par Ilya Vasyunin.
Le licenciement scandaleux de Timur Olevski de la chaîne de télévision Temps Présent (une division de Radio Liberty) a provoqué une vague de discussions sur les normes éthiques des entreprises dans les médias. Olevski n’est pas le premier journaliste russe à perdre son emploi au sein du groupe de Prague. RT s’est entretenue avec Alexandre Orlov, l’ancien rédacteur en chef du programme d’information sur l’Asie Centrale de Radio Liberty. Il a parlé de la culture d’entreprise au sein du groupe, de la censure, des « normes journalistiques de la société », et de son licenciement « pour poutinisme ».
Timur Olevski quittera son emploi dans les prochains mois « d’un commun accord entre les parties ». Nous vous rappelons que le conflit est né après sa participation à l’émission du journaliste Oleg Kachine où il a discuté de la famille de l’homme politique Alexeï Navalny. Le cas d’Olevski n’est pas unique. Ces dernières années, plusieurs employés de Radio Liberty (Radio Liberty – RL, Radio Free Europe–Radio Liberty – RFE–RL) ont quitté Prague.
RT a parlé à l’un d’entre eux, Alexandre Orlov, qui a travaillé dans la capitale tchèque en 2015-2016. Auparavant, M. Orlov a filmé des reportages pour NTV et RTVI, et a également travaillé pour VGTRK [radio et télévision d’état russe – note de la traductrice].
Avant de publier l’interview d’Orlov, RT a également parlé à deux des anciens collègues d’Alexandre. Ils ont confirmé les informations sur les particularités du travail à Radio Liberty.
Comment vous êtes-vous retrouvé en République Tchèque après avoir travaillé pour VGTRK ?
Je suis allé à Prague parce que j’étais en train d’écrire un livre sur la propagande russe : je voulais parler à Viktor Koulganek, avec qui je travaillais à VGTRK. Il a été le directeur en chef de Rossia 24 en 2014, puis il a émigré. J’ai pris l’avion, je me suis rendu à Prague, je suis allé sur son lieu de travail, qui était Radio Liberty. Je lui ai demandé : « Tout le matériel est passé par vous – celui de Crimée et du Donbass. Comment vous ont-ils amené ici ? » – « Je n’ai rien à voir avec cela », répond-il. « J’ai passé le détecteur de mensonges ! » Il avait réussi à tromper le détecteur de mensonges.
Il m’a présenté à son patron, Kenan Aliev, qui avait obtenu un financement pour la future chaîne de télévision de Radio Liberty « Temps Présent », et nous avons discuté : « Voulez-vous travailler pour nous ? Vous ferez ce que vous savez faire ». Kenan, puis le Bosniaque, le président de RFE/RL à l’époque, a déclaré sans détour : « Les gars, nous avons vraiment sous-estimé le rôle de la télévision. Et quand nous avons vu comment fonctionne la télévision russe, tout le monde s’est assis – tant au Congrès qu’au bureau central. Nous voulons avoir quelque chose comme ça ». Cette décision est intervenue après la situation dans le Donbass et le rattachement de la Crimée. Ils ne savaient pas comment faire de la télévision, alors ils nous ont appelés, moi y compris.
C’est ainsi que je suis devenu le créateur et le rédacteur en chef d’un programme d’information sur l’Asie Centrale. Mais il y avait moins de monde que promis : cinq correspondants régionaux et trois personnes à mes côtés à Prague : la présentatrice, le rédacteur en chef et le producteur. C’était difficile, mais j’avais quelques illusions. Au début, il m’a semblé que j’étais le démiurge : il y aurait de bons reportages dans le programme – c’est le plus important.
Il est clair que si vous acceptez la proposition de « faire une chaîne de propagande », des obligations vous sont immédiatement imposées. D’abord, par exemple, vous répondez à un millier de questions. J’ai été non seulement testé, mais ma loyauté a aussi été évaluée sur un détecteur de mensonges – ils m’ont emmené à l’Ambassade spécialement pour cela. Il y a littéralement des vétérans de la CIA. Bien sûr, on ne pourrait jamais imaginer de telles choses à VGTRK. En Russie, si vous travaillez pour une société d’État, vous pouvez penser ce que vous voulez dans votre vie privée : en principe, vous pouvez être aussi libéral que vous le voulez, discuter avec vos patrons et être sûr qu’il n’y aura pas de conséquences. Là, vous devez être convaincu de ce que vous faites.
Et puis, il s’est avéré que c’était pareil. Il s’est avéré que c’était même encore plus difficile… Et la qualité de la culture d’entreprise… Elle implique que si vous mentez, vous ne devez pas douter de ce sur quoi vous mentez.
Et comment cela a-t-il affecté votre travail ?
Les problèmes ont commencé en même temps que la guerre à grande échelle en Syrie : censure militaire, ordres sur la façon de couvrir l’actualité de toutes sortes – comme à Moscou. Littéralement, Océania et Estasia changeaient de place à chaque édition.
