par Ramzy Baroud.
Il est commode de supposer que la crise politique actuelle d’Israël [dissolution de la Knesset, suite à l’impossibilité de voter un budget, avec des élections anticipées en mars] est conforme à la trajectoire inébranlable du pays, avec ses gouvernements éphémères et ses coalitions dirigeantes fratricides. Si ce point de vue est quelque peu défendable, il est également hâtif.
Israël est actuellement à la veille d’une quatrième élection générale en moins de deux ans. Même selon les normes politiques israéliennes, ce phénomène est sans précédent, non seulement en termes de fréquence du vote des Israéliens, mais aussi de changement constant des coalitions possibles et des alliances visiblement étranges.
Il semble que la seule constante dans le processus de formation de coalitions après chaque élection est que les partis arabes [entre autres la Liste Unifiée avec à sa tête Ayman Odeh] ne doivent en aucun cas être autorisés à entrer dans un futur gouvernement. La prise de décision en Israël a toujours été réservée aux élites juives du pays. Il est peu probable que cela change de sitôt.
Même lorsque la coalition des quatre partis arabes, la Liste Unifiée, s’est imposée comme un possible faiseur de rois à la suite des élections de septembre 2019 [avec 13 sièges], la liste centriste Kahol Lavan (Bleu et Blanc, avec 33 sièges) a refusé de s’allier aux députés arabes pour évincer le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou [le Likoud disposait de 32 sièges]. Le leader de Kahol Lavan, Benny Gantz, a préféré retourner aux urnes le 2 mars 2020 et finalement joindre ses forces à celles de son ennemi juré, Netanyahou, plutôt que de faire une seule concession à la Liste Unifiée [qui avait obtenu l’élection de 13 de ses candidats].
La décision de Benny Gantz n’a pas seulement mis en relief la place centrale du racisme dans la politique israélienne, mais a également illustré la propre folie de Gantz. En rejetant la Liste Unifiée, il a commis un acte qui s’apparente à un suicide politique. Le jour même, le 26 mars, où il a rejoint une coalition dirigée par Netanyahou, sa propre alliance Bleu et Blanc s’est effondrée, Yaïr Lapid de Yesh Atid [« Il y a un futur »] et Moshe Ya’alon [ex-ministre de la Défense] de Telem se séparant immédiatement de la coalition autrefois dominante.
Pire encore, Benny Gantz a perdu non seulement le respect de sa propre base partisane, mais aussi celui de l’opinion publique israélienne. Selon un sondage d’opinion publié par Channel 12 News, le 15 décembre, si des élections devaient avoir lieu ce jour-là, le groupe Bleu et Blanc de Gantz ne recevrait que 6 sièges sur les 120 sièges de la Knesset. L’ancien partenaire de coalition de Gantz, Yesh Atid [de Yaïr Lapid], selon le même sondage, obtiendrait le nombre impressionnant de 14 sièges.
Alors que le parti Likoud de Benyamin Netanyahou resterait en tête avec 27 sièges, « Nouvel espoir – Unité pour Israël », parti récent de Gideon Sa’ar [ministre de l’Éducation de 2009 à 2013 et de l’Intérieur 2013-2014], arriverait tout près en deuxième position avec 21 sièges. La formation de Gideon Sa’ar est un tout nouveau parti, qui représente la première scission majeure du Likoud depuis que le défunt premier ministre israélien, Ariel Sharon, a formé le parti Kadima [« En avant »] en 2005.
Benyamin Netanyahou et Gideon Sa’ar ont une longue histoire de rancune entre eux, et bien que tout soit possible dans la formation des alliances politiques en Israël, une future coalition de droite qui les réunirait tous les deux relève d’une faible possibilité. Si Gideon Sa’ar a appris quelque chose de l’acte d’automutilation politique de Benny Gantz, c’est que toute coalition avec Benyamin Netanyahou est une erreur grave et coûteuse.
Les différences idéologiques entre Netanyahou et Sa’ar sont assez minimes. En fait, tous deux se battent pour obtenir le vote du même électorat – bien que Sa’ar espère étendre son appel aux électeurs de la formation Bleu et Blanc mécontents et trahis, qui sont impatients de voir quelqu’un – n’importe qui – évincer Netanyahou.
