Pour reprendre le titre de l’un des articles publiés par DIAL sur l’enjeu des semences [1], « la souveraineté commence par les semences », comme le savent bien les promoteurs comme les opposants du nouveau projet de loi costa-ricain qui, au nom du contrôle de la qualité, veut renforcer la main-mise de l’agro-industrie sur les semences et, partant, sur la production agricole. Cet article a été publié sur le blog costa-ricain Bloque Verde le 20 novembre 2020.
Actuellement les semences paysannes et indiennes peuvent être échangées ou vendues librement, mais un projet de loi essaye de changer cette pratique millénaire sous prétexte de contrôle de qualité. Selon l’OCDE, près de 90% des semences que nous utilisons au Costa Rica ne sont pas soumises à des processus de certification car ce sont dans leur grande majorité des semences locales, originaires du pays et créoles.
En pratique il s’agit d’un mécanisme destiné à restreindre l’utilisation des semences, une privatisation de cette pratique ancestrale qui a rendu possible la biodiversité actuelle et qui est menacée d’extinction par l’homogénéisation de l’agriculture industrielle. Le projet dont il s’agit s’intitule « Loi sur la production et le contrôle de qualité dans le commerce des semences » (projet de loi n° 21 087).
Selon le Réseau de coordination sur la biodiversité, « ce texte a été rédigé sans la moindre participation des organisations paysannes, écologistes ou indiennes, et des représentants de ces secteurs n’ont pas non plus été consultés lors de l’examen parlementaire du projet de loi ».
De son côté le Réseau de femmes rurales a déclaré dans un courrier adressé à la commission des affaires agricoles de l’assemblée Législative que ce projet de loi « ne s’inscrit pas dans une vision intégrale de l’agriculture et du rôle de la diversité des semences ». Pour elles « celui qui contrôle les semences contrôle l’agriculture, contrôle la production alimentaire, contrôle l’alimentation du monde et concentre le pouvoir ».
Selon le Bureau national des semences dans notre pays le marché d’importation de semences enregistre des transactions d’une valeur pouvant aller jusqu’à 36 millions de dollars annuels répartis entre 104 entreprises autorisées à vendre des semences certifiées, mais 8 compagnies seulement contrôlent 53% de toutes les variétés disponibles commercialement.
Divers collectifs et organisations ont fait savoir aux députés que cette loi est faite pour protéger un secteur agro-industriel de production et commercialisation des semences, mais qu’elle est en outre conçue pour aller contre les intérêts de la majorité de la population.
Pour le Réseau de femmes, « la loi peut provoquer un véritable harcèlement des paysans ou des indiens qui réalisent un travail de grande valeur pour l’humanité, conserver les semences, et pour les conserver ils doivent les reproduire ». Ceci parce que le projet envisage des infractions et des peines contre les personnes qui échangeraient des semences locales alors que celles-ci représentent une menace commerciale pour les entreprises.
Il faut ajouter à tout cela que l’absence de participation des populations indiennes est particulièrement grave sur un sujet qui les touche directement alors qu’il est obligatoire de les consulter comme l’indique la convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT).
L’Association de développement indien Bribri Talamanca (ADITIBRI) explique dans une lettre adressée à la commission des affaires agricoles que « nous avons conservé, échangé et reproduit nos semences selon des pratiques millénaires ».
Pour ADITIBRI, la manière de conserver, reproduire et produire sont propres aux populations indiennes, ces pratiques remontant même à la période antérieure à la fondation de la République. Dans ce cas, il est fait référence à la convention 169 de l’OIT qui indique que les États doivent reconnaître et protéger les valeurs et les pratiques sociales, culturelles, religieuses et spirituelles propres de ces peuples. L’ADITIBRI affirme qu’ils n’ont été ni informés ni consultés et que ce projet est contraire aux pratiques traditionnelles et aux coutumes de son peuple. Il demande à ce que ce projet de loi soit abandonné.
Depuis plus de quinze ans, on n’a cessé de tenter de faire approuver divers projets sur ce sujet qui auraient de graves conséquences pour l’agriculture paysanne et indienne, tout autant que pour le respect des obligations du pays dans le cadre du Traité sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et de la « Déclaration des droits des paysans et autres personnes qui travaillent dans les zones rurales » des Nations unies approuvée par le Costa Rica le 20 novembre 2018.
Le projet de loi n°21 087 exclut les communautés indiennes et paysannes des espaces de décision en matière de semences. Le comité directeur du Bureau national des semences (Oficina Nacional de Semillas, ONS) et la Commision nationale de ressources phytogénétiques (CONAREFI) ne prennent en compte aucune organisation ou instance qui puisse défendre les droits de ceux qui cultivent la terre.
Ce projet de loi instaure par ailleurs un cadre légal de concurrence déloyale car seules pourront vendre à l’État du Costa Rica des semences pour les différentes institutions qui ont des programmes d’assistance et de développement les entreprises qui parviendront à certifier leurs semences. Seraient ainsi désavantagés les petites et moyennes entreprises qui voudraient commercialiser des semences.
Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3557.
Traduction d’Annie Damidot pour Dial.
Source (espagnol) : Bloque Verde, 20 novembre 2020.
Source: Lire l'article complet de Mondialisation.ca