En septembre 2016, je crois, j’ai été appelé de façon inattendue pour une plainte : quelque part dans une émission, j’ai qualifié les membres d’Al-Qaida de terroristes, et il était devenu interdit de l’appeler un groupe terroriste.
Je demande : « Et vos tours jumelles ? » « C’était il y a 15 ans », répondent-ils, « et maintenant les choses ont changé. Vous devez donc suivre les recommandations que le bureau central vous envoie ».
Et ça a commencé… « Pourquoi avez-vous dit « terroristes » ? » – « Pour indiquer contre qui la guerre a lieu… »
Vous ne pouviez rien dire : pas de « Musulmans », pas de « Chiites », pas de « Sunnites », pas de « Yézidis », pas de « Chrétiens » – rien. Pas d’Al-Qaïda, pas d’État Islamique – juste des insurgés. Tous sont des insurgés. Et tous sont impitoyablement tués par d’horribles bombes russes – des bombes chimiques pour la plupart. Tu expliques que le terme « insurgé » est plus qu’une définition positive en russe moderne. Non. Les Chiites, pour être juste, pourraient (et même devraient) parfois être qualifiés de terroristes.
Il s’agit d’instructions spécifiques du centre, qui ont été approuvées par le président local à Prague. En 2015, j’ai pris connaissance de la controverse interne à Prague sur le Donbass. La rédaction ukrainienne insistait exclusivement sur les termes de « terroristes » ou « occupants », tandis que la rédaction russe voulait quelque chose de plus doux : des « séparatistes » ou même affectueusement – des « militants pro-russes ». En fin de compte, le centre et la direction de Prague ont tous deux accepté le terme « militants ». Ils n’ont pas accepté les « insurgés » du Donbass, car la connotation en russe est trop positive.
Il y avait une histoire venant d’Ukraine. J’ai fait un reportage sur le camp d’enfants du bataillon Azov, où des enfants portant la rune du « crochet du loup » sur leur veste jouaient à des jeux de terrain militaires, avec le titre « Du cœur au soleil. Un camp de scouts nazis a été ouvert près de Kiev ». Tout le monde était mécontent, et la rédaction ukrainienne a alors exigé mon licenciement.
« Tu as tort, tu as tort », m’a dit à l’époque mon collègue Michael, le vice-président en fait de Radio Liberty. « L’Ukraine a encore besoin d’un peu de ce « national-socialisme », sinon elle ne gagnera pas. L’essentiel, de notre côté, est de garder le contrôle et de ne pas laisser nos ennemis les traiter de fascistes. Ce sont des patriotes, voire des ultra-patriotes, mais en aucun cas des nazis, comme vous les avez appelés ici ».
La thèse est donc simple : ce ne sont pas des nazis, ce sont des patriotes. Si nous disons qu’ils sont fascistes, nous jetons de l’eau sur le moulin de la propagande russe.
C’est allé jusqu’au détail le plus fou. J’écris un synopsis pour une histoire, il y a un programme éditorial général appelé Octopus… Ils arrivent en courant, « Qu’est-ce qui est à l’antenne ? » Il s’est avéré que je m’étais laissé trop de liberté dans le projet : j’ai écrit une blague, puis l’ai supprimée. Mais même les brouillons sont surveillés et sources de nervosité.
Pourquoi le personnel le tolère-t-il ? Après un autre scandale, dont j’ai été témoin avec un collègue dont le nom était bien connu à l’époque, nous sommes sortis fumer une cigarette avec lui et il a dit « Tu as raison, c’est de la censure à l’état pur. Mais si besoin est, je suis prêt à tailler une pipe à Kenan trois fois par jour, juste pour ne pas perdre un salaire de 40 000 ».
Tu as été viré pour quoi ?
À cause de la ville de Raqqa. Nous devions constamment faire des reportages depuis la Syrie – c’était un sujet important pour l’Asie Centrale. Et donc (lorsque les Américains ont encerclé Raqqa et que 150 avions ont effectué des sorties chaque jour, et que 450 canons d’artillerie lourde l’ont bombardée), plus l’intensité des raids augmentait, plus ils exigeaient de moins parler de Raqqa.
Des changements arrivaient chaque jour du bureau central, et nous n’avions pas toujours le temps de lire. Il n’y avait tout simplement pas le temps – nous devions élaborer un programme de 24 minutes chaque jour. C’était l’enfer pour moi – une énorme charge de travail.
Ils m’ont appelé. « Tu as un mensonge : tu as écrit que c’est la capitale d’un califat autoproclamé ». – « Comment aurais-je dû l’écrire ? Il y a 150 000 personnes là-bas ». – « Nous disons « poste de commandement de Raqqa » – et nous ne parlons pas de bombardements ». Voilà précisément : pas « ville », pas « capitale », mais « poste de commandement de Raqqa ». Et pas de détails : juste une « situation difficile autour de Raqqa ».
J’ai flippé et j’ai dit que je publierais ces instructions sur Internet. Je n’ai rien posté pour finir, mais la phrase sur Internet a été ma dernière.
Je ne peux pas m’empêcher de remarquer qu’à cette époque, c’était l’émission la plus regardée du groupe de Prague.
Comment ils te virent – ils ne te laissent plus venir au travail ?
Il y a toute une procédure humiliante, un rituel. Lorsque ils deviennent méfiants envers toi, ils te suspendent, puis ils t’appellent et te disent : « Viens ici ». Les RH ou le service de sécurité et peut-être le vice-président te rencontrent. Ils t’emmènent à ton ordinateur, effacent ton courriel, jettent tes affaires dans un carton (pendant que les autres doivent rester là à regarder), tu es conduit par un agent de sécurité et le chef des RH. Ils te mènent à la porte, détruisent ton laissez-passer et sortent le carton.
Les conflits avec la direction, comme il s’avère, sont simplement classés comme une histoire de loyauté. Lorsque j’ai été licencié, on m’a montré une pile de messages d’autres employés sur la loyauté, que beaucoup d’employés écrivent. J’ai toujours refusé : ce n’est pas ainsi que cela se passe dans notre pays.
« Cela signifie que le peuple russe a une conscience criminelle », m’a dit Daisy Sindelar, qui est devenue plus tard présidente par intérim de Radio Liberty.
En fait, presque tout le monde s’écrit les uns sur les autres. Et quand ils t’attrapent à propos d’une chose ou d’une autre, il y a déjà beaucoup de merde sur toi, et de la part des gens qui sont assis à la même table que toi.
Ils continuent à faire passer le mot : mes collègues me disent qu’ils m’ont viré « pour poutinisme ».
Dis-moi, tu as travaillé dans tellement d’endroits, que penses-tu de RT ?
Je ne pense pas que la RT soit la machine de propagande particulièrement horrifiante qu’ils aiment à dépeindre. D’après ce que j’ai vu, une partie peut être qualifiée de propagande, et une autre est tout à fait acceptable – à la fois l’image et l’information. Cependant, je n’ai pas beaucoup regardé la télévision d’État russe depuis 2015 et je n’ai pas d’idée précise sur RT. À Radio Liberty, cependant, ils savaient pertinemment que l’utilisation d’une image de Ruptly à l’antenne, disons, avec un char, était de la « propagande de Poutine ».
Je suppose que tu n’as pas été surpris par l’affaire Timur Olevski.
Je ne comprends pas pourquoi tout le monde est surpris par son licenciement : dans le cas de Radio Liberty, c’est littéralement une affaire technique. Lorsque certains détails concernant sa participation à l’émission sur Navalny ont été connus, j’ai immédiatement dit « Olevski est mort ». Il a fait l’impensable pour la contre-agitation idéologique : il a servi de source d’informations « erronées » qui ont été utilisées par les « ennemis » (un programme avec un fragment de l’émission de Kachine a été diffusé sur NTV – NDLR), et a involontairement aidé à diffuser des informations « incorrectes » sur la femme de Navalny, Ioulia.
En plus d’être engagés dans une contre-propagande directe, Temps Présent et Radio Liberty privilégient également le système « ami ou ennemi » – donnant une sorte de signal à ceux qui l’attendent et le voient. Et voilà qu’il s’avère que Radio Liberty et le Congrès américain creusent sur Navalny et sont prêts à le combattre. Je pense que la question du licenciement a été vite résolue.
Je pense qu’il a donné aux « ennemis » une excuse pour utiliser des informations sur Navalny et a donné un faux signal sur la position de Radio Liberty concernant le blogueur Alexeï Navalny. Et en somme, c’est un licenciement automatique pour tout employé – pour déloyauté, peu importe combien il rampe et s’excuse auprès d’eux. Mais c’est exactement la raison pour laquelle il ne sera pas licencié avec cette formulation. Il est probablement accusé maintenant de violer les normes journalistiques. C’est ce qu’ils disent toujours, et ils ajoutent ensuite qu’ils ont violé « les normes journalistiques de notre entreprise ». Un peu comme les petits caractères en bas du contrat.
Note de la traductrice : les faits que rapporte Alexandre Orlov confirment ce que nous avons pu constater et dénoncer à plusieurs reprises concernant des articles de RFE-RL (Radio Free Europe – Radio Liberty), comme les tentatives de blanchir les néo-nazis ukrainiens, ou l’usage de mensonges grossiers comme lorsqu’ils ont tenté de faire passer des images venant de drones ukrainiens pour celles venant de drones de la République Populaire de Donetsk. Out cela montre bien que ces médias ne sont que des outils de propagande grossière, prêts à tout pour salir, entre autre, la Russie.
source : https://russian.rt.com/world
traduit par Christelle Néant pour Donbass Insider
via http://www.donbass-insider.com/fr/
Source : Lire l'article complet par Réseau International
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