Jamais dans l’histoire d’Israël, qui s’étend sur sept décennies, un seul individu n’a servi de point de mire aux nombreux courants politiques du pays. Bien qu’il soit aimé par certains, Benyamin Netanyahou est très détesté par beaucoup, au point que des partis entiers ou des coalitions entières sont formés simplement pour l’écarter de la politique. Cela étant, la majorité des Israéliens s’accordent à dire que l’homme est corrompu, puisqu’il a été inculpé dans trois affaires criminelles distinctes.
Toutefois, si tel est le cas, comment un dirigeant politiquement controversé et corrompu peut-il rester à la tête de la politique israélienne pendant plus de 14 ans ? La réponse typique fait souvent allusion aux compétences inégalées de cet homme en matière de manipulation et d’opérations secrètes et louches. Selon les mots de Yossi Verter, qui écrit dans le quotidien Haaretz, Netanyahou est « un maître escroc de première classe ».
Cette analyse ne suffit cependant pas à expliquer la longévité de Netanyahou en tant que premier ministre israélien ayant le plus long mandat. Il existe cependant une autre lecture, qui repose sur le fait qu’Israël navigue depuis un certain temps dans des territoires politiques inexplorés sans avoir de destination précise à l’esprit.
Avant la création d’Israël sur les ruines de la Palestine historique en 1948, les élites politiques juives d’Israël s’affrontaient assez souvent sur la meilleure façon de coloniser la Palestine, sur la façon de traiter le mandat britannique sur le pays, entre autres sujets importants. Ces différences se sont toutefois largement estompées en 1948, lorsque le pays nouvellement fondé s’est unifié sous la bannière du Mapaï [Parti des travailleurs d’Eretz Yisrael] – le prédécesseur de l’actuel Parti Travailliste israélien [fusion en 1968] – qui a dominé la politique israélienne pendant des décennies.
La domination du Mapaï a reçu une impulsion majeure après l’occupation israélienne du reste de la Palestine en 1967. La construction et l’expansion de nouvelles colonies juives dans les territoires nouvellement acquis ont donné vie à la mission des pères fondateurs d’Israël. C’était comme si le sionisme, l’idéologie fondatrice d’Israël, était une fois de plus redécouvert.
Ce n’est pas avant 1977 que la droite israélienne, autrefois négligeable, a formé un gouvernement pour la première fois dans l’histoire du pays. Cette date a également marqué le début d’une nouvelle ère d’instabilité politique, qui s’est aggravée avec le temps. Néanmoins, les hommes politiques israéliens sont restés largement engagés dans trois causes principales, et dans cet ordre précis : l’idéologie sioniste, le parti et les intérêts propres des hommes politiques.
L’assassinat en 1995 du leader du Parti Travailliste, Yitzhak Rabin, par un fanatique israélien de droite, a été une manifestation sanglante de la nouvelle ère de fragmentation sans précédent qui a suivi. Une décennie plus tard, lorsque Sharon a déclaré le plan de « désengagement de Gaza » de 2005, il a encore perturbé un équilibre politique qui état déjà branlant, conduisant à la formation de Kadima, qui a menacé d’effacer le Likoud de la carte politique.
Tout au long de ces temps turbulents, Benyamin Netanyahou était toujours présent, jouant le même rôle de diviseur, comme d’habitude. Il a dirigé l’animosité contre Yitzhak Rabin et, plus tard, a défié Sharon concernant la direction du Likoud. Ensuite, il a également été responsable de la résurrection du Likoud et l’a maintenu en vie malgré ses nombreuses crises idéologiques, politiques et de leadership. Ce dernier fait explique la loyauté du Likoud envers Netanyahou, malgré sa corruption, son népotisme et sa sordide politique. Les membres estiment que, sans la direction de Netanyahou, le Likoud pourrait aisément suivre la même voie conduisant à l’insignifiance ou à la disparition totale, au même titre que, respectivement, le Parti Travailliste et Kadima.
Aucun des « pères fondateurs » d’Israël n’étant vivant ou présent dans l’arène politique, il est difficile d’imaginer la voie qu’empruntera la politique future d’Israël. Par contre, il est certain que l’idylle avec la colonisation, la « sécurité » et la guerre se poursuivra probablement sans entrave, car elles sont le pain et le beurre de la politique israélienne.
Cependant, en l’absence d’une idéologie claire, surtout si elle est combinée à l’absence de constitution écrite, la politique israélienne restera l’otage des caprices des hommes politiques et de leurs intérêts personnels, sinon ceux de Netanyahou, du moins ceux de quelqu’un d’autre.
source : https://www.counterpunch.org
traduit par À l’Encontre
via http://alencontre.org/moyenorient
Source : Lire l'article complet par Réseau International
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