguments en mesure de me convaincre et je me cultive pour ne pas me soumettre à l’opinion du premier pouvoir venu.
En attendant, je ne sais plus quoi d’ailleurs, sans doute un peu plus de sincérité et de fraternité, le bal masqué continu sans orchestre, la musique est interdite, sans comédiens ni comédiennes, les théâtres sont fermés, sans tous ces gens de Culture qui sont si nécessaires à la santé du corps et de l’esprit, contrairement au Gouvernement qui considère durablement que les secteurs de la culture ne peuvent pas rouvrir dans l’immédiat car ils toucheraient à des libertés moins « prioritaires » que les commerces et les transports en soulignant, j’enrage, le caractère « substituable » de la Culture.
Alors Monsieur le Président, toujours contre le commentaire de ceux, nombreux, qui ne partagent pas votre choix et qui estiment que la Culture nous aide à contextualiser, globaliser, anticiper et pour lesquels l’aveuglement de certains esprits, parmi les agents du productivisme par exemple, tient beaucoup à leur défaut de Culture ? Savez-vous que la Culture donne les aliments nécessaires à la santé de la pensée critique, celle dont les commentaires vous gênent tant ? Savez-vous que la culture rend humble et enfante les questions à répétition ? Savez-vous que la Culture est le rempart majeur contre le vide social qui conduit au repli, à l’isolement, à la destruction physique et mentale ? Savez-vous par conséquent que la Culture est un des éléments majeurs du ciment social d’un peuple ?
Je ne veux pas rejoindre le camp des hommes et des femmes sans gravité, je veux avoir encore et toujours le poids d’un être déraisonnable qui commente sans réserve, avec sincérité ; je ne veux pas être en manque de Culture. Que chacun en fasse de même pour que vive la confrontation car c’est ce que réclame la quête de la vérité. Dans le cas des salles de cinéma en particulier beaucoup de gérants ont saisi le Conseil d’État au nom d’une certaine injustice qui en faisait des activateurs de foyers de contamination. Pourquoi des supermarchés superfréquentés, pourquoi la libre ouverture des magasins de farces et attrapes, pourquoi des transports en commun au comble de la surcharge et pourquoi autoriser les sorties scolaires dans les piscines ou dans les gymnases, en oubliant celles des salles de cinéma où lors du premier déconfinement les conditions de sécurité furent parfaitement respectées ?
Pourquoi, pourquoi, pourquoi ? La réponse du Conseil d’État a été négative au nom d’une situation particulièrement défavorable ne permettant pas la prise en charge hospitalières des malades de la Covid-19 et des autres affections. Pourquoi pas, mais pourquoi à cause les lieux de Culture seulement ? Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit là d’une atteinte sélective aux libertés, d’expression, de création, de découverte des œuvres et celle d’entreprendre.
Il faudra m’expliquer clairement, encore un doute, pourquoi Madrid fait figure d’exception puisque depuis juillet tout est ouvert, théâtre, opéra, cinéma, concert, même lorsque la deuxième vague a frappé fort : pas de hiérarchie entre le culturel et le cultuel. Plus précisément, durant cette période aucun foyer épidémique n’a été désigné sur le territoire espagnol de la Culture.
Au fond Monsieur le Président, comme pourrait vous le demander Edgar Morin, quel démon vous habite, quel est le moteur de votre politique ? Et quelle idée avez-vous de la Culture qui, dans la hiérarchie du Gouvernement, vient en fin de liste, pas du tout nécessaire.
Personnellement, je fais partie de ceux qui pensent que la Culture est inachevée, car toujours en mouvement ; qu’elle est l’ennemie de la certitude jusqu’à exister le plus souvent dans le cumul et non dans la substitution. Alors, si j’essaie de me cultiver, c’est parce que je suis curieux des changements dans l’ordre de la connaissance et soucieux de l’identité des mille détails qui font la vie quotidienne. C’est pourquoi j’aime les discussions, les échanges qui m’offrent souvent de vivre du souffle des autres. Si j’essaie de me cultiver, c’est pour vivre une large ouverture sur le monde dans tous ses aspects dont le sport n’est pas la moindre de mes préoccupations. C’est sans doute cela être cultivé, ne jamais s’arrêter pour ne pas rester enfermé dans sa spécialisation ni dans une somme relative de connaissances qui fait le dogme et l’arrogance, mais toujours se poser des questions sans craindre les critiques, ni les accusations qui font frémir tout en s’épuisant dans la répétition à tout va, telles que complotiste, laïcard et j’en passe que vous reconnaîtrez vous-même.
Enfin, je me cultive en n’oubliant pas d’où je viens, ni de ceux qui m’ont permis d’être là et donné les moyens d’être curieux, sceptique, tout en appréciant les mystères de la nature, du goût retrouvé de la terre soignée, l’odeur de la terre mouillée, ce pétrichor qui me met toujours au meilleur de moi-même. Me cultiver c’est donc aussi de retrouver le silence, l’odeur d’une fleur, la fraîcheur d’une herbe, le son d’une mousse. Mes grands-parents, mes parents, m’ont appris à cultiver tout cela, en me laissant souvent errer seul au cœur de la forêt de mon enfance qui bouge encore en moi. Toutes ces choses nécessaires vécues en direct sont mes démons aux côtés de ceux rapportés par d’autres vivants dans leurs livres, leurs films, leurs pièces de théâtre, qui me hantent comme sommeille un volcan et me laissent rarement seul. Méfions-nous que la Culture ne vienne à manquer !
Guy Chapouillié
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir